Fables canadiennes/03/La fauvette et l’épi de blé

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FABLE V

LA FAUVETTE ET L’ÉPI DE BLÉ

 Sur le bord d’une route
 Un épi de froment,
 Né du hasard sans doute,
 Se penchait tristement.
 Il croissait dans la solitude
 Et jamais la sollicitude
 Ne l’avait protégé.
 Il en était bien affligé,
 Car il songeait qu’à la moisson prochaine

Le moissonneur ne prendrait pas la peine
 De le recueillir,
 Et que sur sa tige,
 Sans aucun prestige,
 Il faudrait vieillir.

 Une implacable sécheresse
 Vint ajouter à sa détresse ;
 Il crut bien qu’il allait périr
 Avant de mûrir.
 Heureusement qu’une fauvette
 Quand le jour avait lui,
 Venait chanter sa chansonnette
 Auprès de lui.

— Toi dont le cœur est bon, entends ma voix plaintive,
 Doux chantre ailé,
 Lui dit-il désolé,
Va me chercher là-bas quelques gouttes d’eau vive,
 Je voudrais vivre encor.

 L’oiseau prit son essor
 Et, d’une aile rapide,
 À la source limpide
 Vola, compatissant ;

 Il puisa quelques gouttes
 Et vint les verser toutes
 Sur l’épi languissant.
C’en fut assez. L’épi, sous la molle rosée,
 Retrouva sa force épuisée
 Et sa vigueur ;
Il trouva l’existence un peu moins monotone
 Et, lorsque vint l’automne
 Avec sa rigueur,
 Il était mûr, et sa tête superbe
 Se balançait avec orgueil.
Alors il entendit, dans une touffe d’herbe,
 Un chant de deuil.
Il écouta. C’était la fauvette obligeante.

— Qu’as-tu donc, lui dit-il d’une voix engageante,
 Qu’as-tu donc à gémir ainsi ?

— J’ai faim, répondit-elle, et cherche quelques graines…
 Je voudrais voler loin d’ici
 Et mes ailes sont vaines !

 — Mes grains sont mûrs ; viens près de moi,
 Je te les donne
 Et m’abandonne
 À toi.

 
L’épi, vers la terre endormie,
À ces mots, s’inclina soudain,
Et la fauvette son amie
 Ne mourut pas de faim.


Faites la charité, faites sans bruit l’aumône,
 Pour Dieu d’abord et puis pour vous ;
Car vous ne savez pas, fussiez-vous sur un trône,
 Ce que vous garde un sort jaloux.