Federic de Sicile/Federic à Amaldée

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Jean Ribou (p. 156-176).

FEDERIC

À

AMALDÉE.

I’ay trop de raison de vous fuir, & je ne vous fuis pas autant que je le dois, mais ſi vous avez diſtingué dans mes fuites un air particulier, que ne le diſtinguez-vous tout à fait ; & pourquoy prenez-vous pour du mépris ce qui luy reſſembleroit ſi peu, ſi vous l’examiniez mieux. Puiſque vous faites une difference ſi juſte de ma maniere d’agir d’avec celle d’un rival ordinaire en portant la penetration un peu plus loin, vous ne prefereriez pas l’aigreur des rivaux à la delicateſſe d’un amy qui ne ſçauroit dire ny penſer rien de facheux pour celuy qui a merité ſon eſtime. Il y auroit moins que de la concurrence entre nous, ſi vous n’aimiez pas la Princeſſe de Mantoüe, & il y auroit peut-eſtre quelque choſe de plus agreable, ſi vous aviez mieux connu le Prince de Sicile, vous ne me demanderiez pas de me relaſcher d’un moment de ce que vous ſeparez ſi bien de la concurrence, peut-eſtre en ſouhaiteriez-vous la continuation avec autant d’ardeur que vous en avez à vous plaindre. Vous rappellez cette pretenduë antepatie dont je ne vous ay que trop deſabuſé, & dont pourtant je ne me ſuis repenty qu’aprés que vous avez eu une Maistreße. Que toutes mes froideurs vous ont deu eſtre douces, puis qu’elle n’étoient pas ſinceres, eſt il des rafinemens de haine ? helas on ne haït guere quand on y rafine ; mais enfin pourquoy rafinez vous ſur l’amitié quand vous avez de la tendreße, je ne ſçaurois ſouffrir ce cruel partage. Haïſſez-moy comme un vray rival ſi vous aimez comme un vray Amant, n’ayez point pour moy des égards qui peuvent m’étre ſi dangereux, ſoûpirez en repos pour la Princeſſe de Mantoüe, je ne l’aime point puis qu’il faut l’avoüer, je ne vous y nuiray plus, & ce que je luy ay fait voir de ma paſſion n’est pour ſervir qu’au triomphe de la voſtre. Si vos ſentimens eſtoient ſemblables à ſon égard que nous ſerions amis ? c’eſt cette ſeule égalité que je demande, changez de deβein pour elle, & je changeray de conduite avec vous.

