Famille sans nom/II/Chapitre IX

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Hetzel (p. 356-368).

IX
l’île navy.


Ce fut en 1668, sous les ordres de Cavelier de la Salle, que les Français firent naviguer le premier navire européen à la surface de l’Ontario. Arrivés à sa limite méridionale, où ils élevèrent le fort Niagara, leur bâtiment s’engagea sur la rivière de ce nom, dont il remonta le cours jusqu’aux rapides, à trois milles des chutes. Puis, un second navire, construit et lancé en amont des célèbres cataractes, vint déboucher dans le lac Érié et poursuivit son audacieuse navigation jusqu’au lac Michigan.

En réalité, le Niagara n’est qu’un canal naturel, long de quinze à seize milles, qui permet aux eaux de l’Érié de s’écouler vers l’Ontario. À peu près au milieu de ce canal, le sol manque brusquement de cent soixante pieds — précisément à l’endroit où la rivière se coude en décrivant une sorte de fer à cheval. L’île aux Chèvres — Goat Island — la divise en deux parties inégales. À droite, la chute américaine, à gauche, la chute canadienne, précipitent leurs eaux bruyantes au fond d’un abîme que couronnent incessamment les brumes d’une poussière aqueuse.

L’île Navy est située en amont des chutes, par conséquent du côté du lac Érié, à dix milles de la ville de Buffalo, et à trois milles du village de Niagara-Falls, bâti à la hauteur des cataractes dont il porte le nom.

C’était là que les patriotes avaient élevé le dernier boulevard de l’insurrection, comme une sorte de camp jeté entre le Canada et l’Amérique sur le cours de ce Niagara, limite naturelle des deux pays.

Ceux des chefs qui avaient échappé aux poursuites des loyalistes, après Saint-Denis, après Saint-Charles, avaient quitté le territoire canadien, et franchi la frontière pour se concentrer à l’île Navy. Si le sort des armes les trahissait, si les royaux parvenaient à traverser le bras gauche de la rivière et à les chasser de l’île, il leur resterait la ressource de se réfugier sur l’autre rive, où les sympathies ne leur manqueraient pas. Mais, sans doute, ils seraient en petit nombre, ceux qui demanderaient asile aux Américains, car cette suprême partie, ils allaient la jouer jusqu’à la mort.

Voici quelle était la situation respective des Franco-Canadiens et des troupes royales, envoyées de Québec, dans la première quinzaine de décembre.

Les réformistes, — et plus spécialement ceux qu’on appelait les « bonnets bleus » — occupaient l’île Navy que la rivière ne suffisait pas à défendre.

En effet, bien que le froid fût extrêmement vif, le Niagara demeurait navigable, grâce à la rapidité de son cours. Il s’ensuivait donc que les communications étaient possibles au moyen de bateaux, entre l’île Navy et les deux rives. Aussi, les Américains et les Canadiens ne cessaient-ils d’aller et venir du camp au village de Schlosser, situé sur la droite du Niagara. Fréquemment, des embarcations passaient ce bras, les unes transportant des munitions, des armes et des vivres, les autres, chargées de visiteurs accourus à Schlosser, en prévision d’une attaque prochaine des royaux.

Un citoyen des États-Unis, M. Wills, propriétaire du petit bateau à vapeur Caroline, l’utilisait même pour ce transport quotidien, moyennant une légère rétribution que les curieux versaient volontiers dans sa caisse.

Sur la rive opposée du Niagara, et par conséquent en face de Schlosser, les Anglais étaient cantonnés dans le village de Chippewa, sous les ordres du colonel Mac Nab. Leur effectif était assez important pour écraser les réformistes rassemblés sur l’île Navy, s’ils parvenaient à y opérer une descente. Aussi de larges bateaux avaient-ils été réunis à Chippewa en vue de ce débarquement, qui serait tenté dès que les préparatifs du colonel Mac Nab auraient pris fin, c’est-à-dire dans quelques jours. L’issue de cette dernière campagne sur les confins du Canada, en présence des Américains, était donc imminente.

