Famille sans nom/II/Chapitre X

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Hetzel (p. 369-381).
Les troupes occupaient la rive gauche du fleuve.

X
bridget morgaz.


Entre temps, deux autres coups, non moins terribles, allaient frapper le parti national et décourager ses derniers défenseurs du camp de l’île Navy.

En vérité, il était à craindre que les réformistes fussent pris de désespoir devant les échecs successifs dont la mauvaise fortune les accablait.

En premier lieu, la loi martiale, proclamée dans le district de Montréal, rendait presque impossible une entente commune entre les paroisses du Saint-Laurent. D’une part, le clergé canadien, sans rien abandonner de ses espérances pour l’avenir, engageait les opposants à se soumettre. De l’autre, il était difficile de triompher sans l’aide des États-Unis. Or, si ce n’est de la part des Américains de la frontière, il ne semblait pas que cette participation dût être effective. Le gouvernement fédéral se défendait de prendre ouvertement fait et cause pour ses voisins d’origine française. Des vœux, oui ! Des actes, peu ou point ! En outre, nombre de Canadiens, tout en réservant leurs droits, tout en protestant contre des abus manifestes, travaillaient à l’apaisement des esprits.

De cet état de choses, il résultait que les patriotes militants, au dernier mois de cette année 1837, n’atteignaient plus que le chiffre d’un millier d’hommes, dispersés sur le pays. Au lieu d’une révolution, l’histoire n’aurait plus à enregistrer qu’une révolte.

Cependant quelques tentatives isolées avaient été faites à Swanton. Sur les conseils de Papineau et de O’Callaghan, une petite troupe de quatre-vingts hommes rentra sur le territoire canadien, arriva à Moore’s-Corner, et se heurta à une troupe de quatre cents volontaires, résolus à lui barrer le passage. Les patriotes se battirent avec un admirable courage ; mais ils furent refoulés et durent repasser la frontière.

Le gouvernement, n’ayant plus rien à craindre de ce côté, allait pouvoir concentrer ses forces vers le nord.

Le 14 décembre, il y eut un combat à Saint-Eustache, dans le comté des Deux-Montagnes, situé au nord du Saint-Laurent. Là, au milieu de ses hardis compagnons, tels que Lorimier, Ferréol et autres, se distingua par son énergie et sa bravoure le docteur Chénier, dont la tête était mise à prix. Deux mille soldats, envoyés par sir John Colborne, neuf pièces d’artillerie, cent vingt hommes de cavalerie, une compagnie de quatre-vingts volontaires, vinrent attaquer Saint-Eustache. La résistance de Chénier et des siens fut héroïque. Exposés aux boulets et aux balles, ils durent se retrancher dans le presbytère, le couvent et l’église. La plupart n’avaient même pas de fusils, et, comme ils en réclamaient :

« Vous prendrez les fusils de ceux qui seront tués ! » répondit froidement Chénier.

Mais le cercle des assaillants se rétrécissaient autour du village, et l’incendie vint en aide aux royaux.

Chénier se vit contraint d’abandonner l’église. Une balle le jeta à terre. Il se releva, il fit feu. Une seconde balle l’atteignit à la poitrine. Il tomba, il était mort.

Soixante-dix de ses compagnons périrent avec lui.

On voit encore les mutilations de l’église où ces désespérés combattirent, et les Canadiens n’ont jamais cessé de visiter l’endroit où succomba le courageux docteur. Dans le pays, on dit toujours : Brave comme Chénier.

Après l’impitoyable répression des insurgés à Saint-Eustache, sir John Colborne dirigea ses troupes sur Saint-Benoît, où elles arrivèrent le lendemain.

C’était un beau et riche village, situé à quelques milles au nord dans le comté des Deux-Montagnes.

Là, il y eut massacre de gens sans armes, qui consentaient à se rendre. Comment auraient-ils eu la possibilité de se défendre contre les troupes venant de Saint-Eustache, et les volontaires venant de Saint-Andrew, soit plus de six mille hommes, ayant à leur tête le général en personne ?