Federic eut moins d’impatience d’envoyer ſa lettre qu’Amaldée n’en avoit eu. Il trouvoit qu’il en avoit trop dit, il balança long-temps à la donner juſqu’à ce que quelqu’un l’étant venu demander de la part de la Reine, il la donna afin de n’y faire plus de reflexion, il commanda qu’on la portât au Prince Amaldée, qui ne fut pas aſſez heureux pour la reçevoir, celuy qui fut chargé de ce billet en avoit porté quelques uns à la Princeſſe de Mantoüe de la part de Federic, qui le luy donna bruſquement ; il entendit mal ce que le Prince luy diſoit, & crut qu’il devoit le donner encore à la Princeſſe de Mantoüe. Elle le reçeut, & le leut avec toute la fureur qu’une confirmation ſi autentique de perfidie pouvoit luy donner : quoy ? s’écria-t’elle, il ne ſe contente pas de me trahir, il veut m’oſter le ſeul Amant qui me reſte, ah ! quelle rage eſt la ſienne ? j’aurois ſouffert ſon indifference ſi elle n’eût pas êté volontaire, mais je ne puis ſouffrir l’outrage qu’il me fait avec deſſein ; il faut le punir, par ce qu’il apprehende le plus. On eſt particulierement jalouſe de ſa beauté, & ſouvent on ne veut un Amant que pour en rendre témoignage. De ce pas elle alla chez la Reine, Federic venoit d’en ſortir. La Reine eſtoit ſi contente de luy, qu’elle ne pouvoit déja plus regarder la Princeſſe de Mantoüe comme ſa rivale. Elle fut encore confirmée du ſacrifice que Federic luy avoit fait par l’envie que la Princeſſe luy témoigna d’étre bientoſt ſa belle fille, il n’y avoit plus d’obſtacles, que du côte d’Amaldée, qui eſtant entré en ce moment payoit toutes ſes avances par des froideurs extraordinaires, les mépris que l’on a pour une belle, luy font plus de dépit encore que tous ceux qu’on pourroit marquer au plus amoureux de tous les hommes ; elle accuſoit Federic avec juſtice de celuy qu’on faiſoit de ſes charmes, & pour luy faire croire du moins qu’elle n’eſtoit par ſi mépriſable, & qu’on la conſoloit de l’avoir perdu, elle luy renvoya ſon billet avec ordre de dire que le Prince Amaldée le luy avoit donné, & qu’elle luy en faiſoit reſtitution. C’eſtoit encore beaucoup que de ſatisfaire ſa vanité, & d’avoir une apparence ſi favorable quand tout luy eſtoit contraire. En effet la Princeſſe de Sicile révoit ſeule quand on luy rapporta ſa lettre. Quelle ſurpriſe fut la ſienne ? ah ! s’écria t’elle, faut-il que ne paroiſſant pas Amante, on me traite pourtant comme l’Amante la plus mépriſée, & qu’on me ſacrifie à ma rivale ? ce dernier trait acheve tous les autres, je n’ay plus rien à eſperer, on agit avec moy comme avec la Princeſſe de Sicile, je dois agir auſſi comme elle, & reprocher ſa lâcheté à celuy, qu’helas ! je ne puis accuſer de perfidie, puiſqu’il ne m’a jamais aimée : là deſſus elle courut chercher Amaldée qu’elle trouva dans les jardins du Palais, & luy donnant tous les noms que la rage inſpire, es-tu content de ces noms, luy dit-elle, & te ſemblent ils plus doux que mon ſilence ? il étoit ſi affligé qu’il ne ſçeut luy répondre une ſeule parole, & s’appuyant contre un arbre, il la regarda tendrement, & faiſant couler un torrent de larmes, il en tira à la fin des beaux jeux de cette irritée Princeſſe, elle ſe laiſſa aller ſur un ſiege de gazon vis-à-vis de luy, ils firent une converſation muette plus touchante que tout ce qu’ils auroient pû dire, mais elle ſe retira d’abord qu’Amaldée voulut ouvrir la bouche, & ſe ſauvant dans une allée ſombre, elle trouva Camille & l’Amirale qui la cherchoient ; s’eſtant liguées enſemble pour luy demander raiſon de la tromperie qu’il leur avoir faire ; elles s’eſtoient tuës aſſez longtemps, il faut qu’on faſſe à la fin un éclat, & qu’on ait la cruelle douceur de faire paſſer quelque méchants momens à celuy qui en a fait paſſer bien d’autres, elles y vinrent de compagnie, car on ne veut du particulier que lors qu’on a quelque choſe d’agreable à dire ; de plus elles s’encourageoient mutuellement, & elles pretendoient l’accabler d’avantage en le convainquant toutes deux enſemble des ſupercheries qu’il avoit faites à chacune d’elles en particulier ; elles luy firent cent reproches auſquels il ne ſçeut que répondre. Il reconnoiſſoit ſi bien à leurs mouvemens qu’il eſtoit épouvanté de ce qu’il venoit de faire la meſme choſe. Elles n’auroient jamais finy, on trouve toûujours quelque choſe à dire, & l’on eſt inepuiſable, quand il s’agit de donner l’eſſor à une paſſion. La violence de la leur paſſant dans leurs diſcours, elles firent aſſez de bruit pour ſe faire entendre d’Amaldée qui crut que ſon cher Federic eſtoit engagé dans quelque peril. Attiré par les ſoûpirs qu’il pouſſoit, il luy répondit par d’autres, & accourut à l’endroit où ſe paſſoit une avanture preſque ſemblable à celle qu’il venoit d’avoir. Il vit d’abord un Cavalier qui diſparut, & reconnoiſſant ſa ſœur qui eſtoit toute baignée de larmes, cruel amy luy dit-il, voyez quels maux vous nous faites ? cruel amy, vous-méme, luy repartit triſtement la Princeſſe de Sicile, pourquoy me ſacrifiez-vous à la Princeſſe de Mantoüe ? Moy vous ſacrifier ? luy dit Amaldée, moy qui luy marque tous les jours tant de mépris à voſtre occaſion ? voyez, luy dit-elle en luy montrant la lettre, ce que vous luy avez donné, & ce qu’elle m’a rendu. Amaldée proteſtant qu’il ne ſçavoit ce que c’eſtoit, le pria inſtamment de luy donner cette lettre, Federic ne put reſiſter à l’envie qu’il eut de la luy voir lire ; & Amaldée s’arreſtant à la fin, quoy ? luy dit-il, vous n’aimez pas la Princeſſe plus que moy ? quoy ! luy repartit Federic, & vous ne l’aimez pas vous-méme, plût au Ciel que je fuſſe en état de l’aimer, dirent-ils tous deux à la fois. Tout de bon ne l’aimez-vous point, dit Federic au Prince de Majorque ? non, répondit-il froidement, & ſi j’eſtois fâché que vous l’aimiez, c’eſt apparamment parce que je ne la trouve pas aimable, mais ſi vous ne l’aimez pas, pourquoy craignez vous que je l’aime ? il ſaut bien que vous ayez quelque intereſt caché ; j’en ay un ſans doute, dit Federic, mais encore, ne l’aimez-vous point, repetoit-il toûjours, que je ſois ſeur de vôtre indifference pour elle avant que d’avoüer rien, je vous en aſſure, parlez luy, dit le Prince de Majorque. Federic ne pouvoit plus tenir contre des apparences ſi flateuſes, & la preſence de Camille ne pouvoit arreſter ce qu’un moment ſi favorable luy fourniſſoit. J’aimay, dit-il, dés le moment que je vous vis, & j’aurois encore toute mon indifference ſi vous ne fuſſiez jamais venu en Sicile. Camille, qu’un tel diſcours charmoit, luy faiſoit ſecrettement reparation de tout ce qu’elle avoit dit & penſé contre luy, mais Federic s’arreſtant ſe trouva en beau chemin, & rougiſſant de ce que l’amour luy faiſoit dire, il auroit peut eſtre malgré toutes ſes reflexions, dit quelque choſe de plus, ſi le Roy ne l’eût interrompu. Il fut étonné de ce qu’il le tira en particulier pour luy parler, mais voiçy comme la choſe s’étoit paſſée.