On ne s’étonnera pas que les personnages qui ont plus spécialement figuré dans les diverses phases de cette histoire, se fussent retrouvés à l’île Navy. André Farran, récemment guéri de sa blessure, ainsi que William Clerc, étaient accourus au camp, où Vincent Hodge ne tarda pas à les rejoindre. Seul, le député Sébastien Gramont, alors détenu dans la prison de Montréal, n’occupait pas son rang parmi ses frères d’armes.

Après avoir assuré la retraite de Bridget et de Clary de Vaudreuil qui, grâce à son intervention, avaient pu atteindre Maison-Close, Vincent Hodge était parvenu à se dégager des soldats ivres qui l’entouraient et de ceux qui menaçaient de lui couper la route. De là, il s’était jeté à travers la forêt, et, au lever du jour, il ne courait plus le danger de tomber entre les mains des royaux. Quarante-huit heures plus tard, il atteignait Saint-Albans, au delà de la frontière. Lorsque le camp de l’île Navy eut été organisé, il s’y transporta avec quelques Américains, qui s’étaient donnés corps et âme à la cause de l’indépendance.

Là étaient aussi Thomas Harcher et quatre de ses fils, Pierre, Tony, Jacques et Michel. Après avoir échappé au désastre de Saint-Charles, retourner à Chipogan eût été non seulement se compromettre, mais compromettre Catherine Harcher. Ils s’étaient donc réfugiés au village de Saint-Albans, où Catherine avait pu les rassurer par message sur son sort et sur celui des autres enfants. Puis, dès la première semaine de décembre, ils étaient venus s’enfermer dans l’île Navy, résolus à lutter encore, ayant à cœur de venger la mort de Rémy, tombé sous les balles des loyalistes.

Quant à maître Nick, le sorcier le plus perspicace du Far-West qui lui eût fait cette prédiction : « Un jour viendra où toi, notaire royal, pacifique par caractère, prudent par profession, tu combattras à la tête d’une tribu huronne contre les autorités régulières de ton pays ! » ce sorcier lui eût paru digne d’être enfermé dans l’hospice des aliénés du district.

Et voilà que maître Nick s’y trouvait pourtant, à la tête des guerriers de cette tribu. Après un solennel palabre, les Mahogannis avaient décidé de s’allier aux patriotes. Un grand chef, dont les veines ruisselaient du sang des Sagamores, ne pouvait rester en arrière. Peut-être fit-il quelques dernières objections ; elles ne furent point écoutées. Et, le lendemain du jour où Lionel, accompagnant l’abbé Joann, avait quitté Walhatta, après que le feu du conseil eût été éteint, maître Nick, suivi — non ! — précédé d’une cinquantaine de guerriers, s’était dirigé vers le lac Ontario pour gagner le village de Schlosser.

On imagine quel accueil fut fait à maître Nick. Thomas Harcher lui serra la main et si vigoureusement, que, pendant vingt-quatre heures, il lui eût été impossible de manier l’arc ou le tomahawk ! Même bienvenue de la part de Vincent Hodge, de Farran, de Clerc, de tous ceux qui étaient ses amis ou ses clients à Montréal.

« Oui… oui… balbutiait-il, j’ai cru devoir… ou plutôt, ce sont ces braves gens…

— Les guerriers de votre tribu ?… lui répondait-on.

— Oui… de ma tribu ! » répétait-il.

En réalité, bien que l’excellent homme fît une assez piteuse contenance, dont Lionel avait honte pour lui, c’était un appoint important que les Hurons venaient d’apporter à la cause nationale en lui prêtant leur concours. Si les autres peuplades, entraînées par l’exemple, les suivaient, si les guerriers, animés des mêmes sentiments, s’alliaient aux réformistes, les autorités ne pourraient plus avoir raison du mouvement insurrectionnel.

Cependant, par suite des récents événements, les patriotes avaient dû passer de l’offensive à la défensive. Aussi, dans le cas où l’île Navy tomberait au pouvoir du colonel Mac Nab, la cause de l’indépendance serait-elle définitivement perdue.

