Fables (Stevens)/03

La bibliothèque libre.
Imprimerie de John Lovell (p. 13-14).

III.

LE CHAT, LE RENARD ET LE SINGE.


Docteur Renard et son ami Raton
Pour voyager allaient de compagnie.
Ces deux personnages, dit-on,
Avaient fait leur philosophie.
Aussi, tout le long du chemin,
Parlaient-ils sans jamais se taire :
« Voyons, que pensez-vous, compère,
« Dit le renard au chat, du ton le plus bénin,
« De la grande vertu qu’on nomme tempérance ?…
« Pour moi, je suis d’avis qu’elle élève nos cœurs,
« Et puisqu’elle bannit l’orgie et la licence,
« Elle prévient d’innombrables malheurs…
« Tenez, si maintenant nous voyons dans nos places
« Bien moins souvent
« Couler le sang,
« C’est à cette vertu qu’il faut en rendre grâces.
« Est-ce vrai, cher Mitis, ai-je tort ou raison ?… »
— « Mon excellent ami, vous plaidez bien la cause,
« En souriant à part, reprit maître Raton.
« En effet, lorsqu’à jeun on discute la chose,
« On comprendra que toutes les vertus
« N’auraient que faire chez nous autres,
« Si nous n’avions la tempérance en sus
« Qui seule fait de bons apôtres… »

Comme il disait ces mots, un singe, vieux coquin
Qui tenait un bouchon sur le bord du chemin,
S’adressant au renard, dit : « Votre Seigneurie
Voudrait-elle entrer dans ces lieux ?
J’ai dans ma cave du rhum vieux
« Comme elle n’en a bu peut-être de sa vie ?…
« Entrez,… S’il n’est pas bon vous ne paîrez un sou. »
Bref. Voilà nos amis goûtant, d’un air capable,
Le bon rhum vieux. Un coup amène un autre coup,
Tant et si bien qu’enfin ils tombent sous la table.

Je connais aujourd’hui de nombreux tempérants
Qui trouveront ici parfaite ressemblance.
Ils ont juré la tempérance,
Mais un verre de rhum peut briser leurs serments.