Dévastations, destructions, pillages, incendies, vols, tous les excès d’une soldatesque furieuse, qui ne respectait ni l’âge ni le sexe, profanation des églises, vases sacrés employés aux plus odieux usages, vêtements sacerdotaux attachés au cou des chevaux, tels furent les actes de vandalisme et d’inhumanité dont cette paroisse devint le théâtre. Et, il faut bien le dire, si les volontaires prirent la plus grande part à ces crimes, les soldats de l’armée régulière ne furent que peu ou point retenus par leurs chefs. À plusieurs reprises, ceux-ci donnèrent l’ordre de livrer aux flammes les maisons des notables.

Le 16 décembre, lorsque ces nouvelles arrivèrent à l’île Navy, elles y produisirent une effervescence extrême. Les bonnets bleus voulaient traverser le Niagara pour attaquer le camp de Mac Nab. C’est à grand peine que M. de Vaudreuil parvint à les retenir.

Mais, après ce premier mouvement de fureur, il se produisit un profond découragement. Et même quelques désertions éclaircirent les rangs des patriotes, dont une centaine regagnèrent la frontière américaine.

D’ailleurs, les chefs voyaient diminuer leur influence et se divisaient entre eux. Vincent Hodge, Farran et Clerc étaient souvent en désaccord avec les autres partisans. Seul, M. de Vaudreuil aurait peut-être pu modérer les rivalités, nées de cette situation désespérante. Malheureusement, s’il n’avait rien perdu de son énergie morale, mal remis de blessures mal soignées, il sentait ses forces diminuer chaque jour, il comprenait bien qu’il ne survivrait pas à une dernière défaite.

Aussi, au milieu des appréhensions que lui causait l’avenir, M. de Vaudreuil se préoccupait-il de l’abandon dans lequel sa fille resterait après lui.

Cependant André Farran, William Clerc et Vincent Hodge ne cessaient de lutter contre le découragement de leurs compagnons. Si la partie était perdue, cette fois, répétaient-ils, on attendrait l’heure de la reprendre. Après avoir laissé derrière eux les ferments d’une insurrection future, les patriotes se retireraient sur le territoire des États-Unis, où ils se prépareraient à une nouvelle campagne contre les oppresseurs.

Non ! il ne fallait pas désespérer de l’avenir, et c’est ce que pensait maître Nick lui-même, lorsqu’il disait à M. de Vaudreuil :

« Si la rébellion n’a pas encore pu réussir, les réformes demandées se réaliseront par la force des choses. Le Canada recouvrera ses droits tôt ou tard, il conquerrera son autonomie, il ne dépendra plus que nominativement de l’Angleterre. Vous vivrez assez pour voir cela, monsieur de Vaudreuil. Nous nous retrouverons un jour avec votre chère Clary à la villa Montcalm, relevée de ses ruines. Et moi, j’y compte bien, j’aurai enfin dépouillé le manteau des Sagamores, qui ne va guère à mes épaules de notaire, pour retourner à mon étude de Montréal ! »

Puis, lorsque M. de Vaudreuil, dévoré d’inquiétudes au sujet de sa fille, en parlait à Thomas Harcher, le fermier lui répondait :

« Ne sommes-nous pas de votre famille, notre maître ? Si vous craignez pour Mlle Clary, pourquoi ne la faites-vous pas conduire près de ma femme Catherine ? Là, à la ferme de Chipogan, elle serait en sûreté, et vous l’y rejoindriez, quand les circonstances le permettraient ! »

Mais M. de Vaudreuil ne se faisait plus d’illusion sur son état. Aussi, se sachant mortellement atteint, il résolut d’assurer l’avenir de Clary dans les conditions qu’il avait toujours désirées.

Comme il connaissait l’amour de Vincent Hodge pour sa fille, il devait croire que cet amour serait partagé. Jamais il n’eût soupçonné que le cœur de Clary fût rempli de la pensée d’un autre. Sans doute, en songeant à l’abandon où la laisserait la mort de son père, elle sentirait la nécessité d’un appui en ce monde. Et en était-il un plus sûr que l’amour de Vincent Hodge, déjà uni à elle par les liens du patriotisme ?

