Fables chinoises du IIIe au VIIIe siècle de notre ère/09

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LA TORTUE ET LA GRUE[1]


Une jeune tortue en vain cherchait à boire :
Depuis des jours, depuis des mois,
Il n’était pas tombé sur les champs et les bois
Un orage, une averse, voire
Trois gouttes à la fois.
La chaleur tarissait les lacs, les rivières
Les feuilles séchaient aux rameaux,
Le riz, au sein des rizières ;
Des arbres dépouillés entouraient les hameaux.
Or une grue
Descendit en planant tout près de la tortue.
Celle-ci l’implora : — Sauvez-moi par pitié ! —
— Volontiers —
Dit l’oiseau. Fermant comme une pince
Son bec sur la tortue, à travers la province

Elle emporte bien haut le petit animal.
Ils voyageaient que bien que mal
Lorsqu’ils aperçurent, lointaine,
Une ville dans la plaine.
Celle qui n’avait point mis hors de la maison
Son nez, de toute la saison,
S’écria : — Qu’est ceci ? Qu’est cela ? Mon amie,
De ma vie
Je n’avais encor vu de pareils monuments !
Et quels vergers quels bois charmants ! —
La grue alors voulut étaler sa science
Et son expérience
Mais en ouvrant le bec… elle ouvrit le tombeau
De son fardeau
Entre quelques passants, de suite partagée,
La curieuse fut… mangée.

Presque toujours, c’est grand’vertu
De s’être tu.
Soyons avares de harangue
Méfions-nous de notre langue.

  1. Cf. La Fontaine, La Tortue et les deux Canards, livre X, fable 5.