Faits curieux de l’histoire de Montréal/2
LES SYNDICS DE VILLE-MARIE AU XVIIe SIÈCLE
Nos premiers Maires
Sous le régime français, il n’y eut pas d’organisation municipale, au sens où on l’entend aujourd’hui. Selon les époques, notre ville fut gérée par les gouverneurs particuliers, les intendants, les subdélégués des intendants ou les juges.
Mais comme la collectivité des habitants avait parfois besoin de quelqu’un pour veiller à l’intérêt commun et assumer des obligations au nom de tous, Louis XIV permit, dès 1644, aux colons de Ville-Marie et autres lieux, d’élire un représentant nommé syndic, qui resterait en fonction pendant trois ans consécutifs et ne recevrait aucun émolument.
Aux attributions déjà signalées, le roi, en 1648, en ajouta une autre. Les Syndics de Montréal, Trois-Rivières et Québec reçurent alors mission de choisir parmi les habitants, tous les trois ans, deux des membres du Conseil qui administra la Nouvelle-France entre 1648 et 1662.
Ces fonctionnaires dont le rôle fut utile et qui, en somme, ont été les Maires de Montréal au dix-septième siècle n’occupent certainement pas dans notre histoire locale, la place qui leur est due : plusieurs ignorent leurs noms et bien peu savent quelque chose de leur vie. Pourquoi ne leur accorderait-on pas une parcelle de notoriété ?
Apprenons d’abord comment ils étaient élus, en recourant à l’historien Faillon qui a extrait des archives tous les détails propres à nous faire comprendre la procédure suivie :
« Avant de convoquer les habitants en assemblée publique et régulière pour élire un syndic, il était nécessaire d’avoir la permission du gouverneur particulier ; et après que celui-ci avait autorisé l’assemblée, le procureur fiscal adressait une requête au juge, qui, à son tour, faisait publier et afficher par le greffier l’ordonnance du gouverneur, notifiant le jour et la fin de l’assemblée.
« Avant que le Séminaire de Ville-Marie eût établi un juge pour la seigneurie de Montréal, le greffier était présent à l’élection du syndic et en dressait un procès-verbal. Mais depuis que M. d’Ailleboust exerçait les fonctions de juge, il présidait en personne à l’assemblée, qu’on convoquait au son de la cloche, et s’y faisait accompagner par le procureur fiscal et par le greffier…
« Les élections de 1667 et de 1668… furent faites dans le hangar des habitants situé à la commune. Néanmoins, pour mettre sans doute plus d’appareil à cet acte important, l’élection se faisait quelquefois dans la salle du Séminaire (rue Saint-Paul), ou même dans la salle d’audience du château. » (Paillon, Histoire de la Colonie, III, p. 361).
Le même auteur veut nous concéder des syndics depuis 1644 à 1672, mais c’est une conjecture seulement. Il existait un syndic, à Montréal, en 1651 ; nous trouvons les noms de sept autres pour les années 1656 à 1672, et c’est tout.
Y en eut-il plus ? Personne n’en a fourni la preuve jusqu’à présent ; force est donc de se borner aux huit notices suivantes :
Né à Dormelles, en Gatinois (département de Seine-et-Marne), vers 1618, de Saint-Père semble être venu à Montréal en 1643 avec Louis d’Ailleboust, sieur de Coulonge. Le 25 septembre 1651, il épousa à Montréal Mathurine Godé, fille du vieux menuisier Nicolas Godé. De cette union naquirent deux enfants : un fils qui se noya à l’âge de sept ans et une fille qui devint la femme de Pierre Le Gardeur de Repentigny. En 1654, le 24 juin, M. de Saint-Père fut nommé « receveur des aumônes qui seraient faites en faveur de la construction de l’église projetée de Montréal. »
Cet excellent colon dont les annales font des éloges, fut tué par les Iroquois, le 25 octobre 1657, en même temps que son beau-père et un serviteur nommé Jacques Nail ou Noël. C’est M. de Saint-Père qui reçut, le 2 octobre 1651, en qualité de procureur-syndic, le don que fit M. de Maisonneuve de « 40 arpents de terre pour servir de commune aux habitants de Ville-Marie. »
Depuis quand M. de Saint-Père était-il en fonction ? On ne peut le dire.
