Fables d’Ésope (trad. Chambry, 1927)/Le Rat des Champs et le Rat de Ville (bilingue)

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LE RAT DES CHAMPS ET LE RAT DE VILLE
[1]


Un rat des champs avait pour ami un rat de maison. Le rat de maison invité par son ami s’empressa d’aller dîner à la campagne. Mais comme il n’avait à manger que de l’herbe et du blé, il dit : « Sais-tu bien, mon ami, que tu mènes une vie de fourmi ? Moi, au contraire, j’ai des biens en abondance. Viens avec moi, je les mets tous à ta disposition. » Ils partirent aussitôt tous les deux. Le rat de maison fit voir à son camarade des légumes et du blé, et avec cela des figues, un fromage, du miel, des fruits. Et celui-ci émerveillé le bénissait de tout son cœur, et maudissait sa propre fortune. Comme ils s’apprêtaient à commencer le festin, soudain un homme ouvrit la porte. Effrayés du bruit, nos rats se précipitèrent peureusement dans les fentes. Puis comme ils revenaient pour prendre des figues sèches, une autre personne vint chercher quelque chose à l’intérieur de la chambre. À sa vue, ils se précipitèrent encore une fois dans un trou pour s’y cacher. Et alors le rat des champs, oubliant la faim, soupira et dit à l’autre : « Adieu, mon ami, tu manges à satiété et tu t’en donnes à cœur joie, mais au prix du danger et de mille craintes. Moi, pauvret, je vais vivre en grignotant de l’orge et du blé, mais sans craindre ni suspecter personne. »

Cette fable montre qu’il vaut mieux mener une existence simple et paisible que de nager dans les délices en souffrant de la peur.

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Μῦς ἀρουραῖος καὶ μῦς ἀστικός.

Μῦς ἀρουραῖος τὸν ἐν οἴκῳ ἐφίλει.

Ὁ δὲ τοῦ οἴκου κληθεὶς ὑπὸ τοῦ φίλου

ἦλθεν εὐθέως δειπνήσων εἰς ἀρούρας.

Ὁ δὲ ἐσθίων κριθὰς καὶ σῖτον ἔφη·

« Γίνωσκε, φίλε, μυρμήκων ζῇς τὸν βίον·

ἐπείπερ δ᾿ ἐμοὶ ἀγαθῶν ἐστι πλῆθος,

ἐμοὶ σύνελθε καὶ ἀπολαύσεις πάντων. »

Καὶ παραχρῆμα ἀπῄεσαν οἱ δύο.

Καὶ ὃς ὑπεδείκνυ ὄσπρια καὶ σῖτον,

φοίνικας ἅμα, τυρόν, μέλι ὁπώρας.

Ὁ δ᾿ αὖ θαυμάζων αὐτὸν ηὐλόγει σφόδρα

καὶ τὴν ἑαυτοῦ κατεμέμφετο τύχην.

Βουλομένων δὲ ἀπάρξασθαι ἐσθίειν,

ᾔνοιξεν εὐθὺς ἄνθρωπός τις τὴν θύραν.

Φοβηθέντες δὲ οἱ δειλαῖοι τὸν κτύπον

εἰσεπήδησαν οἱ μῦς εἰς τὰς ῥαγάδας.

Ὡς δὲ ἤθελον πάλιν ἰσχάδας ἆραι,

ἧκεν ἕτερος τοῦ λαβεῖν τι τῶν ἔνδον.

Οἱ δὲ καὶ πάλιν θεασάμενοι τοῦτον

εἰσεπήδησαν κρυβέντες ἐπὶ τρώγλης.

Ὁ δ᾿ ἀρουραῖος ὀλιγωρῶν τῇ πείνῃ

ἀνεστέναξε καὶ πρὸς τὸν ἄλλον ἔφη·

« Χαῖρε σύ, φίλε, κατεσθίων εἰς κόρον

ἐπαπολαύων αὐτὰ μετ᾿ εὐφροσύνης

καὶ τοῦ κινδύνου καὶ τοῦ πολλοῦ τοῦ φόβου·

ἐγὼ δ᾿ ὁ τάλας κριθὴν καὶ σῖτον τρώγων

ζήσω ἀφόβως μηδένα ὑποπτεύων. »

          Ὁ μῦθος δηλοῖ ὅτι 



  1. On connaît la belle fable d’Horace sur le même sujet, Sat. II, 6, 79-117 et la jolie traduction qu’en a faite André Chénier. Babrius a également mis en scène le Rat des Champs et le Rat de Ville, fable 107. C’est de la fable de Babrius, par l’intermédiaire de sa paraphrase en prose qu’on trouvera dans notre édition critique p. 398, qu’est dérivée la rédaction en vers scazons politiques que nous donnons ici. Ces vers sont des dodécasyllabes soumis à deux lois : la césure après la 5e ou la 7e syllabe, et l’accent tonique sur l’avant-dernière syllabe. Le Rat de Ville et Le Rat des Champs de La Fontaine ne doit rien à nos deux rédactions grecques. Elles ne se trouvent ni dans l’édition d’Accurse (1479), ni dans celle de Nervelet (1610). Celle que nous donnons ici a paru pour la 1re fois dans l’édition de Furia (1810), l’autre dans l’édition du manuscrit d’Oxford publiée par Pierre Knöll en 1871.