Faust (Goethe, trad. Nerval, 1877)/Second Faust/Prologue

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Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 185-188).

SECOND FAUST



PROLOGUE


Une contrée riante.


FAUST, étendu sur un gazon fleuri, fatigué et inquiet, cherche à s’endormir, et des esprits appelés
Elfes, figures légères et charmantes, voltigent en cercle autour de lui.


ARIEL chante accompagné des harpes d’Éole.


Si la pluie des fleurs du printemps
Tombe en flottant sur toutes choses,
Si la bénédiction des vertes prairies
Sourit à tous les fils de la terre,
Le grand esprit des petits elfes
Porte son aide partout où il peut ;
Et que ce soit un saint ou un méchant.
L’homme de malheur excite toujours sa pitié.

Vous qui flottez autour de cette tête en cercle aérien,
Montrez ici la noble nature des elfes ;
Adoucissez la douleur aiguë du cœur,
Arrachez les flèches amères du remords cuisant,
Et purifiez son âme des malheurs passés.
Il y a quatre périodes du repos de la nuit ;
Remplissez-les avec bienveillance et activité.

D’abord vous penchez sa tête sur de frais coussins de verdure,
Puis vous le baignez dans la rosée du fleuve Léthé ;
Bientôt les membres roidis s’assouplissent,
Et, se fortifiant, il repose en attendant le matin.
Vous remplirez alors le plus beau devoir des elfes
En le rendant à la sainte lumière du jour.


LE CHŒUR chante alternativement, tantôt à deux, tantôt à plusieurs voix.


Les airs tièdes s’emplissent
Autour du gazon vert ;
Doux zéphyrs, nuages zébrés
Apportez le crépuscule.

Chuchotez de douces paroles de paix.
Bercez le cœur dans un repos d’enfant ;
Et sur les yeux de cet homme fatigué
Fermez les portes du jour.

La nuit déjà est tombée.
L’étoile s’allie à l’étoile ;
De grandes lumières, de petites étincelles
Scintillent ici comme au loin.
Se mirent là-bas dans le lac transparent,
Et éclairent la nuit là-haut ;
La pompe sereine de la lune
Scelle le bonheur du repos.

Déjà les heures sont passées,
Joie et douleur ont disparu.
Pressens-le, tu pourras guérir ;
Confie-toi au nouveau regard du jour.
Les vallées verdissent, les collines grandissent,
Et s’accouplent pour faire de l’ombre en repos ;
Partout en folâtres flots d’argent
La semence vogue vers la récolte.

Aie le désir d’avoir des désirs,
Aspire à ces splendeurs du ciel ;
La prison qui t’entoure est fragile ;
Le sommeil est l’écorce ; rejette-la.
Ne tarde pas à te lancer dans l’action.
Si la foule traîne en hésitant,
Le noble esprit peut tout accomplir
Quand il comprend et saisit tout.


Un bruit immense annonce l’approche du soleil.


ARIEL.


Écoutez, écoutez ! La tempête des Heures
Résonne déjà pour les oreilles des esprits ;
Déjà le nouveau jour est né.
Les portes du rocher grincent en ronflant ;
Les roues de Phébus craquent en roulant.

Quel bruissement la lumière apporte !
C’est le bruit du tambour, le son de la trompette ;
L’œil sourcille et l’oreille s’étonne ;
On ne peut ouïr l’inouï.
Cachez-vous dans les couronnes de fleurs.
Plus avant, plus avant ; restez tranquilles
Dans les rochers, sous les feuillages ;
Si ce bruit vous frappait, vous en resteriez sourds.


FAUST.

Les pulsations de la vie battent avec une nouvelle ardeur, pour faire un riant accueil au crépuscule éthéré. Et toi, terre, tu dormais aussi cette nuit, et tu respires à mes pieds, nouvellement rafraîchie. Tu commences déjà à m’environner de délices, tu animes et encourages ma forte résolution d’aspirer désormais à l’Être suprême. Déjà le monde s’ouvre à demi dans les lueurs du crépuscule, la forêt retentit d’une existence à mille voix. Dans toutes les vallées, les nuages se fondent ; les clartés du ciel s’affaissent dans les profondeurs, et branchages et feuillages jaillissent de l’abîme parfumé, où ils dormaient jusqu’à présent. Les couleurs aussi se détachent du fond de verdure, où la fleur et la feuille égouttent la rosée tremblante. Un paradis se dévoile autour de moi.

Regardez ! Les cimes des montagnes lointaines jouissent d’avance de cette heure de fête ! Elles sont baignées déjà de l’éternelle lumière, qui, plus tard, viendra jusqu’à nous. Déjà la clarté naissante glisse au-devant de nous par les pentes verdies des hauteurs. Le soleil s’avance en vainqueur. Hélas ! voici déjà mes yeux blessés de ses flèches ardentes !

Il en est donc ainsi, lorsqu’un espoir longtemps cherché touche enfin aux portes ouvertes de l’accomplissement et du salut ! À voir les flammes s’élancer des profondeurs qui gisent au delà, l’homme s’épouvante et s’arrête. Nous ne voulions qu’allumer le flambeau de la vie, et c’est une mer de flammes qui se répand autour nous ! Et quelles flammes ! Est-ce amour ? est-ce haine ? Enveloppés de ces replis brûlants, épouvantés d’une terrible alternative de douleurs et de joie, nous nous retournons bientôt vers la terre pour nous réfugier de nouveau sous l’humble voile de notre existence ignorante !

Que le soleil luise donc derrière moi ! La cascade bruit sur les récifs. C’est elle que je contemple avec un transport qui s’accroît sans cesse. De chute en chute, elle roule, s’élançant en mille et mille flots et jetant aux airs l’écume, sur l’écume bruissante. Mais que l’arc bigarré de cette tempête éternelle se courbe avec majesté ! tantôt en lignes pures, tantôt se fondant en air lumineux, et répandant autour de la cascade un doux frisson d’air agité. C’est là l’image de l’activité humaine ; saisis-en bien l’aspect et le sens, et tu comprendras que notre vie n’est de même qu’un reflet aux mille couleurs.