Fables (Stevens)/48

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Imprimerie de John Lovell (p. 88).

XLVIII.

ÉSOPE JOUANT AUX NOIX.


Avec quelques enfants Ésope aux noix jouait,
Et comme eux à l’envi riait, chantait, dansait :
« Ah, le plaisant bossu !… nous vient-il d’Anticyre !…
« Dit un passant railleur en éclatant de rire.
« Quoi ? jouer lorsqu’on a le crâne grisonnant,
« Au milieu des marmots ?… des plus petits encore !…
« Laissez-les là, vos noix ; pauvre vieux !… car vraiment
« Vous avez plus besoin d’un flacon d’ellébore !… »
Ésope, cependant, — sans se préoccuper
Ni de notre rieur, ni de la multitude
 Qui commençait à l’entourer ; —
Ramasse un arc, le tend avec sollicitude
Et le plaçant debout au milieu du chemin :
« Ça, monsieur le railleur, lui dit-il d’un air fin,
 « Voulez-vous expliquer, de grâce,
« Ce que j’entends par là ?… » — Notre homme chagriné
Se gratte les cheveux, roule un œil étonné
 Sur Ésope et la populace,
Enfin se dit vaincu. — « Mon cher, voici le sens
« De l’arc en question, lui repartit de suite
« Le vieillard. Tel qu’il est il se brisera vite ;
« Mais celui qui voudra le conserver longtemps
« Aura soin quelque fois d’en relâcher la corde.
 « C’est ainsi qu’à son esprit
 « Tout homme prudent accorde
 « Quelques moments de répit. »