Fabrique de poteries artistiques à Fontenay, près de Rennes, au XVIe et au XVIIe siècle

La bibliothèque libre.

FABRIQUE

de

POTERIES ARTISTIQUES

À FONTENAY, PRÈS DE RENNES

Au xvie et au xviie siècle.


L’homme qui, primitivement, a dû, pour étancher sa soif, recueillir l’eau dans le creux de ses mains, puis dans des coquilles et des cornes d’animaux, ne fut sans doute pas longtemps avant de remarquer que les objets que l’on posait et que l’on pressait sur certaines terres détrempées y laissaient en creux leur empreinte, et que cette empreinte persistait lorsque l’ardeur du soleil ou le feu d’un brasier durcissait ces terres en les desséchant. La conséquence de cette observation dut être bientôt la fabrication de poteries grossières ; on en a, en effet, rencontré des échantillons, avec des débris humains, dans les fouilles de terrains appartenant à l’époque du renne, et même à une époque préhistorique bien plus reculée, celle du mamhout et du grand ours des cavernes.

Mais la terre rugueuse et poreuse de ces poteries primitives laissait beaucoup à désirer, au point de vue des usages domestiques et aussi au point de vue décoratif, jusqu’à ce que l’industrie humaine l’eût rendue imperméable, au moyen d’une glaçure, d’une couverte silice-alcaline. Plus tard, on rencontre un vernis plus perfectionné sur des poteries assyriennes et égyptiennes, un vernis vert ou bleu-turquoise, formé de silicate de plomb et de soude, coloré par l’oxyde de cuivre et d’autres matières minérales. Les Phéniciens, auxquels on attribue l’invention du verre, paraissent avoir fabriqué l’émail véritable, c’est-à-dire un vernis coloré par des oxydes métalliques et rendu opaque par une certaine quantité d’étain. Les Hébreux le connaissaient, — Ézéchiel en parle, — l’Étrurie le possédait à l’époque de Porsenna, et, dès le iiie siècle de l’ère chrétienne, on constate son existence en Gaule.

Chez les Grecs, la poterie était des plus communes pour ce qui est de la terre, dont la pâte poreuse, presque grossière, était lustrée seulement par une couverte vitreuse, qui ne modifiait que peu la couleur de l’argile. Mais, tandis qu’ailleurs on semblait s’occuper surtout du mérite industriel, la Grèce, en se dégageant de la tradition orientale et recherchant particulièrement la beauté de la forme, la pureté du dessin et la grâce du décor, éleva la céramique à la dignité d’art. C’est que le peuple grec était par-dessus tout un peuple artiste : « Les dieux, disait Platon, nous ont donné le sentiment de la mesure et de l’harmonie. » Les réalités ne servaient qu’à exprimer les sentiments de l’âme, les conceptions de l’esprit ; et l’on remarque que la fabrication de ces vases grecs, qui l’ont l’ornement de nos musées, atteignit au plus haut point de perfection, précisément à l’époque où, dans ce pays privilégié, l’architecture, la sculpture et la peinture brillèrent du plus vif éclat. Guidés par un sentiment juste des proportions et par une convenance parfaite relativement à l’appropriation des objets, les Grecs n’adoptèrent jamais pour leurs vases qu’un système d’ornements d’un faible relief, afin d’éviter que la saillie vint en interrompre les lignes générales et nuire à l’élégante pureté du galbe ; le plus souvent même, ils se bornèrent à orner les parois de ces vases de peintures appliquées de manière à en faire valoir la forme. Les œuvres dans lesquelles une décoration exubérante dénote la recherche du luxe, bien plutôt que celle du beau absolu, ne sont certes pas de l’époque où Phidias donnait ses conseils au potier Mys, son élève ; elles se rapprochent bien plus de celle où, sous les successeurs d’Alexandre, disparaissait le grand art.

Chez les Romains, il n’y a pas de vases peints, comme on en rencontre chez tous les peuples de race hellénique, surtout chez les Étrusques. L’art romain a une physionomie propre, il se distingue par un grand sentiment de puissance et d’énergie, et parce qu’il est marqué au sceau d’une vivante réalité. Les variétés de formes des œuvres céramiques de fabrique romaine révèlent la multitude des usages auxquels elles étaient destinées, et, pour quelques-unes, l’élégance de la forme, le choix délicat, ou plutôt la richesse de la décoration en relief et les soins extrêmes apportés a la fabrication, indiquent des poteries de luxe. On connaît des vases romains et gallo-romains en terre noire, en terre grise, d’autres à l’aspect bronzé ; il existe surtout de très-nombreux échantillons d’une poterie rouge, en terre très-fine, présentant une glaçure vitreuse, dont souvent on a comparé l’éclat à celui de la cire à cacheter. En 1845, on a trouvé à Rennes, dans les jardins au Nord de la rue d’Echange, derrière l’hôpital militaire, en même temps que quelques monnaies romaines du haut Empire, une telle masse de fragments, de débris de cette poterie rouge, mêlée à quelques fragments de poterie noire, qu’il est évident qu’il existait là, à l’époque de l’occupation romaine, une fabrique de ces produits céramiques, dont la décoration très-variée est souvent curieuse à étudier (1).

Dans les siècles de ténèbres et de barbarie qui suivirent la chute de l’Empire romain ; non-seulement toute idée, toute recherche du beau semble inconnue, mais les procédés techniques de la céramique tombent eux-mêmes en oubli. Les industries relatives aux métaux se conservent encore, peut-être, en raison du besoin qu’on en avait pour les guerres continuelles qui remplissent l’histoire de ces tristes époques. Les rois, les princes, les hauts barons, buvaient dans des hanaps d’or ou d’argent, les bourgeois dans des vases de bronze ou d’étain, et on avait seulement, pour la vaisselle usuelle, des ustensiles de terre commune, analogue a celle dont on fait des briques, brunâtres de couleur, sans vernis ni couverte, ayant pour tout ornement des bariolages de terre rouge ou blanche, et sans aucune valeur au point de vue de l’art. Les poteries des Francs, d’un gris tirant sur le noir, ont des contours heurtés, des formes auxquelles ne présida jamais la moindre recherche de la grâce ; sous les Mérovingiens, on remarque des zones, des stries, des zigzags imprimés a la main ou à la roulette, sur des vases de facture grossière ; mais, dès le xie siècle, la terre est enduite, pour être rendue imperméable, d’un vernis rhombique, et au xive apparaissent des produits moins imparfaits, des plats de terre rouge où se voient des fleurs et des ornements en terre blanche ou noire. On conserve aussi dans les musées, — il y en a plusieurs au musée de Rennes, provenant des chapelles ou châteaux de Bretagne, — des briques historiées de ce xive siècle, qui ont fait partie de carrelages ou de parements d’édifices. Le système d’ornementation est de deux sortes : il consiste, pour les unes, en sillons pratiqués sur la terre encore molle et remplis d’une autre terre de couleur tranchée, le tout recouvert d’un vernis plombifère transparent. Quelquefois, pour un ornement un peu développé, une grande rosace par exemple, le rapprochement de deux ou de quatre de ces briques, qui en portent chacune une partie, est nécessaire. Dans le second mode, ce sont des dessins en relief, que la glaçure en fusion, restant moins épaisse sur les saillies, rend encore plus apparents. Dans les chapelles funéraires, on rencontre de ces carreaux, en terre brune, semés de larmes, offrant au milieu la figure d’une croix sur quelques degrés, et autour, des os croisés et les instruments servant aux inhumations, la pelle et la pioche. Il est remarquable que cette dernière y a la même forme que celle qu’affecte, sur les tombeaux gallo-romains surtout, — car on la rencontre moins en Italie, — cette mystérieuse ascia qui, lorsqu’elle n’est pas figurée, est souvent indiquée par l’inscription : Sub ascia dedicavi. Ces carreaux, avec leurs ornements et le lustre de leur vernis, n’étaient pas sans harmonie avec les verrières aux brillantes couleurs placées au-dessus. Ce fut donc dans les sanctuaires, dans les oratoires, qu’en France le nouvel art céramique fit ses premiers pas ; mais pour préparer une complète renaissance, l’Europe eut besoin d’un secours étranger.

