Fables/Fable 8

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FABLE VIII.

L’Yrondelle, & l’Oyſeau de Paradis.



L’Yrondelle, craignant, le froid de nos quartiers,
S’en alloit faire un tour, juſqu’aupres de Carthage.
L’Oyſeau de Paradis, ſe trouve à ſon paſſage,
Voyageurs, comme on ſçait, couſinent volontiers.

Les voila donc jaſant, d’un climat, & d’un autre,
L’Yrondelle ventoit, les raretez du nôtre,
Et l’Oyſeau, les beautez du ſien :
Elle prit gouſt à l’entretien.
Elle ſe connoiſſoit, pour n’eſtre qu’Yrondelle,
Et ſçavoit que l’oyſeau, n’eſt pas oyſeau pour elle ;
Mais contre ce qui plaiſt, on ne prend loy de rien.
L’Oyſeau de Paradis eſt charmant au poſſible,
Et noſtre voyageuſe, a le cœur ſuſceptible.

Elle niche ſouvent, en tel Palais de Cour,
Où l’on n’habite point, ſans connoiſtre l’amour :
Elle admire, tantoſt, le bec, & le ramage,
D’autresfois, le rare plumage,
De l’hoſte à ſes yeux ſi charmant ;
Et ſans conſiderer, dans ſon emportement,
Que le celeſte Oyseau, n’habite que la nuë
Et qu’il vit, de l’air ſeulement,
La voilà d’abord reſoluë,

A ne le perdre plus de veuë.
Cependant la faim la preſſoit,
Dame Nature patiſſoit,
Et l’on ſçait que cette Commere,
Ne ſe repaiſt point de chimere.

Tant d’amour qu’on voudra, tant de charmans appas,
Il faut toûjours manger, & boire,
Et c’eſt un incident, neceſſaire à l’hiſtoire,
Que de prendre un leger repas.
Faut-il ſe revolter, contre Dame Nature ?

Ou faut-il ſe rendre à ſes coups,
Jeunes Amans, ma Fable parle à vous.
Quelle que ſoit l’ardeur qui vous tranſporte
Sur un peu de prudence, appuyez voſtre amour,
Les plaiſirs les plus grands, ſont ſujets au retour,
Et la neceſſité demeure la plus forte.