Fables de Florian (1838)/4/Le Courtisan et le Dieu Protée

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LE COURTISAN ET LE DIEU PROTÉE.

FABLE XI.

LE COURTISAN ET LE DIEU PROTÉE.


O

n en veut trop aux courtisans,

On va criant partout qu’à l’État
inutiles,
On va criant partout qu’à l’ÉtatPour leur seul intérêt ils se montrent habiles
Ce sont discours de médisants.

J’ai lu, je ne sais où, qu’autrefois en Syrie
Ce fut un courtisan qui sauva sa patrie ;
Voici comment. Dans le pays
La peste avait été portée,
Et ne devait cesser que quand le dieu Protée
Dirait là-dessus son avis.
Ce dieu, comme l’on sait, n’est pas facile à vivre ;
Pour le faire parler il faut longtemps le suivre,

Près de son antre l’épier,
Le surprendre et puis le lier,
Malgré la figure effrayante
Qu’il prend et quitte à volonté.
Certain vieux courtisan, par le roi député,
Devant le dieu marin tout à coup se présente.
Celui-ci, surpris, irrité,
Se change en noir serpent : sa gueule empoisonnée
Lance et retire un dard messager du trépas,
Tandis que dans sa marche oblique et détournée,
Il glisse sur lui-même et d’un pli fait un pas.
Le courtisan sourit : Je connais cette allure,
Dit-il, et mieux que toi je sais mordre et ramper.
Il court après pour l’attraper,
Mais le dieu change de figure ;
Il devient tour à tour loup, singe, lynx, renard.
Tu veux me vaincre dans mon art,
Disait le courtisan ; mais depuis mon enfance,
Plus que ces animaux avide, adroit, rusé,
Chacun de ces tours-là pour moi se trouve usé.
Changer d’habit, de mœurs, même de conscience,
Je ne vois rien là que d’aisé.
Lors il saisit le dieu, le lie,
Arrache son oracle et retourne vainqueur.

Ce trait nous prouve, ami lecteur,
Combien un courtisan peut servir la patrie.