Fables de Florian (Chabert, 1833)/1/La Fable et la Vérité

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LIVRE PREMIER.




FABLE PREMIÈRE.

La Fable et la Vérité.


La Vérité toute nue
Sortit un jour de son puits.
Ses attraits par le temps étaient un peu détruits,
Jeunes et vieux fuyaient sa vue.
La pauvre Vérité restait là morfondue,
Sans trouver un asile où pouvoir habiter.
A ses yeux vint se présenter
La Fable richement vêtue,
Portant plumes et diamans,
La plupart faux, mais très bilians.
Eh ! vous voilà : bonjour, dit-elle :

Que faites-vous ici seule sur un chemin ?
La Vérité répond : Vous le voyez, je gèle ;
Aux passans je demande en vain
De me donner une retraite,
Je leur fais peur à tous. Hélas ! je le vois bien,
Vieille femme n’obtient plus rien.
Vous êtes pourtant ma cadette,
Dit la Fable, et, sans vanité,
Partout je suis fort bien reçue.
Mais aussi, dame Vérité,
Pourquoi vous montrer toute nue ?
Cela n’est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ;
Qu’un même intérêt nous rassemble :
Venez sous mon manteau, nous marcherons ensemble.
Chez le sage, à cause de vous,
Je ne serai point rebutée ;
A cause de moi, chez les fous
Vous ne serez point maltraitée.
Servant par ce moyen chacun selon son goût,
Grâce à votre raison, et grâce à ma folie,
Vous verrez, ma sœur, que partout
Nous passerons de compagnie.