La Reine qu’une trop longue abſence de Federic rendoit inquiette, l’avoit envoyé chercher, ſon imagination remplie de luy, le luy figuroit toûjours avec une autre, il falloit qu’elle le viſt pour calmer tous ſes ſoupçons, on luy dit qu’il eſtoit avec Amaldée & Camille, c’étoit aſſez pour l’alarmer. Le Roy eſtoit preſent quand on luy vint faire ce rapport, elle rougit de l’indiſcretion de celuy qui le faiſoit, & Berranger s’apperçevant de ſa rougeur, la trouva de tres-méchant augure. Ce qu’elle ajoûta en ſuitte avec aſſez d’emportemens, luy fit craindre tout, Camille, luy dit-elle, recommence ſes pourſuites, & il eſt fort à propos qu’on y prenne garde. Voſtre vertu eſt bien auſtere, Madame, luy dit-il, avec dedain, je vois bien que vous ne ſouffrirez guere d’Amant à voſtre fille, mais pour Federic, nous y donnerons ordre, & dés demain on peut le renvoyer en Sicile, pour empécher les ſuites d’un amour dont voſtre ſeverité s’allarme. Là-deſſus il deſcendit dans le jardin du Palais, en reſvant à ce qu’il venoit d’apprendre. Il y trouva Federic, & rompant la converſation qui luy plaiſoit tant, il luy en donna une fort chagrinante. Prince, luy dit-il, vous ſerez ſurpris que j’aye attendu ſi tard à vous dire que vous eſtes libre, mais auſſi deſormais rien ne vous retardera, tout ſera preſt pour voſtre embarquement, & des demain, ſi perſonne ne vous arrête icy, je prétens rendre honneſteté pour honneſteté au Roy de Sicile, en luy rendant ſon fils. En effet Berranger par le trouble de la Reine, avoit extrémement ſenti reveiller ſa gloire, & s’accuſant de l’avoir trop peu ménagée, il menagea en méme temps ſon repos. Il fit de grandes civilités à Federic, qui ne luy répondit que par une profonde reverence, il n’eut pas la force de le remercier d’une choſe qui le mettoit au deſeſpoir, & de ce qu’il luy rendoit une liberté qui luy alloit tant coûter ; quelle douleur pour la Princeſſe de Sicile, de partir dans le temps que ſa preſence pouvoit ſoutenir les ſentimens qu’Amaldée auroit infailliblement pris pour elle. Partir ſans ſe faire connoiſtre, ou ſe faire connoiſtre quand il falloit partir ? eſtoient des reflexions ſi tumultueuſes, qu’il luy falloit de temps pour ſe déterminer, la Reine n’eſtoit pas moins à plaindre qu’elle, l’idée de ne voir jamais ce que l’on aime eſt la plus cruelle choſe que l’imagination puiſſe repreſenter, il falloit qu’elle le viſt du moins encore une fois. Le Roy l’obſedoit continuellement, & la choſe étoit preſque impoſſible, dans ce beſoin preſſant il luy fallut riſquer quelque choſe. Elle ſe fia à la diſcretion d’une de ſes femmes qui luy laiſſa ſa chambre où l’on pouvoit venir par un eſcalier dégagé. Cette femme prit le ſoin d’y conduire Federic qui eſtoit reſolu d’employer le credit de la Reine, ignorant la part qu’elle avoit à cette avanture. Comme le Roy avoit mis ce ſoir-là des eſpions auprés de luy, il ne manqua pas d’eſtre averty du chemin qu’il avoit pris. La Reine ſe trouvant mal, s’étoit miſe ſur un lit de repos où toute baignée de pleurs elle voyoit Federic à genoux, qui n’en verſoit pas moins. Il la conjuroit tendrement d’employer ſon credit pour retarder un départ qui luy alloit eſtre ſi funeſte. Ils eſtoient en cette poſture quand ils entendirent enfoncer la porte de la chambre, & virent entrer le Roy l’épée à la main : Il en donna un grand coup à Federic qui ſe trouva le premier ſous ſon bras. La Reine s’eſtant ſauvée par l’eſcalier dégagé, il courut pour la pourſuivre, mais ne la trouvant plus, il rencontra Amaldée & Camille, qu’il envoya au lieu où ſe paſſoit tout ce deſordre, trouvant que ſa vangeance en ſeroit plus achevée quand tout le monde la ſçauroit, & qu’on y joindroit encore le chagrin de tous ceux qui prenoient part à Federic. La Princeſſe de Mantoue en fut auſſi avertie par le bruit qui s’en répandit dans le Palais, ſa tendreſſe ſe réveilla, & elle ne le trouva plus coupable dés que ſon ſang répandu eut expié ſon crime, elle y courut comme les autres ; les cris retentiſſoient de tous coſtez dans cette chambre, c’eſtoit un ſpectacle fort touchant que de voir Federic nageant dans ſon ſang. La Princeſſe de Mantoüe & Camille s’embraſſerent en verſant un torrent de larmes. Ces Rivales n’eſtoient plus ennemies & leur commun malheur ne leur laiſſoit de ſentimens que pour plaindre ce qu’elles aimoient. Il fallut deshabiller Federic, elles ſe retirerent, on viſita ſa playe. Mais qu’Amaldée en reçeut une dangereuſe ! quand il vit une gorge admirable teinte en pluſieurs endroits d’un ſang qui en relevoit la blancheur naturelle. Cecy ne ſe peut exprimer, l’amour ſe faiſant connoiſtre chez luy dans ce cruel moment, ſe fit ſentir avec toute ſa violence. La Princeſſe de Sicile eſtoit évanouië ; on la croyoit morte, elle ne reſpiroit plus, mais Amaldée s’approchant d’elle l’entendit encore ſoûpirer, il fit encore mouvoir ce cœur qu’il avoit tant agité : Elle ouvrit foiblement les jeux, & jetta un regard perçant à l’amoureux Amaldée, & les referma auſſi-toſt. Ah ! beaux jeux, s’écria-t’il, eſtes vous fermez pour jamais ? Il crut