Les chefs des bonnets bleus s’étaient occupés d’organiser la résistance par tous les moyens dont ils disposaient. Retranchements élevés sur les divers points de l’île, obstacles contre les tentatives de débarquement, armes, munitions et vivres, dont les arrivages s’opéraient par le village Schlosser, tout se faisait avec hâte, avec zèle. Ce qui coûtait le plus aux patriotes, c’était d’être réduis à attendre une attaque qu’ils ne pouvaient provoquer, n’étant point outillés pour traverser le bras du Niagara. Faute de matériel, comment auraient-ils pu se jeter sur le village de Chippewa, donner l’assaut au camp fortement établi sur la gauche de la rivière ?

On le voit, cette situation ne pouvait qu’empirer, si elle se prolongeait. En effet, les forces du colonel Mac Nab s’accroissaient, pendant que ses préparatifs pour le passage du Niagara étaient poussés activement. Relégués à la frontière, les derniers défenseurs de la cause franco-canadienne eussent vainement tenté d’entretenir des communications avec les populations des provinces de l’Ontario et de Québec. Dans ces conditions, comment les paroisses s’uniraient-elles pour courir aux armes, et quel chef prendrait la tête de la rébellion, maintenant que les colonnes royales parcouraient les comtés du Saint-Laurent ?

Un seul l’eût pu faire. Un seul aurait eu assez d’influence pour soulever les masses populaires : c’était Jean-Sans-Nom. Mais depuis l’échec de Saint-Charles, il avait disparu. Et toutes les probabilités étaient pour qu’il eût péri obscurément, puisqu’il n’avait pas reparu sur la frontière américaine. Quant à admettre qu’il fût tombé récemment entre les mains de la police, c’était impossible ; une telle capture n’aurait pas été tenue secrète par les autorités de Québec ou de Montréal.
« Oui, les guerriers de ma tribu ! » répétait maître Nick.

Il en était de même de M. de Vaudreuil, Vincent Hodge, Farran et Clerc ignoraient ce qu’il était devenu. Qu’il eût été blessé à Saint-Charles, ils le savaient. Mais personne n’avait vu Jean l’emporter hors du champ de bataille, et la nouvelle ne s’était point répandue qu’il eût été fait prisonnier. En ce qui concerne Clary de Vaudreuil, depuis l’instant où il l’avait arrachée aux rôdeurs qui lui faisaient violence, Vincent Hodge n’avait pu retrouver ses traces.

Que l’on juge donc de la joie que tous les amis de M. de Vaudreuil ressentirent, quand, dans la journée du 10 décembre, ils le virent arriver à l’île Navy, avec sa fille, accompagné d’une vieille femme qu’ils ne connaissaient point.

C’était Bridget.

Après le départ de Jean, le meilleur parti, sans doute, eût été de demeurer à Maison-Close, puisque M. de Vaudreuil ne risquerait plus d’y être découvert. Où sa fille trouverait-elle un autre abri et plus sûr ? La villa Montcalm, incendiée par les volontaires dans leur expédition à travers l’île Jésus, n’était plus que ruines. D’ailleurs, M. de Vaudreuil ignorait encore pour quelles raisons Rip avait épargné les perquisitions de la police à Maison-Close. Clary avait gardé le secret de cette protection infamante, et il ne savait pas qu’il fût l’hôte d’une Bridget Morgaz.

Craignant plus pour sa fille que pour lui les conséquences d’une nouvelle visite des agents, M. de Vaudreuil n’avait rien voulu changer à ses projets. Aussi, le lendemain soir, ayant appris que les royaux venaient de quitter Saint-Charles, il avait pris place avec Clary et Bridget dans la charrette du fermier Archambaud. Tous trois s’étaient sans retard dirigés vers le sud du comté de Saint-Hyacinthe. Puis, dès qu’ils eurent connaissance de la concentration des patriotes à l’île Navy, ils firent diligence pour franchir la frontière américaine. Arrivés la veille à Schlosser, après huit jours d’un pénible et périlleux voyage, ils étaient maintenant au milieu de leurs amis.

Ainsi Bridget avait consenti à suivre Clary de Vaudreuil, qui connaissait son passé ?… Oui ! La malheureuse femme n’avait pu résister à ses supplications.

Voici dans quelles circonstances s’était effectué son départ.