M. de Vaudreuil résolut dès lors d’agir dans ce sens, afin d’arriver à la réalisation de son vœu le plus cher. Il ne doutait pas des sentiments de Vincent Hodge, il ne pouvait douter des sentiments de Clary. Il les mettrait en présence l’un de l’autre, il leur parlerait, il joindrait leurs mains. Et alors, au moment de mourir, il n’aurait plus qu’un seul regret — le regret de n’avoir pu rendre l’indépendance à son pays.

Vincent Hodge fut prié de venir dans la soirée du 16 décembre.

C’était une petite maison, bâtie sur la berge orientale de l’île, en face du village de Schlosser, que M. de Vaudreuil occupait avec sa fille.

Bridget y demeurait aussi ; mais elle n’en sortait jamais pendant le jour. Le plus souvent, cette pauvre femme s’en allait à la nuit tombante, absorbée dans le souvenir de ses deux fils, Jean, mort pour la cause nationale, Joann, dont elle n’avait plus de nouvelles, et qui attendait peut-être, dans les prisons de Québec ou de Montréal, l’heure de mourir à son tour !

Au surplus, personne ne la voyait dans cette maison, où M. de Vaudreuil et sa fille lui rendaient l’hospitalité qu’ils avaient reçue à Maison-Close. Non qu’elle eût la crainte d’être reconnue et qu’on lui jetât son nom à la face ! Qui aurait pu soupçonner en elle la femme de Simon Morgaz ? Mais c’était déjà trop qu’elle vécût sous le toit de M. de Vaudreuil, et que Clary lui témoignât l’affection et le respect d’une fille pour sa mère !

Vincent Hodge fut exact au rendez-vous qui lui avait été donné. Lorsqu’il arriva, il était huit heures du soir.

Bridget, déjà sortie, errait à travers l’île.

Vincent Hodge vint serrer la main de M. de Vaudreuil, et se retourna vers Clary qui lui tendit la sienne.

« J’ai à vous parler de choses graves, mon cher Hodge, dit M. de Vaudreuil.

— Je vous laisse, mon père, répondit Clary en se dirigeant vers la porte.

— Non, mon enfant, reste. Ce que j’ai à dire vous concerne tous les deux. »

Il fit signe à Vincent Hodge de s’asseoir devant son fauteuil. Clary prit place sur une chaise près de lui.

« Mon ami, dit-il, il ne me reste que peu de temps à vivre. Je le sens, je m’affaiblis chaque jour davantage. Cela étant, écoutez-moi comme si vous étiez au chevet d’un mourant, et que vous eussiez à recueillir ses dernières paroles.

— Mon cher Vaudreuil, répondit vivement Vincent Hodge, vous exagérez…

— Et vous nous faites bien de la peine, mon père ! ajouta la jeune fille.

— Vous m’en feriez bien plus encore, reprit M. de Vaudreuil, si vous refusiez de me comprendre. »

Il les regarda longuement tous deux. Puis, s’adressant à Vincent Hodge :

« Mon ami, reprit-il, jusqu’ici, nous n’avons jamais parlé que de la cause à laquelle, vous et moi, avons voué toute notre existence. De ma part, rien n’était plus naturel, puisque je suis de sang français et que c’est pour le triomphe du Canada français que j’ai combattu. Vous, qui ne teniez pas à notre pays par les liens d’origine, vous n’avez pas hésité, cependant, à vous mettre au premier rang des patriotes…

— Les Américains et les Canadiens ne sont-ils pas frères ? répondit Vincent Hodge. Et qui sait si le Canada ne fera pas un jour partie de la confédération américaine !…

— Puisse ce jour venir ! répondit M. de Vaudreuil.

— Oui, mon père, il viendra, s’écria Clary, il viendra et vous le verrez…

— Non, mon enfant, je ne le verrai pas.

— Croyez-vous donc notre cause à jamais perdue, parce qu’elle a été vaincue cette fois ? demanda Vincent Hodge.