Les Arabes, devenus puissants, s’étaient appliqués a recueillir les connaissances qui avaient fait la gloire de Pantiquité. Dès le viiie siècle, ils fabriquaient des poteries émaillées, et après leurs conquêtes dans la péninsule Ibérique, ils construisirent cette splendide mosquée de Cordoue, qu’ils ornèrent d’un revêtement céramique du plus bel effet. Plus tard, dans la seconde moitié du xiiie siècle, les Maures ou Sarrasins s’établirent dans les provinces méridionales de l’Espagne et offrirent de nouveaux modèles, en embellissant, par l’emploi de magnifiques plaques de terre émaillée, connues sous le nom d’azulejos, l’architecture déjà si merveilleuse des salles et des cours de l’Alhambra, à Grenade. Un peu plus tard, le commerce transporta dans toutes les contrées de l’Europe des vases mauresques, aussi remarquables par l’élégance de leur forme que par l’éclat de leur émail ; et bientôt les industries naissantes de l’Italie cherchèrent à imiter ces poteries hispano-mauresques aux beaux reflets métalliques.

Vers le milieu du xv“ siècle florissait en Italie un céramiste célèbre, Luca della Robbia, qui, d’abord orfèvre et ciseleur, puis sculpteur en marbre, se mit à modeler la terre pour amener plus promptement la forme plastique les images créées par son esprit, pour arriver plus facilement a exprimer sous une forme sensible les conceptions du beau qui étaient en lui. Il ne cherchait pas seulement a imiter la nature, il l’interprétait, en y mettant quelque chose de son âme « Ars est homo additus naturæ, » a dit Bacon. Luca della Robbia composa surtout en terre des groupes, des bas-reliefs, des rétables d’autels, des motifs d’architecture. Son adresse comme praticien était fort remarquable ; mais on ne sait pas bien encore s’il reçut la connaissance de l’émail staminifère, − ce magnifique émail blanc que l’on admires sur ses œuvres, − de quelque transfuge de Valence ou de Majorque, ou si, comme le pense Vasari, il le trouva a la suite de nombreux essais. Après sa mort, le secret de l’émail se répandit sur toute la terre d’Italie. A Faenza et à Urbino d’abord, puis dans un grand nombre d’autres villes, furent fondés, sous le patronage des princes et des grands, des ateliers de céramique, d’où sortirent, pendant le xvie et le xviie siècle, ces élégantes majoliques, pour lesquelles Raphaël et d’autres grands artistes ne dédaignèrent pas de fournir des dessins. L’inspiration élevée de l’art, se combinant avec la distinction de la renaissance, en ce qui concerne le style ornemental, ont donné à la céramique italienne une place élevée dans l’histoire générale des industries artistiques.

L’Allemagne, sous l’influence byzantine, préparait, dès le xiie siècle, des produits céramiques ayant déjà un caractère distingué, et, un peu plus tard, les relations commerciales des Hollandais et des Flamands avec la Chine et le Japon, leur firent connaître de curieux produits, qu’ils cherchèrent à imiter.

Ce fut au milieu de l’épanouissement de la brillante floraison de l’art italien que les Français franchirent les Alpes ; Charles VIII, Louis XII et François Ier entrainèrent dans la péninsule l’élite de la nation, et tous ces hommes, que les merveilles de la civilisation italienne avaient si vivement impressionnés pendant un demi-siècle, revinrent plus disposés a entrer dans les voies de la renaissance. Nous avions envoyé des soldats contre les Italiens, ils nous envoyèrent des artistes ; et l’occupation qui suivit les conquêtes de ces derniers fut de plus longue durée que celle de nos armes. Il faut, en effet, arriver jusqu’aux premières années du xviiie siècle pour voir les écoles d’art en France se dégager entièrement de l’imitation italienne (2). Mais revenons aux travaux de terre, en constatant qu’en France la céramique résista à l’influence italienne : dès 1494, on trouve des céramistes italiens à Amboise ; la décoration en faïence du château de Madrid, près de Paris, fut commencée en 1528 par Jerolamo della Robbia ; et pourtant il n’est pas prouvé qu’on ait fabriqué chez nous des produits analogues aux majoliques. Il est, en tout cas, certain que, dans les deux célèbres ateliers qui s’établirent en France dans la première moitié du xvie siècle, celui d’Oiron et celui de Saintes, on suivit de tout autres procédés que ceux en usage en Italie.

Vers 1525, une femme distinguée, savante dans les arts du dessin, Hélèue de Hangest, veuve d’Artur Gouffier, ancien gouverneur de François Ier et grand-maître de France, commença à faire fabriquer dans les dépendances de son château d’oiron, près de Thouars, en Poitou, des ouvrages de terre qu’elle destinait a son usage personnel ou à être envoyés en cadeaux. François Charpentier, son secrétaire en même temps que gardien de sa bibliothèque, et un potier nommé Jehan Bernart, les exécutèrent sous l’inspiration de la châtelaine, et probablement d’après ses dessins. Ces poteries fort minces, composées d’une pâte très-alumineuse analogue à la terre de pipes, et recouvertes d’une couche de la même terre plus choisie et plus fine, n’étaient point émaillées, mais seulement vernissées au plomb. Les principaux ornements étaient gras vés en creux et les tailles remplies d’une argile colorée qui venait araser la surface. Ce procédé par incrustation, qui avait été employé au moyen âge pour des pièces de carrelages, est à peu près celui de la niellure sur métaux, qui remonte en France jusqu’au viie siècle, qui y fut continué jusqu’au xiie, et qui reparut en Italie vers l’époque de la renaissance. À ces incrustations sur les poteries d’Oiron se joignait l’application d’ornements en relief, obtenus par moulage et poinçonnage. Parce que des armoiries princières et les emblèmes royaux en usage sous Henri II se rencontrent souvent sur ces poteries, on fut porté, jusqu’à l’époque où M. Benjamin Fillon fit connaître le lieu et les conditions de leur origine, à les attribuer à l’intervention du souverain, dont elles ont, pendant longtemps, emprunté le nom. La fabrication de ces pièces délicates, si rares et si chèrement payées dans les ventes, continua, après la mort d’Hélène de Hangest en 1537, sous le patronage de son fils aîné, Claude Gouffier, grand-écuyer de France ; mais on ne trouve déjà plus, dans les produits de cette époque, cette ornementation d’un goût exquis, cette recherche précieuse de la forme, cet ensemble harmonieux, cette grande finesse d’exécution, et bientôt toutes ces belles qualités disparurent.

