Fables (Stevens)/01

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Imprimerie de John Lovell (p. 7-8).

I.

L’ESPRIT FORT.


Un homme, qu’ai-je dit ! un réprouvé du ciel,
Vomi par les enfers, un athée, un impie,
Un esprit fort enfin riait de l’Éternel,
Lui, ver infime !… On dit qu’en sa rage inouïe,
Il osa, — Pourrait-on y penser sans frémir, —
Il osa, roi des Cieux ! mépriser ta puissance
Et renier ton existence !…
« Eh ! que m’importe à moi, de vivre ou de mourir,
« Disait-il. C’est la loi de la nature entière.
« Chacun doit y passer. Notre sort est pareil
« À tous, que nous ayons opulence ou misère ;
« La mort n’est rien qu’un long sommeil !
« Eh ! qu’avons-nous besoin de ces nombreux ministres
« Qui dans la chaire, chaque jour,
« Épouvantent les gens de menaces sinistres ?
« Les malheureux !… Jamais ils n’ont connu l’amour.
« Leur cœur fut toujours mort, leur âme desséchée :
— « Nous n’aimons que le ciel, notre âme est détachée
« Des faux biens de ce monde et nous sommes conduits
« Par l’amour le plus saint et le plus tendre zèle,
« Disent-ils, c’est celui de paître nos brebis. —
« À d’autres ! Je maudis leur race criminelle !… »
Ainsi parlait cet être là.
Mais voilà
Qu’un jour il fut atteint d’une fièvre mortelle.

Ce lâche qui n’avait jamais que blasphémé,
Quand il se sentait plein de vie,
En se tordant les bras râlait, dans l’agonie,
Le nom de son Sauveur qu’il avait diffamé !!…

Hélas ! que nous voyons dans le siècle où nous sommes
De mortels égarés maudissant le Saint lieu !
Ils peuvent échapper aux vengeances des hommes,
Mais ils ne fuiront pas la justice de Dieu !
Car, s’il est sur la terre
Un sacré ministère
Que nous devons toujours
Aimer et reconnaître,
C’est bien celui du prêtre ;
Du prêtre dont les jours
Ne sont le plus souvent qu’une longue souffrance
En faveur de l’humanité,
Jusqu’à ce que la Mort, brisant son existence,
Le rende à la Divinité.