Les Vautours et les Pigeons

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Fables choisies, mises en versDenys Thierry et Claude BarbinTroisième partie : livres vii, viii (p. 41-44).


VII.

Les Vautours et les Pigeons.



MArs autrefois mit tout l’air en émûte.
Certain ſujet fit naiſtre la diſpute

Chez les oiſeaux ; non ceux que le Printemps
Meine à ſa Cour, & qui, ſous la feüillée,
Par leur exemple & leurs ſons éclatans
Font que Venus eſt en nous réveillée ;
Ny ceux encor que la Mere d’Amour
Met à ſon char : mais le peuple Vautour,
Au bec retors, à la tranchante ſerre,
Pour un chien mort ſe fit, dit-on, la guerre.
Il plut du ſang ; je n’exagere point.
Si je voulois conter de poinct en poinct
Tout le détail, je manquerois d’haleine.
Maint chef perit, maint heros expira ;
Et ſur ſon roc Prométhée eſpera
De voir bien-toſt une fin à ſa peine.
C’eſtoit plaiſir d’obſerver leurs efforts ;
C’eſtoit pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adreſſe, & ruſes, & ſurpriſes,
Tout s’employa : Les deux troupes épriſes

D’ardent courroux n’épargnoient nuls moyens
De peupler l’air que reſpirent les ombres :
Tout element remplit de citoyens
Le vaſte enclos qu’ont les royaumes ſombres.
Cette fureur mit la compaſſion
Dans les eſprits d’une autre nation
Au col changeant, au cœur tendre & fidèle.
Elle employa ſa mediation
Pour accorder une telle querelle.
Ambaſſadeurs par le peuple Pigeon
Furent choiſis, & ſi bien travaillerent,
Que les Vautours plus ne ſe chamaillerent.
Ils firent treve, & la paix s’enſuivit :
Helas ! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur auroit deu rendre grace.
La gent maudite auſſi-toſt pourſuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,

En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens,
D’accommoder un peuple ſi ſauvage.
Tenez toûjours diviſez les méchans ;
La ſeureté du reſte de la terre
Dépend de là : Semez entre eux la guerre,
Où vous n’aurez avec eux nulle paix.
Cecy ſoit dit en paſſant ; Je me tais.