Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/10

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LA TOURTERELLE DU BOUDDHA


Le Bouddha fut un homme doux,
Rou ou ou ou, rou ou ou ou.
Dans une vie antérieure,
D’après un vieux texte, il fut roi :
Voulant se soumettre à la loi
Qui serait pour tous la meilleure,
Rou ou ou ou, rou ou ou ou.
Le Bouddha fut un homme doux.

Pour éprouver son grand amour
Les dieux lui jouèrent ce tour :
L’un se transforme en tourterelle,
L’autre se change en épervier
Qui plane et la vient épier.
Elle s’envole sous l’aisselle
Rou ou ou ou, rou ou ou ou.
Du Bouddha, cet homme si doux.

Or il s’était juré souvent
De sauver tout être vivant,
De ne faire à nul de la peine.
L’épervier dit alors au roi :
— Tu m’as fait de la peine, à moi ;
Tu m’as privé de mon aubaine !
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
Je te croyais pourtant si doux !

Le roi lui dit : « Qu’exiges-tu,
Grand épervier, de ma vertu ? »
Il reprit : — Que le roi me donne
Poids égal de chair ou de sang. —
— Je ne saurais percer le flanc,
Répondit le roi — de personne,
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
J’ai juré d’être un homme doux.

J’ai juré de ne point tuer,
J’ai juré de m’évertuer
À protéger la créature. —
— Est-ce me protéger cela ?
Riposte l’épervier, holà !
Vous m’avez pris ma nourriture,
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
Est-ce agir en homme si doux ? —

Le bon roi saisit un couteau
Et déposant, dans un plateau
De balance, la tourterelle,
Dans l’autre, il mit un gros morceau
De sa propre chair pour l’oiseau.
Ah ! n’eut-il pas une âme belle,
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
Ne fut-il pas un homme doux ?

Mais la chair du plus saint des rois
Ne faisait jamais contrepoids
Et le corps de la tourterelle
Que ce roi sauvait par amour
Devenait lourd, toujours plus lourd…
— Il faut que mon plateau chancelle —
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
Dit le Bouddha, toujours plus doux.

Dans la balance il mit son corps,
S’écriant : « Qu’on me mette à mort
« Je veux sauver la tourterelle
« Et je veux rendre à l’épervier
« Son repas de chair tout entier… »
On connut sa vertu réelle
Et chacun dit : Rou ou ou ou,
« Le Bouddha fut un homme doux.

« Tous admirons cet homme doux
« Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
« Dont l’âme exquise fut si belle
« Qu’il donna son corps tout entier
« Pour arracher à l’épervier
« Une innocente tourterelle,
« Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
« Fut-il jamais homme aussi doux ? »

Alors les devas[1], attendris
Par cet hommage de grand prix,
Rendirent au bon roi justice :
Son corps redevint comme avant.
N’avait-il pas été savant
Dans l’art divin du sacrifice ?
Rou ou ou ou, rou ou ou ou,
Qu’il est dur d’être un homme doux !

  1. Devas, divinités.