Federic de Sicile/Amaldée à Federic

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Jean Ribou (p. 153-155).

AMALDÉE

À

FEDERIC.

I’Ay mille choſes à vous dire, Prince, & vous apportez mille ſoins à ne les pas entendre ; vous avez autant d’empreβement à me fuir, que j’en ay à vous chercher ; enfin je remarque dans toutes vos actions un air de mépris auſſi ſingulier que l’estime que j’ay pour vous eſt particuliere, a-t’on jamais veu un rival en uſer comme vous faites ? on ſe parle avec aigreur entre rivaux ; mais toujours on ſe parle, & voſtre ſilence eſt plus deſeſperant que tout ce que vous pouriez me dire de fâcheux. On a quelque animoſité ſur ce qui regarde la concurrence, mais on s’en relaſche pour le reſte, & vous ne vous relaſchez jamais de la voſtre ny de ces manieres fieres, & pleines de dépit, que je ne ſçaurois conçevoir ; il y a plus que de la concurrence entre nous. Ie ſuis obligé de m’en prendre à cette antipathie que vous ne m’aviez fait oublier, qu’afin de m’en faire reſſouvenir avec plus de douleur. Pourquoy l’aviez-vous quittée puiſque vous ne la quittiez pas pour toujours, & que deſormais vous ne l’abandonnez pas un moment ? ah ! que voſtre amitié m’a deu eſtre cruelle, puis qu’elle n’eſtoit pas ſincere. C’est un raffinement de haine, dont il n’y a que vous ſeul qui ſoyez capable, cependant je ne la merite point. A-t’on jamis veu un rival en uſer comme je fais, vous eſtes aimé, vous me haïſſez, ma paſſion ne ſert qu’à rendre vôtre victoire plus éclatante, je ſuis miſerable, on me veut rendre heureux, & je m’y oppoſe de peur de vous déplaire, c’est un rafinement d’amitié dont à mon tour il n’y a que moy qui en ſois capable. Helas ? pourquoy nos ſentimens eſtant ſi ſemblables par leur force, ont-ils des motifs ſi differens ? quittons cette égalité fatale puis qu’elle produit des effets ſi contraires ; diminuez un peu la dureté de voſtre procedé, & je conſens à augmenter l’honneſteté du mien, ou plutoſt rencontrons-nous toûjours dans la meſme ardeur, & changez ſeulement de deſſein, &, s’il ſe peut, de conduite.

Aprés qu’il eut achevé cette lettre, il la relut vingt fois, & ne trouvoit point qu’elle exprimaſt aſſez tout ce qu’il vouloit dire ; il luy ſembloit que les termes d’amitié eſtoient impropres & il ne pouvoit pourtant raiſonnablement ſe ſervir de ceux qu’il jugeoit plus convenables. Il ſentit de grandes agitations toute la nuit, le jour luy ſembloit plus long-temps à paroître qu’à l’ordinaire, & il eut des impatiences que Federic eut reçeu ſa lettre, auſquelles ſucceda la crainte qu’il ne voulut point la reçevoir, ou qu’elle ne le perſuadaſt point aſſez. Il la reçeut cependant, & elle fit tout l’effet qu’on en devoit attendre. Elle le ſurpriſt agreablement, il ne voyoit que des malheurs pour luy de tous côtez, & un rayon d’eſperance du côté d’Amaldée les ſuſpendit avec plaiſir, & ſans conſulter que ſon premier mouvement, il luy fit auſſi-toſt cette réponſe.