Fables de Florian (1838)/5/L’Âne et la Flûte

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L’ÂNE ET LA FLÛTE.

FABLE V.

L’ÂNE ET LA FLÛTE.


L

es sots sont un peuple nombreux,

Trouvant toutes choses faciles :
Il faut le leur passer, souvent ils
sont heureux,
Grand motif de se croire habiles.
es sots sont un peuple nombreux,
Un âne, en broutant ses chardons,
Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage,
D’une flûte dont les doux sons
Attiraient et charmaient les bergers du bocage.
Cet âne mécontent disait : Ce monde est fou !
Les voilà tous, bouche béante,
Admirant un grand sot qui sue et se tourmente
À souffler dans un petit trou.

C’est par de tels efforts qu’on parvient à leur plaire,
Tandis que moi… Suffit… Allons-nous-en d’ici,
Car je me sens trop en colère.
Notre âne, en raisonnant ainsi,
Avance quelques pas, lorsque sur la fougère,
Une flûte, oubliée en ces champêtres lieux
Par quelque pasteur amoureux,
Se trouve sous ses pieds. Notre âne se redresse,
Sur elle de côté fixe ses deux gros yeux ;
Une oreille en avant, lentement il se baisse,
Applique son naseau sur le pauvre instrument,
Et souffle tant qu’il peut. Ô hasard incroyable !
Il en sort un son agréable.
L’âne se croit un grand talent,
Et, tout joyeux, s’écrie, en faisant la culbute :
Eh ! je joue aussi de la flûte.