Fables (Stevens)/05

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Imprimerie de John Lovell (p. 17-18).

V.

LE SINGE ET LE CHAT.


Messire Fagotin et le brave Mitis
Dans un riche palais vivaient en bons amis.
Ce maudit couple-là, s’il faut croire le dire
De la gent cuisinière et de nombreux laquais,
Était sans contredit le pire
Que valetaille eût vu jamais.
Chaque jour quelque maléfice,
Par ces coquins était commis :
Rien de si bien caché par eux qui ne fut pris,
Tant à la cave qu’à l’office.
Un jour qu’il gelait fort, nos insignes larrons
Pour se chauffer s’en vont à la cuisine.
— Sur un feu découvert rôtissaient des marrons : —
— « Frère ! ne sentez-vous pas cette odeur divine,
« D’un ton de connaisseur dit Fagotin au chat ?…
« Jamais encore de ma vie
« Je n’ai tant éprouvé l’envie
« De manger d’un tel mets. D’après mon odorat,
« J’imagine que ce doit être
« Un plat au moins digne des Dieux !…
« Ne ferions-nous pas bien, mon vieux,
« D’y goûter avant notre maître ?…
« On ne le saura pas. Voyons…
« La fortune, en tous temps, favorisa l’audace.
« D’ailleurs ne sommes-nous pas seuls en cette place ?… »

Mitis séduit commence à tirer les marrons,
Il écarte la cendre et sa patte légère
En attrappe un, puis deux, puis trois
Que Fagotin, rusé matois,
Croque à l’insu de son compère :
« Bravo ! Mitis, bravo !… le tour n’est pas mauvais,
Disait-il en riant, lorsque soudain arrive
Le cuisinier. Notre singe s’esquive ;
Raton est assommé sans forme de procès.

Le plus petit voleur est souvent la victime
Des méfaits du plus grand.
Qu’il ait, ou qu’il n’ait pas su profiter du crime
On le pend.