Bernard Palissy, le potier de Saintes, naquit vers 1510. D’abord verrier et arpenteur, il parcourut les provinces méridionales de la France, visitant avec une vive curiosité les carrières, les mines, les grottes des contrées qu’il traversait. En 1539, il se fixa dans son pays, à Saintes, et s’y maria. Poussé par son esprit inventif et persévérant, il commençât dès lors ses travaux à la recherche de l’émail blanc, que nous avons signalé sur les œuvres de Luca della Robbia. Pendant quinze ans de souffrances et de misère, dont on trouve dans son livre l’émouvant récit, il poursuivit ses essais, et s’il ne découvrit pas le secret de l’émail, à la recherche duquel il s’opiniâtrait, il créa un nouveau mode dans la céramique. Tout le monde connaît ces plats à émail entremêlé en manière de jaspe, à l’intérieur desquels, sur des lits de fougère et de feuillage, on voit, reproduits en plein relief et en vives couleurs, des poissons, des reptiles, des coquillages et des insectes. Appelé, en 1567, à Paris, il y reçut le brevet d’inveuteur de rustiques figulines (poteries) du roi. A l’époque de la Saint-Barthélemy, il se retira a la cour du duc de Bouillon, prince souveraine Sédan ; et avant de rentrer à Paris, il visita les provinces rhénanes, la Flandre, la Picardie, la Normandie, etc., sans doute aussi la Bretagne, car il mentionne dans son ouvrage des observations faites à Brest et à Nantes. Lors de la reprise de ses travaux à Paris, la faune et la flore, qui lui avaient fourni dans sa première manière ses principaux, on pourrait dire ses uniques motifs, furent remplacées sur ses poteries par des rinceaux, des godrons, des oves, des arabesques, des mascarons grimaçants, des bas-reliefs et des personnages mythologiques. N’ayant point fait d’études artistiques, Palissy n’avait cherché, dans sa première manière, qu’il reproduire, au naturel, les animaux et les plantes qu’il faisait figurer sur ses produits, dans la seconde, il dut recourir à des emprunts : on sait qu’il moula des médailles, il fit aussi des imitations d’après Barthélemi Prieur, des surmoulages des œuvres du célèbre orfèvre François Briot, et quelques-unes de ses compositions sont d’après les gravures d’Étienne de Laulne. Autrement, il était complètement réaliste ; son but unique était d’exprimer la nature, et le cachet de sa personnalité ne se rencontre que dans l’arrangement de ses motifs. Dans des fabriques plus artistiques, on avait su accorder la recherche du beau avec les qualités utiles au point de vue des besoins familiers ; on reconnaissait la parenté de l’utile et du beau dans la forme. Les pièces de Palissy, tout en affectant la configuration générale des vases usuels, ne peuvent avoir, en raison de leur ornementation même, qu’une destination décorative ; elles ne semblent faites qu’en vue de garnir des dressoirs seigneuriaux. Mais, si Palissy ne comprit pas que la perfection relative a laquelle chaque chose peut atteindre est l’appropriation de cette chose à sa destination, s’il ne fut pas artiste dans la haute signification du mot, il fut un céramiste d’une rare habileté, et il fut aussi un savant distingué. Il créa pour ainsi dire la géologie, qu’il professa à Paris dans des conférences continuées de 1575 à 1584, et la sagacité de ses observations, dans l’ordre des sciences physiques et naturelles, étonne encore aujourd’hui nos savants. Enfin, cet homme sans études littéraires, sans autre éducation que celle qui résulte de l’expérience de la vie, a laissé un livre où il se montre penseur éminent et écrivain distingué ; un livre où, dans des discours pleins d’originalité, il nous représente le xvie siècle dans son accentuation vraie, dans son individualité vivante ; un livre dans lequel on ne sait ce qu’admirer le plus, de la variété des connaissances, de l’énergie de la, pensée ou de la solidité du jugement. Palissy a donc bien mérité la statue qui vient de lui être érigée à Saintes.

Après ce rapide coup d’œil sur les travaux de terre aux différents siècles, jusqu’à la fin du xviie de notre ère, recherchons si, après l’époque des carrelages historiés dont nous avons parlé, la Bretagne, à l’époque de la renaissance plus particulièrement, n’a pas eu quelque atelier de poterie artistique ; si, en adoptant l’un ou l’autre des procédés que nous avons eu occasion d’indiquer, elle n’a pas fabriqué, elle aussi, des pièces céramiques un peu importantes.

À une exposition d’objets d’art et d’archéologie qui fut faitea Rennes, au mois de juin 1863, on voyait, dans l’une des armoires qui contenaient les produits céramiques, une pièce de faïence d’un remarquable travail, au point de vue du galbe comme a celui de la décoration peinte, et nous fûmes fort étonné de trouver sur cette pièce l’inscription suivante : Fait à Rennes, rue Hue, 1769. L’attention était éveillée ; on se mit à rechercher d’autres produits pouvant être de la même provenance, et des études persévérantes dans les archives publiques firent connaître l’existence à Rennes, dans la seconde moitié du xviiie siècle, de trois importantes fabriques de faïences, l’existence, vers la même époque, sur plusieurs autres points de la Bretagne, à Nantes, à Brest, à Quimper, à Quimperlé et à Saint-Malo, d’ateliers semblables, et enfin l’établissement d’une t’a brique de porcelaine à Lorient. Au moment où plusieurs villes : Nevers, Rouen, Strasbourg, Marseille, etc…, faisaient grand état de leurs anciennes fabriques de faïences, nous eûmes l’ambition de faire honneur à Rennes de celles qui y avaient existé, et nous organisâmes une exposition de faïences bretonnes. Les étrangers, bien plus que les Rennais, s’y intéresseront ; il nous vint de Paris M. Riocreux, conservateur du Musée de Sèvres ; MM. Albert Jacquemart, Champfleury, Darcel, Burty, Louis Énanlt et plusieurs autres amateurs. Rennes eut dès lors sa place parmi les villes où l’industrie céramique avait produit des œuvres importantes ; et à l’exposition universelle de 1867, quelques-unes de ces œuvres qui y avaient été envoyées furent fort remarquées. M. Albert Jacquemart a donné dans la Gazette des Beaux-Arts (février 1867), sur les faïences de Rennes, un article où quelques-unes d’entre elles sonthabîlement gravées par M. Jules Jacquemart, et dans son troisième volume des Merveilles de la Céramique, il consacre un chapitre aux faïenceries bretonnes. Un des membres de la Société Archéologique d’Ille-et-Vilaine, M. André, notre savant et bienveillant collaborateur pour les expositions dont nous avons parlé, promet-un volume sur ces faïences bretonnes ; nous n’avons donc qu’a les indiquer ici. Mais, avant les faïences rennaises du xviiie siècle, n’y avait-il eu dans notre pays, au xvie et au xviie, aucun travail de terre méritant d’être mentionné ? Il semblait naturel de ne se décider à l’admettre qu’après avoir cherché encore ; quelques circonstances d’ailleurs pouvaient donner espoir.

Aux premières années du xvie siècle, une Bretonne, la duchesse Anne, devenue reine, présidait, on peut le dire, aux destinées intellectuelles de la France. Son éducation avait été brillante ; à quinze ans elle parlait, dit-on, le latin et le grec, et elle avait pu, pendant qu’elle était fiancée à Maximilien d’Autriche, prendre auprès des artistes flamands qui se trouvaient à la Cour de Rennes le goût des arts. Brantôme, qui dit qu’elle était femme hosnête, bien disante, de fort gentil et subtil esprit, ajoute qu’elle fut « la première reyne de France qui commença à dresser la Cour des dames, que nous avons vues depuis elle jusqu’à cette heure. » En appelant aux réunions de la Cour les dames, que son exemple maintenait dans une parfaite réserve, elle y introduisit les traditions d’urbanité et d’élégance. Pendant que les rois ses époux guerroyaient en Italie, elle faisait de sa Cour, à Blois ou à Amboise, le rendez-vous de tout ce que la France possédait de poètes, de savants et d’artistes, qu’elle charmait par son doux accueil et dont plusieurs furent honorés de son amitié. On a dit qu’elle avait préparé la renaissance française, qui allait flillustrer le règne de François Ier ; il faut dire plus, elle fut la protectrice d’un art national dont lesmllinités doivent être cherchées bien moins du côté de l’Italie que du côté du Nord, dans cette école allemande qui plonge ses racines jusque dans les derniers siècles du moyen âge, et d’où sortirent plus tard les maîtres flamands et hollandais (3). La reine Anne avait composé sa garde entièrement de Bretons ; presque tous les officiers de sa maison étaient aussi des Bretons ; elle conserva pendant toute sa vie le gouvernement de la Bretagne, où elle venait souvent, et les goûts délicats de cette femme célèbre, que nos aïeux aimèrent à appeler toujours notre Bonne duchesse, durent aider au progrès dans notre province. D’autre part, les expéditions en Italie conduisirent dans ce pays beaucoup de seigneurs bretons qui durent aussi rapporter le goût des industries artistiques admirées par eux dans la Péninsule. Deux puissantes maisons de Bretague, celle de Rohan et celle de Rieux, comptaient plusieurs membres présents, avec un grand nombre de chevaliers et d’écuyers, Bretons aussi, à l’expédition de 1494, et dans chacune de ces deux familles un maréchal de France commandant un corps d’armée. Enfin, beaucoup de produits des ateliers céramiques qui avaient été fondés dans les provinces voisines durent arriver en Bretagne et y faire naître l’émulation. Dès 1542 existait en Normandie, dans la paroisse de Notre-Dame-de-Sotteville, sur la rive gauche de la Seine, près de Rouen, un atelier céramique dirigé par Masseot Abaquesue, dont le nom se trouve sur plusieurs marchés relatifs aux célèbres carrelages du château d’Écouen, et nous avons eu occasion de parler de fabriques importantes dans le Poiton et la Saintonge. On vient de découvrir dans un grenier, près de Clermont-Ferrand, deux de ces pièces que l’on appelait faïences de Henri II. Elles sont l’une et l’autre d’une élégance de formes remarquable, les niellures sont d’un brun rouge clair, et ce qui, pour nous, donne a ces coupes un attrait historique particulier, c’est qu’elles portent les armes d’une ancienne famille de Bretagne, des d’Épinay, — d’argent au lion de gueules coupé de sinople. (Voir Chronique des Arts, 21 février 1869.)