Après la fuite de Jean, comprenant comme lui qu’elle ne pourrait plus inspirer que de l’horreur à ses hôtes, Bridget s’était retirée dans sa chambre. Quelle nuit effroyable ce fut pour elle ! Clary voudrait-elle cacher à son père ce qu’elle venait d’apprendre ? Non ! Et le lendemain, M. de Vaudreuil n’aurait plus qu’une hâte — fuir Maison-Close. Oui ! fuir… au risque de tomber entre les mains des royaux, fuir plutôt que de rester une heure de plus sous le toit des Morgaz !

D’ailleurs, Bridget n’y demeurerait pas, ni à Saint-Charles. Elle n’attendrait pas qu’elle ne fût chassée par la réprobation publique. Elle s’en irait au loin, ne demandant à Dieu que de la délivrer de cette odieuse existence !

Mais, le lendemain, au lever du jour, Bridget vit la jeune fille entrer dans sa chambre. Elle allait en sortir pour ne pas s’y rencontrer avec elle, lorsque Clary lui dit d’une voix tristement affectueuse :

« Madame Bridget, j’ai gardé votre secret vis-à-vis de mon père. Il ne sait, il ne saura rien de ce passé, et je veux oublier moi-même. Je me souviendrai que si vous êtes la plus infortunée, vous êtes aussi la plus honorable des femmes ! »

Bridget ne releva pas la tête.

« Écoutez-moi, reprit Clary. J’ai pour vous le respect auquel vous avez droit. J’ai pour vos malheurs la pitié, la sympathie qu’ils méritent. Non !… Vous n’êtes pas responsable de ce crime que vous avez expié si cruellement. Cette abominable trahison, vos fils l’ont rachetée et au delà. Justice vous sera rendue un jour. En attendant, laissez-moi vous aimer comme si vous étiez ma mère. Votre main, madame Bridget, votre main ! »

Cette fois, devant cette touchante manifestation de sentiments auxquels elle n’était plus habituée, l’infortunée s’abandonna et pressa la main de la jeune fille, tandis que ses yeux versaient de grosses larmes.

« Maintenant, reprit Clary, qu’il ne soit jamais question de cela et songeons au présent. Mon père craint que votre demeure n’échappe pas à de nouvelles perquisitions. Il veut que nous partions ensemble, la nuit prochaine, si les routes sont libres. Vous, madame Bridget, vous ne pouvez plus, vous ne devez plus rester à Saint-Charles. J’attends de vous la promesse que vous nous suivrez. Nous irons rejoindre nos amis, nous retrouverons votre fils, et je lui répéterai ce que je viens de vous dire, ce que je sens être d’une vérité supérieure aux préjugés des hommes, ce qui déborde de mon cœur ! — Ai-je votre promesse, madame Bridget ?

— Je partirai, Clary de Vaudreuil.

— Avec mon père et moi ?…

— Oui, et, pourtant, mieux vaudrait me laisser mourir au loin, de misère et de honte ! »

Clary dut relever Bridget, agenouillée devant elle, et qui sanglotait à ses pieds.

Tous trois avaient quitté Maison-Close le lendemain soir.

Ce fut à l’île Navy, vingt-quatre heures après leur arrivée, qu’ils apprirent cette nouvelle si désespérante pour la cause nationale :

Jean-Sans-Nom, arrêté par le chef de police Comeau, venait d’être conduit au fort Frontenac.

Ce dernier coup anéantit Bridget. Ce qu’était devenu Joann, elle ne le savait plus. Ce qui attendait Jean, elle le savait !… Il allait mourir !

« Ah ! du moins, que personne n’apprenne jamais qu’ils sont les fils de Simon Morgaz ! » murmura-t-elle.

Seule, Mlle de Vaudreuil connaissait ce secret. Mais qu’aurait-elle pu dire pour consoler Bridget ?

D’ailleurs, à la douleur qu’elle éprouva en apprenant cette arrestation, Clary sentit bien que son amour pour Jean ne s’était point altéré. Elle ne voyait plus en lui que l’ardent patriote, voué à la mort !

Cependant la capture de Jean-Sans-Nom avait jeté un profond découragement au camp de l’île Navy, et c’est bien sur ce résultat que comptaient les autorités en répandant cette nouvelle à grand bruit. Dès qu’elle fut parvenue à Chippewa, le colonel Mac Nab donna l’ordre de la propager à travers toute la province.