— Une cause qui repose sur la justice et le droit finit toujours par triompher, répondit M. de Vaudreuil. Le temps, qui me manquera, ne vous manquera pas pour voir ce triomphe. Oui, Hodge, vous verrez cela, et, en même temps, vous aurez vengé votre père… votre père mort sur l’échafaud par la trahison d’un Morgaz ! »

À ce nom, inopinément prononcé, Clary se sentit comme frappée au cœur. Craignit-elle de laisser voir la rougeur qui lui monta au visage ?
« Vous prendrez les fusils de ceux qui seront morts ! » répondit Chénier.


Oui, sans doute, car elle se leva et alla prendre place près de la fenêtre.

« Qu’avez-vous, Clary ?… demanda Vincent Hodge, qui fit un effort pour quitter son fauteuil.

— Non, mon père, ce n’est rien !… Un peu d’air suffira à me remettre ! »
Là, il y eut massacre de gens sans armes.


Vincent Hodge ouvrit un des battants de la fenêtre, et retourna vers M. de Vaudreuil.

Celui-ci attendit quelques instants. Puis, Clary étant revenue près de lui, il lui prit la main, en même temps qu’il s’adressait à Vincent Hodge :

« Mon ami, dit-il, bien que le patriotisme ait rempli votre existence entière, il a cependant laissé place dans votre cœur à un autre sentiment ! Oui, Hodge, je le sais, vous aimez ma fille, et je sais aussi quelle estime elle a pour vous. Je mourrais plus tranquille si vous aviez le droit et le devoir de veiller sur elle, seule au monde après moi ! Si elle y consent, l’accepterez-vous pour femme ? »

Clary avait retiré sa main de la main de son père, et, regardant Vincent Hodge, elle attendit sa réponse.

« Mon cher Vaudreuil, répondit Vincent Hodge, vous m’offrez de réaliser le plus grand bonheur que j’aie pu rêver, celui de me rattacher à vous par ce lien. Oui, Clary, je vous aime, et depuis longtemps, et de toute mon âme. Avant de vous parler de mon amour, j’aurais voulu voir triompher notre cause. Mais les circonstances sont devenues graves, et les derniers événements ont modifié la situation des patriotes. Quelques années peut-être s’écouleront avant qu’ils puissent reprendre la lutte. Eh bien, ces années, voulez-vous les passer dans cette Amérique, qui est presque votre pays ? Voulez-vous me donner le droit de remplacer votre père près de vous, lui donner cette joie de m’appeler son fils ?… Dites, Clary, le voulez-vous ? »

La jeune fille se taisait. Vincent Hodge, baissant la tête devant ce silence, n’osait plus renouveler sa demande.

« Eh bien, mon enfant, reprit M. de Vaudreuil, tu m’as entendu ?… Tu as entendu ce qu’a dit Hodge !… Il dépend de toi que je puisse être son père, et, après toutes les douleurs de ma vie, que j’aie cette suprême consolation de te voir unie à un patriote digne de toi et qui t’aime ! »

Et alors Clary, d’une voix émue, fit cette réponse qui ne devait laisser aucun espoir.

« Mon père, dit-elle, j’ai pour vous le plus profond respect ! Hodge, j’ai pour vous plus qu’une profonde estime, une amitié de sœur ! Mais je ne puis être votre femme !

— Tu ne peux… Clary ? murmura M. de Vaudreuil, qui saisit le bras de sa fille.

— Non, mon père.

— Et pourquoi ?…

— Parce que ma vie est à un autre !

— Un autre ?… s’écria Vincent Hodge, qui ne fut pas maître de ce mouvement de jalousie.

— Ne soyez pas jaloux, Hodge ! répondit la jeune fille. Pourquoi le seriez-vous, mon ami ? Celui que j’aime et à qui je n’ai jamais rien dit de mon affection, celui qui m’aimait et qui jamais ne me l’a dit, celui-là n’est plus ! Peut-être, même s’il eût vécu, n’aurais-je pas été sa femme ! Mais il est mort, mort pour son pays, et je resterai fidèle à sa mémoire…

— C’est donc Jean ?… s’écria M. de Vaudreuil.