qu’elle avoit pouſſé le dernier ſoupir ; il faiſoit les actions d’un homme inſenſé, & n’eſtant plus capable de ſonger à luy-méme, il ſe laiſſa conduire par ceux que la Reine avoit envoyez au ſecours de Federic dans l’appartement de ces belles affligées, il ne leur apprit point une avanture ſi ſurprenante, il n’avoit garde de ſonger à les conſoler, ny à leur anoncer une nouvelle qui ne ſervoit qu’à redoubler ſon deſeſpoir, ils eſtoient tous dans un morne ſilence, qui cauſé par une violente douleur, l’exprimoit vivement, il reſtoit à ces Princeſſes un rayon d’eſpoir qui les tourmentoit plus que l’aſſurance entiere de leur mal n’avoit pu faire ; on ſe laiſſe aller à ſa rage, quand le mal eſt ſans remede, & l’on n’a du moins que ce mouvement qui entraine l’ame avec violence, & qui ne luy laiſſe pas le loiſir de ſentir toute ſa diſgrace ; mais quand on eſt partagé entre un peu d’eſperance, & beaucoup de crainte, on ſent mille combats qui déchirent, & qui ne ſe peuvent calmer que par la perte de l’une ou de l’autre. Elles les perdirent bien-toſt toutes deux pour y laiſſer ſucceder quelque choſe de plus ſâcheux encore. On vint dire que Federic avoit eſté reconnu pour la Princeſſe de Sicile. Alors tous les mouvemens qu’elles avoient reſſenty ſi mal à propos ſe diſſipant tout d’un coup, elles ſe trouverent dans une letargie auprés de laquelle toutes leurs allarmes leur avoient paru douces. Cependant on viſita la bleſſure de la Princeſſe de Sicile, & l’on trouva qu’elle n’eſtoit point mortelle, on en porta la nouvelle au Roy qui la reçeut comme la gueriſon de tous ſes maux. La Reine ne luy donnoit plus d’ombrage, rien ne l’empeſchoit de joindre la Couronne de Sicile à la ſienne, & trouvant ſon honneur à couvert & ſon ambition ſatisfaite, il apprit avec plaiſir une choſe qui étoit ſi neceſſaire pour ſon repos, & pour celuy de ſes peuples. Il chercha la Reine pour luy faire excuſe de ſon emportement, & voulut bien croire que ce n’eſtoit qu’à la Princeſſe de Sicile qu’on avoit donné le rendez-vous, puiſque ce n’eſtoit effectivement qu’à elle. La Reine étoit ſi confuſe de tant de changemens, qu’elle ne ſçavoit que répondre, elle craignoit que ce ne fuſt une ſurpriſe que le Roy luy voulut faire, & l’auroit peut-eſtre ſouhaitté ; rien ne luy, eſtoit ſi deſagreable que d’apprendre qu’elle n’avoit plus d’Amant, & de plus qu’elle n’en avoit point eu. Il eſſaya vainement de la rendre témoin de cette verité, elle s’en deffendit, luy diſant d’un ton de dépit, que ſa vertu trop juſtifiée luy donna, qu’elle craignoit meſme que le ſexe de la Princeſſe ne la mît pas à couvert de ſes ſoupçons puiſque ſa ſageſſe ne l’en avoit pû garantir. La Princeſſe de Mantoüe & Camille ne voulurent point non plus voir ſous ſa propre figure, celle qui leur avoit tant plû ſous une figure empruntée. Ils haïrent la Princeſſe de Sicile dés qu’ils n’y trouverent plus Federic, mais elle ne demeura pas abandonnée : le Prince de Majorque luy donnoit des ſoins qui la conſoloient aſſez de ceux qu’elle perdoit d’ailleurs. Qu’elle reſſentit de plaiſir à ſe voir aimée ! il eſtoit nouveau pour elle, jamais elle n’avoit veu d’Amant à ſes pieds, il eſt bien doux d’y en voir, mais c’eſt la derniere felicité quand on y voit ce que l’on aime. Ah ! s’écria Amaldée, tout tranſporté, pourquoy attendiez vous ſi tard à triompher d’un cœur qui devoit eſtre tout a vous dés qu’il fut capable d’aimer. J’ay reſſenty, il eſt vray, quelque choſe d’aſſez tendre pour vous, mais j’ay perdu le plaiſir, en ne connoiſſant pas ny les mouvemens de mon cœur, ny le merite de l’objet qui me les inſpire. Mille ſoupirs dont il repara le temps qu’il avoit eſté ſans en connoiſtre l’uſage, & mille inquietudes qu’il eut pour ſa vie, la payerent aſſez de celles qu’elle avoit crû inutiles. Elle n’eut pas le courage de le faire languir long-temps ſans luy apprendre ce qu’il luy avoit inſpiré. Un jour qu’il comparoit devant elle, les ſentimens qu’il avoit eus pour Federic, & ceux qu’il avoit pour la Princeſſe de Sicile, elle voulut bien auſſi r’appeller les ſiens. Ils examinerent avec plaiſir tous leurs mouvemens les plus ſecrets, & vivoient déja les plus heureux du monde, quand les deux Roix conſentirent d’achever leur bonheur & de faire la paix en uniſſant leurs deux familles. La Princeſſe de Mantoüe ne put s’y oppoſer. Elle avoit aimé Federic dans le temps qu’elle devoit eſtre femme d’Amaldée, c’eſtoit aſſez pour l’empeſcher de luy pouvoir reprocher la preference qu’il faiſoit de la Princeſſe de Sicile, d’ailleurs cette Princeſſe avoit trop triomphé de ſon cœur ſous la figure d’un rival, pour la voir triompher avec une autre ſous celle d’Amante, auſſi s’en retourna-t’elle deux jours aprés ſa bleſſure, ſans vouloir luy parler. Elle dit au Roy qu’ayant deſſein de quitter le monde, elle le remercioit de toutes les bontez qu’il avoit eu pour elle, & qu’elle en auroit une éternelle reconnoiſſance. Il fut fort aiſe de la voir d’elle-meſme prendre congé, c’eſtoit un obſtacle levé pour ce qu’il projettoit, ainſi tout fut bien-toſt content à Majorque.

