Fables de Florian (1838)/5/Le Paysan et la Rivière

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LE PAYSAN ET LA RIVIÈRE.

FABLE VI.

LE PAYSAN ET LA RIVIÈRE.


J

e veux me corriger, je veux

changer de vie,
Me disait un ami ; dans des liens
honteux
Me disait un ami ; dans des liensMon âme s’est trop avilie :
J’ai cherché le plaisir, guidé par la folie,
Et mon cœur n’a trouvé que le remords affreux.
C’en est fait, je renonce à l’indigne maîtresse
Que j’adorai toujours sans jamais l’estimer ;
Tu connais pour le jeu ma coupable faiblesse,
Eh bien ! je vais la réprimer ;
Je vais me retirer du monde,
Et, calme désormais, libre de tous soucis,
Dans une retraite profonde,

Vivre pour la sagesse et pour mes seuls amis.
Que de fois vous l’avez promis !
Toujours en vain, lui répondis-je.
Çà, quand commencez-vous ? — Dans huit jours sûrement.
— Pourquoi pas aujourd’hui ? Ce long retard m’afflige.
— Oh ! je ne puis dans un moment
Briser une si forte chaîne :
Il me faut un prétexte ; il viendra, j’en réponds.
Causant ainsi, nous arrivons
Jusque sur les bords de la Seine,
Et j’aperçois un paysan
Assis sur une large pierre,
Regardant l’eau couler d’un air impatient.
— L’ami, que fais-tu là ? — Monsieur, pour une affaire
Au village prochain je suis contraint d’aller ;
Je ne vois point de pont pour passer la rivière,
Et j’attends que cette eau cesse enfin de couler.

Mon ami, vous voilà, cet homme est votre image :
Vous perdez en projets les plus beaux de vos jours :
Si vous voulez passer, jetez-vous à la nage,
Car cette eau coulera toujours.