Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/18

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LE DON DE LA PAUVRE FEMME[1]


Quand un être pauvre abandonne
Ce qui pourrait calmer sa faim,
Quand l’indispensable il le donne,
Il le fait simplement afin
D’avoir cette âme sainte et bonne
Qu’admira
Le Bouddha.

Voici l’anecdote
Dont nous dote
En effet,
L’Honoré du Monde
Et qu’il fonde
Sur ce fait
Qu’il note :

Autrefois un roi convoqua
Les multitudes les plus grandes
Dans le but d’avoir des offrandes
Pour les disciples du Bouddha.
Une pauvre vieille en haillons
Qui vivait d’infimes aumônes
— Voyant entrer par bataillons
Brahmanes et laïcs aux prônes
Du vénérable Saint —
Forma, joyeuse, le dessein
De lui porter son humble obole
Et, comme eux, d’ouïr sa parole.

Lorsqu’on vient au palais des rois
Pour échanger un sac de pois
Contre une parabole,
Les gardes vous font un accueil
Qui vous en interdit le seuil.
Or le Bouddha, sentant la flamme
Qui brûlait au fond de cette âme,
Fait tomber les pois dans les plats
Au milieu du repas.

Le roi se met fort en colère
Contre son cuisinier maudit :

Évidemment il considère
Qu’il ne fait pas ce qu’on lui dit.
Mais le Bouddha lui répond : « Sire,
« Pardon,
« Une pauvre femme désire
« Nous faire un don
« Qui vaut mieux — je dois vous le dire —
« Que les riches présents des rois
« Sans craindre de jeûner parfois,
« Elle a, pour nous, cueilli ces pois.
« Son bonheur, plus grand que tout autre,
« Surpassera beaucoup le vôtre !
« Payés sur les fonds du trésor,
« Vos beaux festins, dans des plats d’or,
« C’est votre peuple qui les offre,
« Lui seul a rempli votre coffre,
« Et de dons superflus encor !
« Tandis que la vieille a vraiment
« Sacrifié, d’un cœur aimant,
« Son nécessaire,
« Pour bien faire ».

Il faut juger l’intention,
Non l’action.

  1. Comparer ce récit à celui qui se rapporte au denier de la veuve dans les Évangiles.