Né en 1627, il vint à Montréal avec la recrue de 1653 ; il exerçait le métier de charpentier. Ce colon se noya le 20 juillet 1664. Une pièce judiciaire du 28 novembre 1656 démontre qu’il était dès lors syndic et nous lisons dans un acte de Basset qu’il occupait encore cette charge le 3 avril 1660.
L’abbé Faillon fait une curieuse erreur à son sujet. Il note que Marin Jannot succéda au sieur Lachapelle tendis que Jannot et Lachapelle ne sont qu’un seul et même personnage comme cet historien, d’ailleurs, le dit correctement, dans un autre passage.
Jannot était originaire de Lachapelle près de Château-Thierry. Il épousa Françoise Besnard, à Montréal, en 1655. Leurs descendants sont nombreux, aujourd’hui.
Il arrive à Montréal en 1658, en même temps que son parent par alliance, Louis Artus de Sailly. Tous deux avaient séjourné quelque temps aux Antilles où ils avaient tenté une entreprise commerciale avant de venir s’échouer ici, près d’un de leurs bailleurs de fonds, l’abbé Souart, curé de Ville-Marie.
Le plus ancien procès-verbal d’élection de syndic qui nous soit parvenu, date du 18 juillet 1660, et il relate les péripéties de l’élection du sieur Bourduceau.
Ce dernier démissionna l’année suivante, car il quitta Montréal à l’automne de 1661.
Chevalier, capitaine, ancêtre des Testard de Montigny, ce colon semble s’établir à Montréal en 1658, comme marchand traiteur et il épouse, en 1659, Marie Pournin, veuve de Guillaume de la Bardillière. Il s’était fait construire, en 1660, une maison qui avoisinait celle de Charles Le Moyne et de Jacques Le Ber. En février 1663, il était élu caporal de la 10e escouade de la Milice de la Sainte-Famille, fondée par M. de Maisonneuve pour la protection de Montréal.
Son élection comme syndic datait du 21 novembre 1661. Il décéda avant la fin de son triennat, au mois de juin 1663, à peine âgé de trente-trois ans.
Né en 1633, il émigra à Montréal en 1653 et épousa le 20 octobre 1664, Mathurine Juillet, fille de Blaise Juillet, un des compagnons de Dollard des Ormeaux. Au mois de février 1663, il était élu caporal de la 2e escouade de la Milice de la Sainte-Famille et le 21 décembre 1663, les habitants le choisissaient pour leur procureur-syndic. La plupart de ses descendants portent aujourd’hui le nom de Graveline.
Le sieur Baudreau décéda en janvier 1695.
Originaire de la ville de Lude, en Anjou, le sieur Langevin vint s’établir à Montréal avec la recrue de 1653. Il se livra à la culture de la terre. Langevin fut un des trois colons qui résistèrent courageusement à 50 Iroquois, le 6 mai 1662 sur la ferme Sainte-Marie, à l’est de l’ancienne ville de Montréal. Une plaque fixée au coin des rues Saint-André et Lagauchetière rappelle cet événement historique. En 1663, il s’enrôla dans la 15ème escouade de la Milice de la Sainte-Famille. Au recensement de 1681, Langevin déclare qu’il est tailleur de pierre.
Le procès-verbal de son élection à la charge de syndic, porte la date du 31 mai 1667. Il mourut au mois de mai 1718.
L’abbé Ed. Langevin dit Lacroix a publié une intéressante brochure sur la famille Langevin-Lacroix.