Camille recouvra ſon Amant, on conclut ſon mariage avec le Prince Leon, il avoit toujours conſervé pour elle un caractere de paſſion ſi bonneſte, qu’il ne pouvoit manquer d’eſtre recompenſé à la fin, il s’eſtoit privé volontairement de luy donner des marques de ſa tendreſſe, qui déplaiſt quand l’Amant ne plaiſt pas, & il la luy montra toute entiere, quand la Princeſſe de Sicile l’eut mandé par la permiſſion de Menfroy, à qui Berranger écrivit tout ce qui s’eſtoit paſſé, luy demandant avec beaucoup d’empreſſement l’honneur de ſon alliance. Leon apporta le conſentement de Menfroy à Berranger. Ces deux Rois qui n’avoient pû eſtre reconciliez, le furent par l’entremiſe de leurs enfans. Le Prince Leon vit Camille avec toute la tendreſſe qu’il avoit ſenty pour elle, & luy renouvella ſes vœux, qu’elle reçeut avec des marques d’une affection tres-ſincere. La Princeſſe de Sicile fut charmée de cette reünion, & diſant un jour à Camille que l’amour s’eſtoit ſervi d’elle pour la rendre moins farouche ; cette Princeſſe luy répondit qu’aprés s’eſtre examinée, elle avoit remarqué que le reſpect, & les ſoins de Leon avoient d’abord produit dans ſon ame, ce qu’il n’avoit oſé ſe découvrir que ſous un autre nom. Cela dit en preſence de cet Amant, le combla de joye, & Amaldée regardant malicieuſement Camille, rappella pour ſa belle Maiſtreſſe ces vers que ſa ſœur avoit faits pour Federic, dans le temps qu’elle croyoit eſtre ſure de ſon cœur.