Mais, comment cette nouvelle avait-elle franchi la frontière canadienne ? c’est ce qu’on ignorait. Ce qui paraissait assez inexplicable, c’est qu’elle avait été connue à l’île Navy avant même de l’être au village de Schlosser. Au surplus, peu importait !

Malheureusement, l’arrestation n’était que trop certaine, et Jean-Sans-Nom manquerait à l’heure où le sort du Canada allait se jouer sur son dernier champ de bataille.

Dès que l’arrestation fut connue, un conseil fut réuni dans la journée du 11 décembre.

Les principaux chefs y assistaient avec Vincent Hodge, André Farran et William Clerc.

M. de Vaudreuil, qui commandait le camp de l’île Navy, présidait ce conseil.

Vincent Hodge porta tout d’abord la discussion sur le point de savoir s’il n’y aurait pas lieu de tenter quelque coup de force pour délivrer Jean-Sans-Nom.

« C’est à Frontenac qu’il est enfermé, dit-il. La garnison de ce fort est peu nombreuse, et une centaine d’hommes déterminés l’obligeraient à se rendre. Il ne serait pas impossible de l’atteindre en vingt-quatre heures…

— Vingt-quatre heures ! répondit M. de Vaudreuil. Oubliez-vous donc que Jean-Sans-Nom était condamné avant d’avoir été pris ? C’est en douze heures, c’est cette nuit même qu’il faudrait arriver à Frontenac !

— Nous y arriverons, répondit Vincent Hodge. Le long de la rive de l’Ontario, aucun obstacle ne nous arrêtera jusqu’à la frontière du Saint-Laurent, et, comme les royaux n’auront pas été prévenus de notre projet, ils ne pourront nous disputer le passage.

— Partez donc, dit M. de Vaudreuil, mais dans le plus grand secret. Il importe que les espions du camp de Chippewa ne sachent rien de votre départ ! »

L’expédition décidée, il ne fut pas difficile de réunir les cent hommes qui devaient y prendre part. Pour arracher Jean-Sans-Nom à la mort, tous les patriotes se fussent offerts. Le détachement, commandé par Vincent Hodge, passa sur la rive droite du Niagara, à Schlosser, et, prenant l’oblique à travers les territoires américains, il arriva vers trois heures du matin sur la rive droite du Saint-Laurent, dont il était aisé de franchir la surface glacée. Le fort Frontenac n’était pas à plus de cinq lieues dans le nord. Avant le jour, Vincent Hodge pouvait avoir surpris la garnison et délivré le condamné.

Mais il avait été précédé par un exprès à cheval, directement envoyé de Chippewa. Les troupes, qui surveillaient la frontière, occupaient toute la rive gauche du fleuve.

Il fallut renoncer à tenter le passage. Le détachement eût été écrasé. Les cavaliers royaux lui auraient coupé la retraite. Pas un ne fût revenu à l’île Navy.

Vincent Hodge et ses compagnons durent reprendre le chemin de Schlosser.

Ainsi, le coup de main, projeté contre le fort Frontenac, avait été signalé au camp de Chippewa ?

Que les préparatifs, nécessités par le rassemblement d’une centaine d’hommes, n’eussent pu être tenus absolument secrets, cela était probable. Mais comment le colonel Mac Nab en avait-il eu connaissance ? Se trouvait-il donc parmi les patriotes, un espion ou des espions en mesure de correspondre avec le camp de Chippewa ? On avait déjà eu le soupçon que les Anglais devaient être instruits de tout ce qui se faisait sur l’île. Cette fois, le doute n’était plus permis, puisque les troupes, cantonnées sur la limite du Canada, avaient été avisées assez à temps pour empêcher Vincent Hodge de la franchir.

Du reste, la tentative, organisée par M. de Vaudreuil, n’aurait pu
Ils avaient pris place dans la charrette du fermier.


amener la délivrance du condamné. Vincent Hodge serait arrivé trop tard à Frontenac.

Le lendemain, dans la matinée du 12, la nouvelle se répandait que Jean-Sans-Nom avait été fusillé la veille dans l’enceinte du fort.

Et, les loyalistes s’applaudissaient de n’avoir plus rien à craindre du héros populaire, qui était l’âme des insurrections franco-canadiennes.