Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/08

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LES SINGES ET LA LUNE


Dans une forêt solitaire,
Et la plus belle de la terre,
Jouaient des singes bondissants ;
Ils avançaient en longue bande,
Au nombre de plus de cinq cents :
Ainsi le conte une légende.

Après avoir beaucoup marché,
Sur un puits ils s’étaient penchés.
La lune se mirait dedans :
— « La nuit restera toujours brune
« Si nous ne repêchons la lune ! »
Dirent ces singes imprudents.

« Il nous faut secourir le monde,
« Ne perdons pas une seconde,
« Sauvons-le de l’obscurité.

« Si rien n’éclairait les ténèbres
« Comme les soirs seraient funèbres
« Pour tout l’univers habité ! »

— « Pour pêcher l’astre, comment faire ? »
— « C’est simple, amis, j’ai votre affaire »
Dit leur chef — « il faut s’attacher :
« Tandis qu’à l’arbre, je m’accroche,
« Formez chaînons, de proche en proche,
« De tête en queue, et sans lâcher. »

Une guenon tenait la lune…
Presque… il ne s’en fallait que d’une…
Lorsque, crac ! la branche cassa.
Le dieu de l’arbre, philosophe,
N’ajouta plus que cette strophe,
Lorsqu’au fond la bande glissa :

« Comment ces fous, même en grand nombre,
« Nous eussent-ils sauvés de l’ombre ?
« Ils ne savent pas seulement,
« Tant leur bêtise est inféconde,
« Avant d’illuminer le monde
« S’éclairer de leur jugement. »