— Oui, mon père, c’est Jean… »

Clary n’avait pu achever sa réponse.

« Morgaz !… Morgaz !… » tel fut le nom qui retentit en ce moment au milieu de clameurs encore éloignées. En même temps, il se faisait un tumulte de foule. Cela venait du nord de l’île, et précisément le long de la rive du Niagara sur laquelle s’élevait la maison de M. de Vaudreuil.

À ce nom bruyamment jeté, qui complétait celui de Jean, Clary devint effroyablement pâle.

« Quel est ce bruit ? dit M. de Vaudreuil.

— Et pourquoi ce nom ? » demanda Vincent Hodge.

Il se leva, et, se dirigeant vers la fenêtre encore ouverte, il se pencha au dehors.

La rive s’éclairait de vives clartés. Une centaine de patriotes, dont quelques-uns portaient des torches d’écorce de bouleau ou de hêtre, s’avançaient sur la berge.

Il y avait là des hommes, des femmes, des enfants. Tous, hurlant le nom maudit de Morgaz, se pressaient autour d’une vieille femme, qui ne pouvait échapper à leurs insultes, car elle avait à peine la force de se traîner.

C’était Bridget.

En ce moment, Clary se précipita vers la fenêtre, et, apercevant la victime de cette manifestation dont elle ne comprit que trop la cause :

« Bridget !… » s’écria-t-elle.

Elle revint vers la porte, elle l’ouvrit brusquement, elle s’élança au dehors, sans même répondre à son père, qui la suivit avec Vincent Hodge.

La foule n’était pas à cinquante pas de la maison. Les clameurs redoublaient. On jetait de la boue au visage de Bridget. Des mains furieuses se tendaient vers elle. On ramassait des pierres pour l’en frapper.

En un instant, Clary de Vaudreuil fut près de Bridget, et elle la couvrit de ses bras, tandis que ces cris retentissaient avec plus de violence :

« C’est Bridget Morgaz !… C’est la femme de Simon Morgaz !… À mort !… À mort ! »

M. de Vaudreuil et Vincent Hodge, qui allaient s’interposer entre elle et ces forcenés, s’arrêtèrent soudain. Bridget, la femme de Simon Morgaz !… Bridget portant ce nom… ce nom odieux !

Clary soutenait l’infortunée qui venait de tomber sur les genoux. Ses vêtements étaient déchirés et souillés. Ses cheveux blancs, en désordre, lui cachaient la figure.

« Tuez-moi !… Tuez-moi ! murmurait-elle.

— Malheureux ! s’écria Clary, en se retournant vers ceux qui la menaçaient, respectez cette femme !

— La femme du traître Simon Morgaz ! répétèrent cent voix furieuses.

— Oui… la femme du traître, répondit Clary, mais aussi la mère de celui… »

Elle allait prononcer le nom de Jean — le seul, peut-être, qui pût protéger Bridget…

Mais Bridget, retrouvant toute son énergie, s’était relevée et murmurait :

— Non… Clary… Non !… Par pitié pour mon fils… par pitié pour sa mémoire ! »

Et alors, les cris de reprendre avec une nouvelle violence, les menaces aussi. La foule avait grossi, en proie à un de ces délires irrésistibles, qui poussent aux plus lâches attentats.

M. de Vaudreuil et Vincent Hodge voulurent essayer de lui arracher sa victime. Quelques-uns de leurs amis, attirés par le tumulte, vinrent à leur aide. Mais en vain tentèrent-ils de dégager Bridget, et avec elle Clary, qui s’attachait à elle.

« À mort !… À mort… la femme de Simon Morgaz ! » hurlaient ces voix affolées.

Tout à coup, à travers la foule qu’il repoussa, un homme apparut. Soudain, arrachant Bridget aux bras qui se levaient pour lui porter les derniers coups :

« Ma mère ! » s’écria cet homme.

C’était Jean-Sans-Nom, c’était Jean Morgaz !