Fables canadiennes/02/La ligue des rats

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C. Darveau (p. 91-94).

FABLE V

LA LIGUE DES RATS

 Un jeune chat, naguère,
 Faisait souvent la guerre
 Aux rats :
 C’était pour cette gent rongeuse
 Un embarras
 Qui la rendait songeuse ;
Elle en était réduite à rester dans son trou,
 Sous verrou.

 Un tel état de siége
 Était plus irritant
 Que n’importe quel piége.
 Il était important
 D’y mettre fin tout de suite ;
 Mais le moyen ?
Il fallait le trouver, on agirait ensuite.

 Le doyen,
Un vieux qui bien des fois avait vu la bataille
 D’assez loin,
Prit sur lui d’assembler noblesse et valetaille
 Dans un coin.
On vint de toute part : du grenier, de la cave
 Et même du dehors.
Certains rats étaient frais, d’autres avaient l’œil cave ;
 Celui-ci passait pour retors,
Celui-là, disait-on, mettait les chats en fuite,
Et tous avaient tenu la plus belle conduite
 En mainte occasion.

 Le vieux prit la parole
 Et dit avec concision :

— Notre jeune ennemi sans pitié nous immole ;
 Il nous guette partout.
 Ma douceur est à bout.
 Il faut lui faire entendre
 Ce que l’on doit attendre
 D’un rat digne de ce nom !

 — Non !
 Reprit un autre énergumène,
 Ne nous laissons plus effrayer
 Par ce bambin qui nous malmène,
 Qui sait à peine bégayer
 Et se vante de son mérite !

 — Sa lâcheté m’irrite,
 Dit sur le même ton
 Un raton ;
 Il se cache pour nous surprendre
 Et n’agit que sournoisement.

 — Lorsqu’il nous tient séparément
Il est plus fort que nous, cela doit se comprendre ;
II ne le sera pas si nous nous unissons,
Dit un autre opinant à la mine superbe.


On fit longtemps encor de l’éloquence acerbe,
Et l’on voyait courir d’énergiques frissons
 Dans l’illustre assemblée.
 On décida d’emblée
D’aller en plein soleil provoquer maître chat,
Et, par un coup brillant, de faire le rachat
 De l’antique indépendance
 Des rats et des souris.
Devant tant de héros le pauvre chat, surpris,
Perdrait bien son outrecuidance
 Et fuirait tout confus…
 On comptait là-dessus.

On partit plein d’ardeur pour tenter l’aventure,
Mais le chat qui guettait au bord de l’ouverture
Par où les valeureux s’attendaient de sortir,
Miaula tout à coup d’une voix ironique.
Les rats furent saisis d’une affreuse panique,
Et chacun dans son trou s’en alla se blottir.


Vous n’aurez jamais de problèmes
En multipliant des zéros,
Multipliez les poltrons mêmes
Vous n’aurez jamais de héros.