Fables (Stevens)/39

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Imprimerie de John Lovell (p. 70-71).

XXXIX.

LA ROSE ET LE PAPILLON.


Un papillon coquet vit une fraîche rose
Hier bouton encor, mais ce matin éclose ;
Il l’aima. — « Douce fleur ! lui dit-il à genoux,
« Ô reine des jardins que tu me parais belle !
« Je t’aime, je t’adore ; aime-moi, jurons-nous
 « Dès ce moment une flamme éternelle.
 « Je ne veux vivre que pour toi ?… »
 — « Et moi
« Lui répondit la rose en soupirant de même
« Gracieux papillon ! je t’aime, oh oui, je t’aime !
« Et pour toi, pour toi seul sera tout mon amour… »

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Mais le bonheur fatigue. Un matin le volage
Délaisse son amante et va faire le page
Gaîment de fleur en fleur jusqu’au déclin du jour.
— « Ingrat ! lui dit la rose, est-ce là cette flamme
« Que tu m’avais jurée, est-ce là ce volcan
« D’amour impétueux et toujours renaissant
 « Qui devait brûler dans ton âme ?…
« Eh quoi ? perfide amant ! sans penser à mes pleurs,
 « Sans songer à ma peine,
« Tu ne m’as pas plus tôt fait sentir ton haleine
« Que tu voles déjà courtiser d’autres fleurs ?…
« Infâme !… je te hais… va-t-en ! — « Rose coquette,

 « Lui répondit le papillon,
« Calmez-vous ; vos fureurs ne sont pas de saison.
« Quel était ce zéphir qui vous contait fleurette
« En mon absence ?… et puis que chantait ce frêlon
« Qui prenait avec vous des airs de compagnon ?
« Allez !… ma pauvre fleur, vous me dites volage
 « Mais vous l’êtes plus que le vent.
 « Une autre fois soyez plus sage
 « Et l’on sera moins inconstant. »

 Si quelqu’une de vous, mesdames,
 S’offensait de cette leçon,
Qu’elle parle !… à genoux j’implorerai pardon ;
Car je vous aime trop pour médire des femmes.