Ah ! que le plaiſir eſt extréme,
Entre deux cœurs qu’aſſemble un doux lieu,
Quand chacun de ſa part voit dans l’objet qu’il aime
Le méme feu qu’il ſentit naiſtre au ſien.
Que de tendres tranſports, que de delicateſſe !
Que de redoublemens d’une vive tendreſſe !
Et qu’enfin deux cœurs amoureux,
Quand ils le ſçavent ſont heureux.

Elle rougit d’un reſte de dépit, mais comme ſa tendreſſe avoit changé d’objet, elle en fit l’application au Prince Leon qui ſe jetta à ſes pieds pour l’en remercier. Amaldée étoit de plus en plus charmé de ſa belle Princeſſe, qu’il épouſa bien-toſt aprés ſous le nom de Conſtance Reine de Sicile, Menfroy eſtant mort quelque temps aprés. Ces quatre Amans vécurent dans une parfaite union le reſte de leurs jours. Camille prit de l’amitié pour la nouvelle Reine, ſitoſt que Leon eut engagé ſon cœur. L’indifference donne je ne ſçay qu’elle tiedeur pour toutes choſes, qu’on perd toujours avec elle, & l’on eſt capable de tous les beaux ſentimens dés qu’on en a de tendres, la Reine ne pouvant faire mieux, rentra dans la même aſſiette où elle eſtoit avant que de voir Federic. L’Amirale trouva un mary à Majorque, & Yolande un en Sicile ; Enfin tout revint dans ſa premiere tranquillité.

FIN.