Presque sur tous les points où, au xvie et au xviie siècle, on découvrait des gisements de terre propre à faire des poteries, l’on établissait un four qui, dans un rayon plus ou moins étendu, fournissait aux populations les vases de ménage. La fragilité de ces objets et la difficulté des transports faisaient qu’on se contentait de ces poteries communes, et c’est ce qui avait lieu en Bretagne, où l’on trouve, dans plusieurs localités, les noms : champ des pots, pièce des potiers, et où on rencontre, dans beaucoup d’endroits, des débris de fours, sans que rien, du reste, indique des ateliers un peu importants.

Il faut, toutefois, faire une exception pour la seigneurie de Rieux, qui porta dans les derniers temps le titre de comté, et en laquelle existait, sur le bord de la Vilaine, un château, l’un des plus anciens et des plus forts de la Bretagne. Dans une trève de cette seigneurie, près de Redon, était un village considérable appelé la Poterie, a cause du métier qu’exerçaient, de temps immémorial, tous ses habitants. Ils étaient, avant 1789, réunis en une sorte de corporation industrielle qui jouissait de quelques privilèges et était soumise a des règlements spéciaux. Ils avaient une chapelle particulière, entretenue ett dotée par eux ; et les habitants de ce village, usant, est-il dit, du metier de poterie, rendaient en commun à leur seigneur un aveu, où les droits, devoirs et règlements étaient spécifiés : Les membres de la corporation avaient seuls droit « de tirer lizes et sablons propres à faire des pots, aux environs du lieu de la poterie, a comme aussi sur les terres et domaines dépendant du château du Plessix, qui appartenait aux sires de Rieux. Mais il n’est pas appris, jusqu’à ce jour, qu’il soit sorti des fabriques de Rieux des produits ayant un caractère artistique.

Il faut surtout faire une exception pour les ateliers céramiques de la seigneurie de Fontenay, dont maintenant nous aurons à nous occuper exclusivement.

Au nombre des pièces remises à l’exposition céramique de Rennes, en 1864, se trouvait une poterie d’une forme très-artictilière, enduite d’une couverte plombifère d’un vert jaspé. Elle fixa l’attention de M. Jacquemart qui, dans le second volume de son ouvrage, les Merveilles de la céramique, après avoir fait remarquer qu’a l’époque de la renaissance, parmi les terres vernissées en vert, les unes sont pales et d’une teinte parfaitement uniforme, — celles sortant des usines du Beauvoisis, — tandis que les autres, en vert vif jaspé de flammules plus foncées, proviennent de l’Ouest, écrit : « C’est ainsi qu’une pièce de l’exposition de Rennes, communiquée par le docteur Aussant, nous fournit la date et le monogramme d’un potier rennais. L’usage même de cette faïence est des plus curieux ; c’est une sorte de corbeille à deux anses, destinée à présenter le pain bénit aux fidèles. La paroi du fond, assez élevée, représente la Cène ; la partie antérieure, plus basse et cintrée, porte des têtes d’anges et des rosaces ; les anses latérales sont simplement tordues ; le monogramme et la date sont derrière : c 1593. H G. » Nous ajouterons quelques détails à cette description : sur la face antérieure de la plaque du fond, qui a 27 centimètres de hauteur, et derrière les personnages composant la Cène, est figurée une tenture disposée dans la forme d’un triptyque, et sur les côtés, dans des niches, sont les figures de David et de Moïse. Au-devant de la partie supérieure de la composition, il y a une sorte de dais se rattachant aux bords de la plaque et portant quatre figures d’anges. La demi-cuvette qui devait contenir le pain bénit a 33 centimètres en largeur sur 14 de profondeur, vers le centre ; sa paroi antérieure porte trois médaillons ; dans l’un de ceux des côtés est Jésus-Christ, tenant entre ses mains le calice ; dans l’autre, la Vierge portant l’Enfant-Jésus ; et dans celui du milieu est une tête de lion ; sur tous les bords sont des ornements en forme de roue, imprimés en creux, enfin, c’est sur le devant de la plaque du fond, ait-dessous de la Cène, que, dans un cartouche, sont la date de 1593 et le monogramme H G.

Il convient de rapprocher de cette pièce céramique un plat de grande dimension, 50 centimètres de diamètre, trouvé, comme la corbeille à pain bénit, auprès de Rennes. La terre et le vernis vert jaspé très-brillant, sontsenïblahles pour ces deux poteries : le contour du plat est dentelé ; sur le marly on voit, dans des lignes en creux, deux rangs de pois, et entre ces deux lignes une guirlande de fleurs et de fruits, interrompue sur deux points pour faire place à des grenouilles ; dans la partie creuse du marly sont quatre médaillons contenant chacun une fleur de lys, et entre deux de ces médaillons, d’un côté une feuille de fougère sur une pastille de terre sans bordure, et de l’autre un orvet, dans les dimensions qu’a ordinairement ce petit animal, qui, bien qu’appartenant älordre des Sauriens, à tout l’aspect d’un serpent, et qui est très-commun en Bretagne. Au fond du plat sont des godrons sur lesquels semble ramper un grand lézard, et qui enveloppent une partie centrale ronde faisant une forte saillie, et présentant eu relief les armes de France et de Navarre entourées des colliers des Ordres du roi, et, dans un espace réservé entre le bas des écus accolés et le cordon de Saint-Michel, une H couronnée et accostée de branches de laurier. Sur le cordon qui entoure ces emblèmes se voient encore des H alternant avec des M,

L’imitation de Palissy est évidente quant à l’ornementation, empruntée à ses deux manières successives ; mais ce n’est pas tout : les reliefs du plat dont nous nous occupons sont, comme ceux de la pièce mentionnée avant, obtenus par les procédés de l’estampage et du pas tillage ; les ornements sont d’applique, collés au vase à l’aide de terre délayée et fixés par le feu, le vernis recouvrant le tout. C’étaient les procédés employés par Palissy : il collait à l’aide de la térébenthine, sur un plat d’étain, le feuillage et les fougères devant faire le fond de ses compositions, et fixait dessus les petits animaux qui devaient y figurer, puis il coulait sur le tout une couche de plâtre et avait ainsi, après le dessèchement, un moule en creux ; d’autres fois il faisait, sur les objets isolés, des moulages, et poussait dans le creux des moules ou poinçons ainsi obtenus la terre détrempée, qu’il retouchait après et collait sur ses fonds. Le beau-frère de Lysippe, 350 avant J.-C., avait, le premier, employé le procédé du moulage des objets, comme le moyen d’en avoir la forme dans sa vérité absolue.

M. Jacquemart, qui avait vu à l’exposition céramique de Rennes la corbeille à pain bénit, avait, par l’étude de la terre et du vernis, probablement aussi en remarquant dans cette pièce des caractères d’épaisseur et de lourdeur que les faïences bretonnes ont elles-mêmes un peu conservées, été amené a attribuer cette pièce à quelque potier de Rennes, − le grand plat aurait été alors du même ; − mais des recherches multipliées n’ont fait connaître aucun atelier céramique dans notre ville ni dans ses faubourgs, avant la fin de la première moitié du xviiie siècle. Force était donc de chercher ailleurs, et l’empreinte sigillaire de la feuille de fougère dirigea les recherches du côté de la ville qui, à onze lieues de Rennes, semble avoir emprunté son nom à cette plante. Faisons remarquer ici que, sur le plat, la dimension de la feuille de fougère est extrêmement réduite et qu’elle est représentée d’une manière comme héraldique, telle qu’elle figure sur les armes de la ville. Mais, la aussi, les recherches furent sans résultats, et l’un des membres de la Société d’Archéologie d’Ille-et-Vilaine, qui avait bien voulu s’en charger, nous écrivait que le signe dont il s’agit n’était sans doute pas une marque de fabrique, une marque d’origine, qu’il devait, cependant, se rapporter de quelque manière à la ville de Fougères, et qu’il se pourrait que le plat eût été commandé par la communauté de cette ville et offert par elle au maréchal de Thémines, lorsqu’en 1618 il fut envoyé pour prendre possession de la capitainerie du château de Fougères, par Marie de Médicis, qui, dans les actes concernant la baronnie, ajoutait a ses autres titres celui de baronne de Fougères en Bretaigne.

