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Faust (Goethe, trad. Nerval, 1877)/Second Faust/Épilogue

La bibliothèque libre.
Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 271-274).


ÉPILOGUE


Faust est mort, le pacte est accompli, le pari semble gagné. Dans une sorte d’épilogue, Méphistophélès, resté près du cadavre, appelle à son aide les sombres légions. L’âme, encore attachée au corps, va tomber comme un fruit mûr. Mais cette âme puissante a résisté jusqu’au dernier moment. Le son de la cloche mystique était arrivé jusqu’à son oreille. Une pensée divine l’avait remplie et enivrée à l’instant suprême. Aussi les anges arrivent près du corps en même temps que les démons. Les sombres cohortes lâchent pied sans résistance. L’Hosanna seul les met en déroute. Méphistophélès, sombre et railleur toujours, se dresse fièrement au milieu des armées célestes. Il fait valoir ses droits, il discute, il ergote comme un docteur sur la lettre du traité. Les anges lui répondent par des cantiques et développent devant lui toute la splendeur de leurs phalanges. Une pluie de roses tombe sur le sol. L’éther vibre de mélodies. Le diable lui-même se sent séduit par ce spectacle. Le doute de sa propre négation le saisit ; entraîné depuis si longtemps par l’âme sublime de Faust à travers les sphères infinies, parmi toutes les beautés de la création, dans le dédale du monde antique qu’il ignorait, et dont les fantômes de sages et de dieux se sont entretenus avec lui, le diable, fils des temps nouveaux, a perdu beaucoup de son orgueil et de sa haine ; toujours il proteste, comme on vient de voir plus haut ; mais la vérité se glisse malgré lui dans son esprit rebelle. Les chants célestes lui sont doux à entendre, le parfum des roses divines flatte son odorat. L’admirable beauté des anges le séduit même, et lui inspire des paroles de désir et d’amour. Au milieu de ces anges lutins, de ces fleurs, de ces rondes d’esprits folâtres, le vieux diable ressemble au satyre antique enlacé par des enfants. Cette double image participe de l’alliance du monde ancien et du monde nouveau tentée par le poëte. On prévoit que le diable, un jour, sera pardonné selon le vœu de sainte Thérèse. L’ange déchu se laisse enlever l’âme de Faust pendant ce rêve du paradis.

Réveillé par les chants de triomphe des anges qui remontent au ciel avec leur proie, Méphistophélès exhale ses plaintes comme l’avare qui a perdu son trésor :

— Qu’y a-t-il ? Que sont-ils devenus ? Je me suis donc laissé duper par cette engeance qui m’enlève le fruit de ma peine ! C’était pour cela qu’ils rôdaient autour de la tombe. Un grand, un unique trésor m’est ravi. Cette grande âme, qui s’était donnée à moi, ils me l’ont dérobée par la ruse. À qui me plaindre, maintenant ? Qui jugera mon droit acquis ? — Te voilà donc trompé dans tes vieux jours, et tu l’as mérité ; tu as à plaisir gâté tes affaires ! Un désir insensé, une fantaisie vulgaire, une absurde pensée d’amour t’a égaré, toi le démon !… Et, quand tout ton esprit et toute ton expérience avaient su mener à bien cette sotte entreprise, voici que, pour un moment d’insigne folie, le dénoûment tourne contre toi !




Emportée loin de la terre par les esprits du ciel, l’âme de Faust traverse d’abord une région intermédiaire où prient de saints anachorètes, auxquels l’auteur donne les noms mystiques de Pater Extaticus, Pater Profundus, Pater Seraphicus. Dans cette solitude céleste, les âmes s’épurent et laissent au passage les dernières souillures de leur enveloppe terrestre. Une sphère supérieure encore est habitée par les enfants de minuit et les anges novices, qui, de là, transmettent l’âme aux saintes femmes, sur lesquelles règne et plane la souveraine du ciel, Mater Gloriosa.

Les trois grandes pénitentes, Madeleine, la Samaritaine et Marie l’Égyptienne, chantent un hymne à la sainte Vierge, en l’implorant. Marguerite, après elles, intercède pour l’âme de Faust, en répétant quelques paroles de la prière même qu’elle adressait, dans la première partie, à l’image de Mater Dolorosa.

Le ciel pardonne : l’âme de Faust, régénérée, est accueillie par les esprits bienheureux ; et l’auteur semble donner pour conclusion que le génie véritable, même séparé longtemps de la pensée du ciel, y revient toujours, comme au but inévitable de toute science et de toute activité.




Dans le ciel.


LES TROIS PÉNITENTES.


Magna Peccatrix (S. Lucæ, viii, 36), Mulier Samaritana (S. Joh., iv}. Maria Ægyptiaca (Acta Sanctorum).


CHŒUR.


Toi qui à de grandes pécheresses
N’as jamais refusé de s’approcher de toi ;
Toi qui as fait monter dans l’éternité
La pénitence ressentie au fond du cœur.
Daigne accueillir cette bonne âme
Qui ne s’est qu’une fois oubliée
Et qui n’avait jamais pressenti sa faute ;
Daigne lui accorder son pardon.


UNE PÉNITENTE, appelée autrefois MARGUERITE.


 Abaisse, abaisse,
 Toi sans pareille.
 Toi, radieuse,
Ton regard de grâce vers mon bonheur !
 L’amant de ma jeunesse
 Échappé aux troubles de la vie,
 Il revient auprès de moi !


ENFANTS BIENHEUREUX, s’approchant en cercle.


Il nous surpasse déjà en grandeur
Par la force de sa stature ;
Il récompensera pleinement
Nos soins, notre fidélité et notre sollicitude ;
Nous fûmes de bonne heure éloignés
Des chœurs joyeux des hommes ;
Mais celui-ci a appris beaucoup,
Et il nous apprendra à son tour.


LA PÉNITENTE, autrefois MARGUERITE.


Entouré du noble chœur des esprits,
Le nouveau venu se reconnaît à peine ;
À peine il pressentit cette vie renouvelée,
Et déjà il ressemble à la sainte cohorte.
Vois comme il se délivre de tout lien terrestre !
Comme il jette à bas ses vieilles dépouilles !
Et comme de la robe éthérée
Jaillit la première force de la jeunesse.
Permettez-moi de le guider et de l’instruire ;
Car le nouveau jour l’éblouit encore.


MATER GLORIOSA.


Viens, élève-toi jusqu’aux sphères supérieures !
Dès qu’il pressentira ta présence, il te suivra !


CHŒURS CÉLESTES.