Ancêtre des familles De Celles. Né en 1626, il figure pour la première fois, à Montréal, dans un acte de 1651. Gabriel le Sel était estimé de ses concitoyens, car ceux-ci lui ont confié toutes les charges dont ils pouvaient disposer. En 1663, ils le nomment caporal de la 4e escouade de la Milice de la Sainte-Famille, l’année suivante ils l’élèvent juge de police, puis le 19 août 1668. ils le placent au poste de syndic.
Le sieur le Sel du Clos était marié à Barbe Poisson qui, en février 1661, fut l’héroïne d’un bel acte de courage raconté par l’abbé Paillon, dans la biographie de Mlle Mance, tome I, p. 254.
Né en 1624, il émigra de Caen à Montréal en 1653. C’était un cordonnier instruit qui s’adonna à l’agriculture ; car il défricha et exploita lui-même une grande terre sise au coteau Saint-Pierre, près de celle de Jean Descaris, son ami préféré. Chevallier qui resta célibataire, logea longtemps chez son voisin Descaris. En 1663, Chevallier était soldat dans le 12e escouade de la Milice de la Sainte-Famille.
Le 15 mars 1672, le juge de Montréal demanda au gouverneur Perrot la permission d’assembler les habitants de Montréal pour l’élection d’un syndic, ce qui fut accordé. La réunion eut lieu le 27 mars suivant et Jehan Gervaise obtint sept voix, Jean Valiquet une, Pierre Gadois une, Claude Bouchard une, et le sieur Charly-Saint-Ange deux.
Soit que Gervaise eut décliné, soit pour une autre cause, le juge d’Ailleboust convoqua encore les habitants, le 14 mai, pour le lendemain toujours dans le but d’élire un syndic. L’ordonnance contenant cette convocation fut lue, publiée et affichée le dimanche 15 mai, à l’issue de la grand’messe, par le greffier Basset.
Les habitants, au nombre de 29, se réunirent le même jour, après les vêpres. Cette fois, Jacques Le Ber, marchand, reçut quatre voix, Nicolas Hubert dit Lacroix, une voix, André Charly dit Saint-Ange, trois voix, Isaac Nafrechoux, une voix et Louis Chevallier, dix-neuf voix.
Ce dernier n’était pas présent et le juge d’Ailleboust, à la suite du procès-verbal de l’assemblée, déclare par ordonnance, que Louis Chevallier, « sera et de nouveau, procureur syndic de l’Isle de Montréal, pour, en cette qualité, agir, postuler, administrer toutes les affaires tant présantes et advenir qui concernent le bien commun des habitants, etc. »
Le choix des Montréalais était excellent et le modeste Chevallier se montra digne de la confiance qu’on lui avait témoignée. Malheureusement, il se trouva mêlé à la fameuse querelle Frontenac-Perrot-Fénelon et comme il pencha, vers les gens de sa région, le rigide gouverneur général le mit tout simplement au rancart, en l’interdisant.
Quelques mois plus tard (le 20 octobre 1676), les habitants font un coup d’audace. Sous la présidence de Jehan Gervaise, substitut du procureur fiscal, juge intérimaire, en l’absence de M. d’Ailleboust, ils rédigent un placet fort respectueux dans lequel, en cinq petits articles, ils osent formuler leurs suggestions sur le commerce des marchands forains, à Montréal, sur la vente de la boisson, sur les lieux de traite et sur l’interdiction de leur syndic et tous signent — ils étaient quatorze.
Un tel manque d’égard vis-à-vis l’autorité ne pouvait passer inaperçu.
Le 23 mars 1677, M. de Frontenac défendait à tous de faire « aucune assemblée, conventicule ni signatures communes » et le juge d’Ailleboust, le 3 avril suivant, portait cette ordonnance à la connaissance du public.
Après cela il ne fut plus question de syndic des habitants sous le régime français. Une fois l’an, le juge de Montréal rassemblait les notables de l’île, prenaient leurs avis sur certaines questions et tout était dit.