Une nouvelle découverte de pièces céramiques n’a pas tardé a donner la notion du lieu ou ont dû être fabriquées les deux pièces déjà mentionnées. En démolissant, à Saint-Laurent, dans la banlieue de Rennes, une ancienne maison, on descendit de la toiture des épis de terre sigillée, composés de deux pièces assemblées par emboîtement, d’une hauteur totale de 72 centimètres et couverts d’un vernis au plomb, jaune vert pour l’ensemble et d’un bleu très-intense pour quelques ornements. Ces ornements, obtenus par ; moulage et pas tillage, sont assez variés. Pour chacun des deux épis, on remarque sur la base quatre têtes de lion en haut relief’et quatre mascarons ; sur la pièce supérieure, deux médaillons de dix centimètres de diamètre, et au-dessus, quatre autres petits médaillons portant en relief, entre un contour rayonné et un emblème intérieur formé de quatre cœurs se réunissant par lapointe, une inscription en caractères romains, plus deux hermines. Des deux grands médaillons, l’un présente le portrait en buste de Marie de Médicis avec l’inscription : Marie de Médicis, reine de France et de Navarre, et l’autre les armes de France et de Navarre, absolument comme au fond du grand plat et — chose bien à noter — obtenus avec le même poinçon. Les quatre pièces décrites sortent donc, évidemment, de la même fabrique. L’inscription des petits médaillons est celle-ci : DE FONTENAY.

Il y à eu à Fontenay-le-Comte une fabrique de poteries fines. Bernard Palissy, dans un de ses voyages, en 1555, en avait donné l’idée, et elle fut établie trois ans après. Mais cette ville ne s’est jamais appelée Fontenay tout court, mais bien Fontenay-le-Comte, et à l’époque de la Révolution, Fontenay-le-Peuple ; puis sur nos épis, il y a des hermines ; puis encore, ils n’ont aucun des caractères des poteries de Fontenay-le-Comte, et la terre dont ils sont faits, ainsi que leur couverte, se rapportent à celles des poteries de ménage en usage dans notre pays. Fontenay-le-Comte, dans le Bas-Poitou, est d’ailleurs bien loin ; on devait chercher plus près.

Si l’on suit la route de Rennes à Nantes, et qu’après avoir parcouru deux lieues environ sur cette route, on détourne à gauche, on rencontre à un kilomètre, dans cette nouvelle direction, la ferme de Fontenay, et quelques restes de l’ancien château de la puissante famille bretonne de ce nom. Un sire de Fontenay était au nombre des trente Bretons qui combattirent à Mi-Voie, en 1351 ; il prenait son nom, disent les historiens, d’un manoir de la paroisse de Chartres. Amaury de Fontenay joua un rôle important dans l’association de la noblesse de Bretagite pour empêcher l’invasion étrangère en 1379, et en 1409 il était capitaine des ville ettchàteau de Rennes ; (4) en 1560, la terre de Fonteuay appartenait à Anne, baronne de Montejan, qui avait voix délibérative aux États de Bretagne et y votait par procureur ; en 1587, elle était à François de Fontenay, qui fut : nommé maître des eaux et forêts de Bretagne. Le 8 mai 1598, Henri IV, se rendant à Rennes, couche au château de Fontenay, où la maréchale de Brissac le traita avec toute la magnificence possible. Dans les actes de la Chambre des Comptes de Bretagne, conservés aux archives départementales de la Loire-Inférieure, il existe, relativement a la seigneurie de Fontenay, un aveu rendu au roi, en 1682, par Henri-Albert de Cosse, duc de Brissac. Suivant cette déclaration, ladite seigneurie s’étendait, tant en fief qu’en domaines, dans les paroisses de Chartres, de Noyal, de Saint-Erblon, de Laillé, de Châtillon-sur-Seiche, de Chanteloup, de Cornu, de Bourg-Barré et de Saint-Jacques-de-la-Lande.

Entre le château et le bourg de Chartres, tout près du premier et à la limite de ses dépendances, existait le fief de la Poterie, dont le nom indique l’industrie des habitants. Le droit de haute, moyenne et basse justice s’exerçait dans l’auditoire de la seigneurie qui était situé en ce lieu de la Poterie, où se tenaient aussi des foires et marchés. On lit dans l’aveu de 1682 qu’il y avait à cette époque un « droit de coutume et de péage de pots sur les potiers de la Poterie de Fontenay, qui était un pot pour chaque journée, au choix du seigneur ou de son fermier et receveur, » Nous citerons encore un article du règlement de la police générale de la Cour du Parlement de Bretagne, en date du 16 octobre 1751, qui « enjoint aux fabriqueurs de pavés et briques de la Polerie de Fontenay, paroisse de Chartres, de faire des briques comme anciennement, bien cuites, loyales et marchandes. »

Le village, qui portait encore, dans la seconde moitié du xviiie siècle, le nom de Poterie de Fontenay, est connu aujourd’hui sous celui de Poterie de Chartres. On y fabrique toujours des ouvrages de terre ; mais ces produits, que l’on expose à Rennes sur les places les jours de marché, sont d’une grossièreté désolante. Qu’il n’en ait pas toujours été ainsi, qu’à l’époque de la Renaissance française il y ait eu là, sous le patronage des sires de Fontenay et, plus tard, des seigneurs de Brissac, un atelier, non pas rival, — ce serait trop prétendre, — de ceux d’Oiron et de Saintes, mais lâchant de s’en rapprocher, c’est ce que nous espérons établir en continuant de faire connaître ce que nous avons pu rassembler jusqu’à ce jour de pièces artistiques de cette ancienne fabrique. − Le temps amènera sans doute beaucoup d’autres découvertes. Disons dès maintenant que le degré d’abaissement où se trouve aujourd’hui le travail de terre à Chartres ne fait que confirmer cette remarque générale pour de semblables industries, − remarque qui s’est vérifiée à Oiron, à Saintes et aussi à Rennes pour les faïences du xviiie siècle, — que les premiers produits des fabriques artistiques sont toujours les meilleurs, et que bientôt arrive le déclin.

Il semblait naturel de chercher si, au village même de la Poterie et dans ses environs, il ne restait pas quelques produits artistiques de l’ancienne fabrication. Voici ce qui a été découvert. Au milieu des chétives demeures des habitants du village, se trouve une grande maison construite en pierres vers le commencement du xviie siècle, et qui était probablement l’auditoire de la seigneurie ou l’habitation du receveur. Aux deux extrémités de la portion horizontale du toit, la sa partie supérieure, étaient deux épis de terre, ayant soixante-huit centimètres de hauteur et couverts d’un vernis polychrome. Le corps de ces épis est rouge-brun, les palmes qui y sont attachées, formant comme des anses, sont vertes, et les flammes du haut sont jaunes. Sur une maison voisine, moins importante, était un épi formé de la même terre, mais ayant une couverte toute de couleur rouge-brun jaspé. On trouve sur cette pièce, sous le vernis, gravés à la pointe, deux noms : Jean Marechal et Jeanne Sanson. Il existe encore sur une autre habitation, le long de l’arête du toit, et reposant sur des enfaîteaux, une galerie ou crête de poterie vernissée en vert, et formée d’arcades à jour avec ornements. Nous mentionnerons, enfin, un épi qui ne se trouvait plus dans ces derniers temps au village de la Poterie, mais qui eu provient. Il se rapproche, dans sa partie inférieure, de la forme d’un vase, ayant sur deux côtés des anses, et entre ces anses des guirlandes de fleurs ; la partie supérieure est formée d’un groupe composé de fruits, de fleurs et de leuilles, le vernis est d’un gris bleuâtre.

