Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/11

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LE PERROQUET RECONNAISSANT


Un perroquet,
Las du caquet
De cent perruches dégourdies,
Étourdissantes, étourdies,
S’en fut, seulet,
Se reposer sur une terre
Étrangère.
Là tous les animaux,
Et surtout les oiseaux,
Lui firent un accueil doucement favorable.
Cependant il sentit qu’il était convenable
De n’en point abuser
Et, sans ruser,
Leur dit un jour : « Je dois regagner ma demeure. »
Sur l’heure,
Il repartit comme il était venu,
Sans être retenu.

Mais un grand incendie aux flancs de la montagne,
Éclata, dévorant villages et campagne.
Le perroquet, de loin, voyant le vaste feu
Monter vers le ciel bleu,
Entra dans l’eau, puis, les ailes mouillées
Et déployées,
Il s’envola. Parvenu sur les lieux,
Il sema de son mieux
L’eau qui perlait sur son plumage.
Il fit et refit ce voyage
Au-dessus des bois
Plusieurs fois.
— Hé perroquet Quelle est votre sottise ! —
Dit un deva[1] ; — prétendez-vous, à votre guise,
Éteindre un feu qui couvre mille Li[2],
Avec l’eau transportée au pli
De vos ailes
Si grêles ?
— Je sais que je n’éteindrai point
Avec un aussi faible appoint
Cet incendie immense —
Dit le perroquet, — mais je pense

Qu’ayant reçu son amitié,
Je dois mon aide secourable
Et ma pitié
Au peuple aimable
Qui dans votre pays m’avait traité naguère
Comme un frère :
Je ne puis supporter de le voir tant souffrir
Sans le secourir. —

Touchés de cette gratitude,
Les dieux changèrent d’attitude
Et firent descendre d’en haut
La pluie
Sur l’incendie
Qu’ils maîtrisèrent aussitôt.

  1. Deva, divinité.
  2. Li, mesure de longueur, représentant un demi-kilomètre environ.