Fables de Florian (1838)/5/L’Auteur et les Souris
FABLE XX.
L’AUTEUR ET LES SOURIS.
n auteur se plaignait que ses
meilleurs écrits
Étaient rongés par les souris.
Il avait beau changer d’armoire,
Avoir tous les pièges à rats,
Et de bons chats,
Rien n’y faisait ; prose, vers, drame, histoire,
Tout était entamé. Les maudites souris
Ne respectaient pas plus un héros et sa gloire,
Ou le récit d’une victoire,
Qu’un petit bouquet à Chloris.
Notre homme au désespoir, et, l’on peut bien m’en croire,
Pour y mettre un auteur peu de chose suffit,
Jette un peu d’arsenic au fond de l’écritoire ;
Puis dans sa colère il écrit.
Comme il le prévoyait, les souris grignotèrent,
Et crevèrent.
C’est bien fait, direz-vous, cet auteur eut raison.
Je suis loin de le croire : il n’est point de volume
Qu’on n’ait mordu, mauvais ou bon :
Et l’on déshonore sa plume
En la trempant dans du poison.