On voit que ce sont tout »particulièrement des ornements pour les toitures qui ont été rencontrés au village de la Poterie, et cela s’explique, parce que la où ils sont placés, ces objets céramiques sont moins exposés que ceux que l’on conserve dans les maisons, mais aussi parce que ce devaient être surtout des épis que l’on fabriquait à Fontenay, si l’on en juge par le grand nombre de ces pièces existant encore sur les pignons des maisons du pays rennais. Il en était sans doute de même ailleurs, et l’usage en est très-ancien. Au xve siècle, il sortait des ateliers du pays de Çaux, en Norinandie, force épis et crêtes de toitures ; les potiers de la ville de Troyes, en Champagne, fabriquaient dès le xiiie siècle des épis de terre cuite vernissée, et rien n’empêche de remonter jusqu’aux Romains en disant que ces ornements sont une imitation des statues de terre, qu’au rapport de Pline et de Cicéron, les anciens Romains plaçaient au faîte de leurs maisons. On sait de plus que des bas-reliefs en terre cuite, connus sous le nom d’antefixes, et qui étaient rehaussés de palmettes sur leur bord supérieur, étaient à Rome adaptés, sous forme de frises, au haut des murailles des habitations.

On gardait dans une famille qui, jusque vers le milieu du xviiie siècle, habitait dans la paroisse de Chartres, non loin du village de la Poterie, une sorte de petit monument céramique, en forme de grotte largement ouverte, ayant 63 centimètres de hauteur sur 42 de largeur. Dans la partie inférieure est un tombeau où l’on voit, en regardant entre les colonnes torses qui le ferment a l’extérieur, le corps couché du Christ ; dans le compartiment supérieur était figurée la résurrection. Malheureusement, ce petit monument est aujourd’hui incomplet. Le groupe principal, celui de la résurrection, a disparu ; les trous pratiqués dans la paroi postérieure de la grotte, pour recevoir les tenons qui fixaient les figures de ce groupe, restent seuls. La croix qui surmontait la composition manque aussi, mais les deux anges qui se trouvaient au pied de cette croix sont encore à leur place. Sur les côtés du fond, vers le bas du compartiment supérieur, sont deux statuettes semblables d’un personnage drapé dans de longs vêtements et tenant a la main un bourdon. Le vernis, jaune jaspé de brun, est verdâtre par places, et sur le fond est tracé à la pointe, un nom : Mevie.

La pièce céramique que nous décrivons est, du reste, loin de pouvoir être citée comme un modèle de l’art de terre ; elle est d’une mauvaise époque pour la fabrique, du commencement du xvur’siècle, le travail est grossier, il y a profusion, abus dbrnements ; on dirait qu’on a voulu utiliser tous les poinçons de l’établissement ; on les a même répétés plusieurs fois. Dans le tombeau, sur le fond et sur les côtés, on voit un buste de femme voilée, plusieurs fois reproduit, et sur les bords de la grotte, à l’intérieur et a l’extérieur, ou trouve, répétés plusieurs fois aussi, des bustes, des têtes entourées dbrnements, des statuettes, etc… Enfin, dans le bas de la composition est une bande toute couverte de petits médaillons, dont quelques-uns portent une fleur de lys.

Nous n’avons plus à signaler qu’une découverte d’œuvres céramiques devant être attribuées aux ateliers de Fontenay ; il n’y aurait pas, en elîet, dîntéret a décrire d’autres poteries destinées aux usages journaliers des ménages et ne présentant aucun caractère artistique. À cinq kilomètres de Rennes et à deux kilomètres et demi du village de la Poterie, se trouve dans la paroisse de Châtillon-sur-Seiche, qui dépendait de la seigneurie de Fontenay, un manoir du nom de Josselinais autrefois Jousselinais — qui, sur la pierre de l’une des fenêtres supérieures, est daté de 1573. Il a remplacé un tresvieux château dont il reste encore quelques débris. Au rezde-chaussée du manoir existe une grande salle, actuellement divisée par une cloison. Les poutres de cette salle, la fenêtre et la porte ouvrant sur l’extérieur sont ornées, mais c’est l’énorme cheminée qui, suivant l’usage en France et dans les Pays-Bas au xvie siècle, a reçu la principale décoration.

Cette cheminée occupe toute la hauteur, depuis le sol jusqu’au plafond, et forme une grande saillie en avant de la muraille. Sur son manteau existent au milieu un écusson armorié, à droite et à gauche deux médaillons plus grands, − 0,45 centimètres de diamètre, — un peu creux et présentant chacun un buste de grandeur naturelle, en relief très-prononcé. Ces trois médaillons, couverts de nombreuses et épaisses couches de badigeon, étaient considérés comme étant sculptés dans la pierre, et ce n’est que tout récemment qu’eu enlevant ces badigeons, ou a reconnu que c’étaient des terres cuites encastrées dans la masse de la cheminée. L’écusson a été mutilé à l’époque, sans doute, de la Révolution, ainsi que celui qui est au-dessus de la porte à l’extérieur, et à tel point qu’il est absolument impossible de reconnaître les armes dont ils étaient chargés. Dans les deux grands médaillons sont les bustes en profil de Henri II et de Catherine de Médicis. La tête du roi est laurée et le buste de la reine porte le costume qu’elle avait apporté d’Italie : une guimpe à plis droits montant jusqu’au cou, autour duquel elle est serrée par un collier de perles. Catherine de Médicis et sa belle-fille Marie Stuart, pendant le temps de son séjour en France, sont les seules représentées avec cette pièce de costume. — Les portraits des souverains ont été exécutés d’après des médailles, et dans l’ouvrage de Malliot ayant pour titre Les costumes des anciens peuples, se trouve gravée, à la page 204 du 3e volume, la médaille d’après laquelle semble avoir été fait le buste de la reine.

Les trois médaillons, dont la terre est celle de Fontenay, n’ont point de couverte formée par un vernis au feu ; ils sont peints et dorés : pour Henri II, la figure est de couleur chair, les cheveux sont bruns, le vêtement est rouge, mais. les pointes du pourpoint sont jaunes et la couronne de laurier est dorée ; pour Catherine de llîédicis, la chemisette est d’un blanc jaunâtre, la boucle d’oreille, le collier et les filets de la résille sont dorés ; le fond des médaillons est d’un brun noirâtre ; en dedans de la guirlande très-saillante qui les entoure et qui est, de la même couleur, il y a deux cercles qui sont dorés.

On vient de découvrir, en continuant d’enlever des badit geons, pourquoi les médaillons en terre cuite : sont peints et non vernis : c’est que toute la partie supérieure de la cheminée dans laquelle ils figurent est également recouverte de peintures décoratives polychromes avec lesquelles ces médaillons devaient s’harmoniser. Au-dessus de Pécusson est une tête juvénile qui semble ailée ; des deux côtés, comme supports de cet écusson, sont deux figures, un homme et une femme, et le reste de la surface est couvert d’ornements consistant surtout en des groupes de fruits.

Il convient de remarquer ici que lesimédaillons employés comme motifs d’ornementation étaient fort en usage en France au xvie siècle : sur l’arc de Gaillon, qui était le portail du château de cé nom, construit par Philibert Delorme pour le cardinal d’Amboise, — 1502-1509, — il y a des médaillons entourés de bordures et contenant des bustes de personnages. Au manoir d’Ango, construit à Varengeville vers 1532, se voient des médaillons appliqués contre la muraille et contenant des têtes sculptées en profil. Sur la façade de la maison dite de François Ier, qui est aux Champs-Élysées et qui avait été construite à Moret, dans la forêt de Fontainebleau, par Pierre Lescot, et sculptée par Jean Goujon, il existe aussi des médaillons. Un portrait en buste de Henri II, par Jean Goujeon, est encadré dans une cheminée que modela Germain Pilon pour le château de Villeroy. On dit enfin que dans la célèbre grotte des Tuileries, que Bernard de Palissy construisait en 1574 pour Catherine de Médicis, il y avait des médaillons d’empereurs romains.

Il existe, sans doute, dans les collections publiques ou particulières de céramique, quelques échantillons de poterie de Fontenay non déterminés, et de ce nombre semblent bien être ceux dont parle M. A. Jacquemart, disant, après avoir mentionné la corbeille au pain-bénit : « Ceci se relie étroitement aux ouvrages sigillés ornés des armoiries aux hermines. » C’est qu’il avait rencontré dans des collections d’amateurs un certain nombre de poteries vernissées, portant les armes de la Bretagne, et qu’il lui attribuait.

