Faits curieux de l’histoire de Montréal/3

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SŒUR BOURGEOYS FUT-ELLE ACCUSÉE D’HOMICIDE ?


À deux ou trois reprises, durant ces dernières années, des historiens, des chercheurs ou des amateurs de potins historiques sont venus nous demander, les uns avec mystère, les autres avec effarement, si nous avions les pièces du procès intenté à la sœur Bourgeoys pour homicide ! ! !

La fondatrice des sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, disait-on, avait, un jour, placé dans un tonneau une écolière turbulente qui serait morte asphyxiée dans sa bizarre prison ! Nous ignorions tout de cette affaire qui nous semblait un commérage sans fondement, mais l’insistance avec laquelle on revenait à charge piqua notre curiosité et nous engagea à faire des fouilles systématiques dans les documents du régime français.

Notre travail n’a pas été sans résultat et nous avons trouvé la « solution du problème » ou plutôt l’origine de la calomnie absurde qui menaçait de s’attacher à la mémoire de la brave sœur Bourgeoys.

Et comme il est de l’intérêt de tous que la vérité soit connue, narrons les faits tout simplement, tels qu’ils sont consignés dans les archives judiciaires du mois de juillet 1673.

Mercredi, le 19 juillet 1673, Françoise Nadreau, épouse de Michel André dit Saint-Michel, demeurant dans la contrée Saint-Joseph[1], voulant corriger, pour une peccadille, sa fille Catherine, âgée de cinq ans, la conduisit à la grange, assez éloignée de la maison, et l’enferma dans une barrique dont elle avait recouvert l’ouverture avec un madrier sur lequel elle déposa une poche contenant un minot et demi de farine, afin que l’enfant ne pût s’échapper.

Plus tard, la mère ayant été chercher la petite prisonnière pour lui donner une collation de pain et de lait, fut consternée de la trouver morte.

Voulant sortir du tonneau, l’enfant avait « levé de sa tête, le bout du madrier » et s’était « pris le col » entre le madrier et le bord de la barrique.

La malheureuse mère comprit bien qu’il fallait rendre la chose publique, mais dans son épouvante, elle ne pouvait se décider à déclarer ce triste événement aux autorités. En cette impasse, elle résolut d’aller raconter le tout à la bonne sœur Bourgeoys. Il était sept heures du soir lorsque la femme André se présenta chez les sœurs de la Congrégation.

La sœur Bourgeoys prévint aussitôt la justice et deux chirurgiens, Jean Martinet de Fonblanche et Antoine Forestier furent chargés d’examiner le cadavre et de dresser procès-verbal.

L’enquête eut lieu le 21 de juillet et la sœur Bourgeoys, naturellement, dut rapporter devant le tribunal ce qui lui avait été confié.

Par ailleurs, les témoins attestent que la femme André est une personne honnête, aimant bien ses enfants, que la jeune Catherine était fort espiègle et que c’était l’habitude de sa mère de la punir en l’enfermant dans un tonneau.

Il n’apparaît pas que la femme André ait été inquiétée davantage et le procès semble finir là.

D’où vient alors, que l’on ait mis cette offense sur le compte de sœur Bourgeoys ?

Écartant toute idée de malice, il est évident que l’auteur du racontar sensationnel a été victime d’une méprise qui s’explique probablement ainsi.

Les pièces du procès sont de l’écriture du greffier de la justice seigneuriale, Bénigne Basset. Le manuscrit de ce scribe, par suite d’abréviations nombreuses et des formes de certaines lettres n’est pas d’une compréhension facile au premier abord, si bien qu’un lecteur non averti a pu, sans grand miracle, ne déchiffrer le texte qu’imparfaitement et prendre le témoignage de sœur Bourgeoys pour des aveux !

En tout cas, il est vrai que sœur Bourgeoys a été impliquée dans un procès concernant « la mort d’une fillette emprisonnée dans un tonneau », mais ce n’était ; pas en qualité d’accusée, loin de là !



  1. C’est-à-dire dans cette région qui est à l’ouest de la rue Mc Gill et qui s’appela, tour à tour, contrée Saint-Joseph, faubourg des Récollets et faubourg Saint-Joseph