On peut penser qu’a l’époque où l’usage de la faïence s’introduisit en Bretagne, on cessa de faire à Fontenay des poteries autres que ces poteries communes qui en sortent encore aujourd’hui ; mais ne s’y livra-t-on pas a la fabrique même des faïences ? On connaît maintenant les circonstances dans lesquelles les ateliers de Rennes furent installés pour ces produits. Aucun n’est antérieur à 1748. Pourtant on rencontre dans notre pays des faïences d’une date beaucoup plus reculée et dont les caractères ne permettent pas de les attribuer à des fabriques éloignées, par exemple à celles établies à Nantes, en 1588 et 1625, par l’Italien Ferre et par Ribé, à celle créée au Croisic, dans le xviesiècle, par un Flamand ; Gérard Demigennes, auquel succéda, en 1627, un Italien, Horacio Borniola, et a celle qui fonctionnait à la fin du xviie à Quimper.

Il existait a trois lieues N.-O. de Bennes, à Saint-Sulpice-des-Bois, dans une forêt qui portait jadis le nom de forêt du Nid-de-Merle, et qui est dite aujourd’hui forêt de Rennes, une ancienne abbaye de Bénédictines fondée en 1106, et dont Marie, fille d’Étienne, roi d’Angleterre, fut la première abbesse. On y voit encore des restes importants d’anciennes constructions, et on a rencontré dans un cimetière intérieur beaucoup de fragments de plaques tombales en faïence, — il y en avait très-peu d’entières. — M. Jacquemart dit à propos de l’un de ces carreaux de faïence funéraires qui figurait à l’exposition céramique de 1864 :

« La pierre tombale datée de 1653, à M. le docteur Aussant, est assurément le produit d’une fabrique en pleine activité. Sans doute, le peu d’éclat des couleurs, qu’attriste un brun violet trop abondant, a fait négliger des œuvres dont le souvenir aurait été complètement perdu sans le réveil de la Bretagne, lors de son exposition de 1864-. » Et il dit ailleurs :

« La Bretagne possédait une faïencerie au xviie siècle ; nous en avons la preuve par la pierre tombale de Jeanne Le Bouteiller-dame-Duplecix-Coïalu, décédée le 29 janvier 1653. L’usine avait sans doute son siège à Rennes ; mais les fragments recueillis à l’abbaye de Saint-Sulpice-la-Forêt font supposer que l’emploi de ce genre de monuments était fréquent et répandu. ».

La terre des briques tombales de Saint-Sulpice ne diffère pas de celle de Fontenay, et la couleur violet-manganèse, qui est celle de l’inscription funéraire de 1653, et qui fut un des caractères des faïences de Rennes, se trouve déjà employée pour orner le bord de quelques pièces de poteries de la l’abri que de Fontenay. Il faut aussi tenir compte de ce que, la, des ateliers et des fours se trouvaient tout établis, avec des ouvriers habitués a des travaux céramiques, tenir compte aussi de ce qu’on ne trouvait pas facilement des gisements de terre propre à la faïence, ailleurs, auprès de Rennes.

Vers 1720, le comte Marot de la Garaye voulut établir dans ses terres, près de Dinan, une manufacture de poterie ; mais l’entreprise ne réussit pas faute de terre convenable. Dans le manuscrit de M. de Robien, conservé à la bibliothèque publique de Rennes, on lit que deux manufactures de faïence, établies dans les faubourgs de la ville en 1754, tiraient leurs terres des environs de Rennes, et surtout de Fontenay. Plus tard enfin, en 1768, le sieur Leclerc, en demandant le titre de manufacture royale pour la faïencerie du faubourg Saint-Laurent, fait valoir qu’il avait trouvé à deux lieues de Rennes des terres et des sables propres à la fabrication de la faïence, tandis que ses prédécesseurs les tiraient, à grands frais, de Bordeaux et de Nevers.

Il est donc probable que les premières faïences de nos pays ont été fabriquées à Fontenay ; mais, ici, nous ne pouvons rien établir d’une manière certaine ; on nous permettra d’être plus affirmatif pour les poteries.

NOTES.

(l) Cette poterie rouge avait été appelée poterie samienne à cause de son analogie avec une poterie célèbre qui sortait des ateliers de Samos ; on l’a désignée aussi sous le nom de terre eampanienue, et l’on sait qu’on en fabriquait à Arretium, aujourd’hui Arrezo. Pourtant on en trouve peu en Italie, beaucoup au contraire dans les différentes régions de l’ancienne Gaule, sur les bords du Rhin, en Angleterre et dans tous les pays soumis à la domination romaine. Il est fort remarquable que partout elle est semblable pour la densité, pour la finesse de la terre et pour la couleur. Il n’est cependant pas probable qu’on la fit venir d’Italie, d’autant moins qu’on a trouvé sur plusieurs points de la Gaule des débris de fours prés desquels étaient des amas de tessons de cette poterie. Il y a donc lieu de penser que les Romains portaient avec leurs armes les formules de leur industrie, et que partout où ils trouvaient une argile fine, ils y nieraient une quantité déterminée d’ocre rouge, et qu’ils appliquaient le lustre en immergeant les pièces dans un bain contenant cette terre ferrugineuse. Le façonnage est fait au tour, les filets sont exécutés a l’aide ide roulettes et les ornements obtenus au moyen de poinçons. Ce sont le plus souvent des rinceaux, des guirlandes, des corbeilles, des figures de quadrupèdes et d’oiseaux, des masques scéniques, des grotesques, des bustes de personnages et quelquefois des scènes mythologiques. Les vases portent ordinairement sur leur fond, soit extérieurement, soit intérieurement, une petite estampille imprimée sur la terre molle et offrant en relief des noms plus ou moins complets de potiers, quelquefois avec les lettres O pour opus, M pour manu et F pour fecit.

Non-seulement on rencontre en Bretagne, et plus particulièrement à Rennes, à Corseul et à Dreux, ces vases rouges des premiers temps de l’Empire romain, mais on y trouve aussi beaucoup d’autres objets en terre plus grossière, sans glaçure, et qui sont d’époques plus rapprochées de nous. Nous citerons seulement ce qui a été découvert à Rennes : des briques aux bords relevés et d’autres ayant la forme de demi-gouttières, qui, étant renversées, pouvaient servir à recouvrir l’intervalle entre deux briques à rebords, à la manière de ces couvre-joints employés pour les toits par les ouvriers zingueurs. Des conduites d’eau, dont quelques-unes sont formées de deux tuyaux l’un dans l’autre, entourés d’un épais blocage de chaux contenant quelques pierres. Dans un échantillon que nous venons de faire porter au Musée, et qui a été trouvé dans la rue d’Échange, le tuyau intérieur est enduit en dedans d’une couche parfaitement caractérisée d’un vernis plombique. On a trouvé dans les jardins, au nord de l’Hôtel-Dieu, des tombeaux gallo-romains formés avec de grandes briques plates qui, reliées les unes aux autres, donnaient des cavités remplies de chaux. On a trouvé aussi des poteries grossières grises et rougeâtres : amphores, plats, patères, et en 1862, derrière l’ancien mur gallo-romain, dans le jardin de Coniac, une grande jarre, — 59 centimètres de diamètre — qui chez les Romains a dû servir, sous le nom de dolium ; à contenir du vin, de l’huile ou quelque autre liquide qu’on transvasait dans des amphores (voir le Catalogue du Musée de Rennes, no  416). On a trouvé encore des lampes, dont une porte sur le dessus le chrisme en relief (voir le même Catalogue, no  407). On a trouvé des fioles à parfums pour les tombeaux ; ces fioles, sans lustre, sont, pour la forme, semblables à celles en verre, que l’on appelle à tort fioles lacrymatoires. On a trouvé, enfin, de nombreuses statuettes d’un travail assez grossier et sans couverte ; ce sont presque toujours des Vénus Anadyoméne, type très-populaire dans l’Ouest de la Gaule, et des figures non moins populaires de Latoue, assise dans une sorte de fauteuil comme tressé en nattes d’osier, et qui, emblème de la fécondité, presse sur sa poitrine ses deux enfants jumeaux, Apollon et Diane. Ces statuettes sont formées de deux demi-bosses moulées séparément et réunies ensuite par le collage des bords avant d’être soumises à la cuisson.

(2) Faut-il se féliciter du succès de l’influence étrangère, faut-il s’en plaindre ? Il sera permis, toutefois, de remarquer que la France avait été, au xiiie siècle, à la tête de la civilisation, par l’influence de sa littérature et de sa poésie sur les autres peuples de l’Europe, comme aussi par sa supériorité artistique, dont les preuves nous restent dans ces splendides cathédrales, — véritables poèmes de pierre, — éclairées par leurs magnifiques verrières et toutes peuplées de statues, durit quelques-unes, surtout à Chartres, à Reims et à Paris, sont de véritables chefs-d’œuvre. Dante a signalé dans ses vers l’avantage qu’avaient, au xive siècle, sur ceux des autres pays, les artistes parisiens, pour les ouvrages d’enluminure, et plusieurs de ces beaux livres d’heures, remplis de brillantes peintures, et qui étaient, souvent toute la bibliothèque d’une famille, pour laquelle ils formaient en même temps un musée intime, sont venus aussi jusqu’à nous.

Lorsque les guerres et les malheurs publics nous enlevèrent la suprématie, dont hérita l’Italie, nos artistes conservèrent encore sur elle la supériorité pour quelques industries d’art importantes, celles des verrières, des émaux et des tapisseries particulièrement.

Il faut reconnaître aussi que lors de la venue des artistes italiens en France, ils y trouvèrent une renaissance nationale déjà assez avancée et des hommes distingués dans les différents arts. Nous citerons, pour l’architecture, Pierre Lescot, Philibert Delorme et Jean Bulaut, grâce auxquels la France n’avait à redouter aucune comparaison ; pour la sculpture, Michel Columb, Jean Gougeon et Germain Pilon, auteurs de figures qui, dans leur exquise naïveté, peuvent être citées comme des modèles de l’art français avant sa transformation par l’art italien. On peut encore rencontrer une preuve de la valeur de nos artistes en examinant ces belles médailles offertes, à leur passage à Lyon en 1499, à Louis XII et à la reine Anne, dont elles portent les effigies. On y reconnaît un sentiment large et profond de l’art et l’intelligence de ses vraies conditions.

Quant aux peintres de la Renaissance française, il suffirait de citer Jehan Foucquet, peintre de Louis XI et de Charles VIII ; Poyer, le peintre du beau livre d’Anne de Bretagne ; Jehan Péréal, dit Jehan de Paris, qui accompagna Louis XII en Italie pour retracer dans des peintures les faits d’armes et les vues des pays, et enfin Jean Cousin, qui ne recherche : qu’à l’époque de sa seconde manière le style italien.

Un travail de réhabilitation vient d’avoir lieu en faveur du premier de ces peintres, Jehan Foucquet, longtemps victime de notre insouciance pour nos gloires nationales ; et il est triste de penser que si des étrangers, des Italiens, n’avaient pas porté témoignage de lui dans leurs écrits ; sa mémoire eût : peut-être été à jamais perdue. Vasari parle avec grand éloge du portrait du Pape Eugène IV, que Foucquet alla peindre à Rome vers 1440, et un littérateur, Francesco Florio, qui résidait à Tours vers 1470, n’hésite pas à placer ce peintre au-dessus de tous les maîtres de son art. On peut constater, en effet, dans les miniatures composées par lui pour le célèbre livre d’heures d’Étienne Chevalier, miniatures qui ont été pendant quelque temps attribuées aux Van Eyck, la science de la composition, la belle ordonnance de l’ensemble, la variété et l’aisance dans la pose des personnages, la justesse de tons, l’harmonie de couleur et la connaissance de la perspective. La fleur de sincérité et de naïveté qui donne tant de charmes aux peintures de Foucquet, et qui va se perdant à mesure que l’esprit se raffine, se trouve, avec les qualités d’un art plus avancé, dans les tableaux de quelques peintres postérieurs, dans ceux de François Clouet, disciple lointain des Van Eyck par son père Jehan Clouet, dont le prénom fit appeler François Jehannet, et dans ceux des Dumoustiers, qui conservèrent pendant quelque temps encore les traditions de l’École française, même après l’invasion de la peinture italienne, qui finit par étouffer dans son germe notre école nationale, dont les débuts donnaient cependant de si belles espérances.

(3) Déjà, René d’Anjou, — 1408-1480 — bien qu’il eût étudié la peint turc en Italie, à Naples sous Antonio Solario (le Zingaro) et à Florence sous Bartolomeo della Gatta, avait appelé dans le comte de Provence — lorsqu’il s’y retira en 1473 — et dans le Languedoc, plusieurs élèves et successeurs des Van Eyck. Son patronage n’eut pas de peine à faire valoir ces artistes ; et certaines églises du Midi de la France, celles d’Aix particulièrement, abritent plus d’anciens tableaux flamands que les églises de Belgique. M. Maurice Richard, ministre des beaux-arts, vient de charger M. Alfred Michiels d’aller étudier et apprécier ces curieuses peintures.

(1) Voici, relativement à Amaury de Fontenay, une curieuse lettre du duc Jean V, en date du ter juillet 1409 :

« Jehan de Bretaigne, etc… comme nostre bien amé et féal chevallier et chambellan, Amaury de Fontenay, aist esté, par longtemps capitaine et garde de nostre ville de Rennes, et nous aist plusieurs fois suppliez que l’en voulussions décharger, ce que nous aurions longtemps dilaié, considérant qu’en meilleure garde ne pouvions mettre nostre ville cte….. Nous en déchargeons contredit chambellan qui nous l’a rendue en aussi bon et meilleur estat que nous lui baillâmes. Et pour ce que, par Passentement de nous et de nostre conseil, fist abatre et =dilacérer nostre chastel dudit lieu de Rennes, qui estoit chu en estat d’aucune detïense ; et les matières de nostre dit chastel filst vendreet mettre les deniers en la fortification de contredite ville en l’endroit de nostre chastel, nous reconnaissons qu’il l’a bien et noyautent faist à notre honneur et protfit, en témoin de quoy nous avons faist mettre nostre scel aux présentes avec le passement de notre propre main. »

Cette lettre se rapporte a la destruction du chastel ducal de Rennes, qui était situé à peu près où est l’hôtel de la Rivière, dans la rue Rallier. Ce n’avait été d’abord qu’un donjon élevé, suivant l’usage féodal, sur une motte, et dans lequel les comtes de Rennes avaient établi leur demeure. A l’époque des ducs, les logements s’étendirent jusqu’à l’enceinte, et le chastel ou forteresse comprit alors un ensemble de courtines reliant des tours. Ce lut avec l’argent provenant de sa démolition qu’en ouvrit la partie voisine de l’enceinte gallo-romaine et qu’en lit la porte Saint-Michel, qui ne fut achevée qu’en 1425, et que l’on voit, telle qu’elle était il y a 150 ans, dans le tableau de l’incendie de la ville qui a été dépose à l’église Saint-Sauveur.

Philippe-Emmanuel duc de Mercœur, de la Maison de Lorraine, qui avait épousé Marie, l’unique héritière de Sébastien de Luxembourg, duc de Penthièvre, et qui, nomme gouverneur de Bretagne, s’y déclara chef de la Ligue, lutta pendant plus de sept ans contre le pouvoir royal. Il était soutenu par les Espagnols, auxquels il avait livré le port du Blavet. En 1593, voulant entrer à Bennes, il vint se loger à Fontenay, et établit ses troupes dans les environs, attendant le résultat des intelligences qu’il s’était ménagées dans notre ville. Mais les habitants ayant demandé du secours au maréchal d’Aumont, Saint-Luc arriva et entra dans Rennes à la vue de l’ennemi, qui resta encore quinze jours à Fontenay, sans vouloir accepter le combat que Saint-Luc, logé dans les faubourgs, lui offrait sans cesse.

Mercœur ne se soumit sans réserve qu’en 1598, et ce fut cette même année que Henri IV, visitant la Bretagne, quitta Nantes le 6 mai pour venir, d’après les conseils de Sully, à Rennes, où il entra, après avoir couché à Fontenay le 8, accompagné de l’amiral, du grand écuyer, des ducs de Bouillon, de Brissac et du Bois-Dauphin, et de quelques autres seigneurs.