Femmes et gosses héroïques/02

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MOTS DE GUERRE DES MÈRES ET DES ÉPOUSES


Les jeunes filles méritent l’hommage que vous leur avez rendu, m’écrit-on ; mais ne croyez-vous pas les femmes, mères ou épouses, aussi dévotieusement françaises ? Transcrire leurs paroles est la meilleure réponse à la question.

À cette heure de souffrance commune, les Français se sentent tous d’une même famille. Cela se traduit par un respect plus accentué pour les femmes, les jeunes filles, nos sœurs. Quelques sots pourtant demeurent fidèles à l’inconvenance et se signalent ainsi au mépris public.

Un de ces malappris croise, rue de Passy, une jeune femme jolie, discrète, élégante, dont le visage mélancolique dit la pensée inquiète. Il murmure une lourde galanterie.

Elle s’arrête net. Ses yeux clairs se fixent sur ceux du faquin. D’un grand geste elle embrasse l’horizon du nord à l’est, et lance ces seuls mots :

— Au front !

C’est un ordre, une flétrissure. L’homme demeure stupide. L’énoncé de l’unique et saint devoir l’a étourdi.

Avenue de Villiers, plusieurs dames se réunissent tous les mardis. Elles parlent des « aimés » qui combattent. Elles échangent du courage.

Mardi dernier, Mme V…, retour de province, pénètre dans le petit cercle. On s’enquiert de son fils, vigoureux sportsman de vingt-trois ans.

— Oh ! répond-elle avec l’inconscience de la honte qui s’attache aux préoccupations égoïstes, je l’ai fait admettre comme secrétaire d’administration. Comme cela, le pauvre chéri n’ira pas à la boucherie.

On imagine le « froid ». Pour réchauffer l’atmosphère, l’une des personnes présentes s’adresse à la maîtresse de maison :

— Chère amie, avez-vous des nouvelles de votre fils ?

— Henri m’a adressé, hier, une lettre pleine de cœur.

— En vérité, s’exclame la mère du secrétaire d’administration. Serait-il indiscret de vous prier de nous en donner lecture ?

L’interpellée riposte aussitôt :

— Très indiscret, chère madame, les lettres de mon fils sont pour lire entre Françaises.

Trente-huit ans, en paraissant cinquante (son mari l’a quittée depuis un an pour suivre une rivale), la pauvre femme vient d’apprendre par hasard que l’infidèle, blessé au feu, est soigné à l’ambulance n°…

Elle y court. Voici la salle où s’alignent les lits de souffrance. De suite, elle a distingué le sien. Il occupe le lit n° 7. À son chevet est assise une infirmière à la longue blouse blanche.

La délaissée s’approche. Mais le blessé pousse une exclamation. L’infirmière lève la tête. La femme ferme un instant les yeux comme étourdie.

Elle a reconnu celle qui lui a volé son mari.

Mais une infirmière-major a suivi la scène. Elle vient à l’abandonnée :

— Il a été soigné par la personne que vous voyez là… Il lui doit la vie.

— Ah !

C’est un soupir qui fuse entre les lèvres de l’épouse. Brusquement elle tend une main à la rivale, l’autre au blessé ; avec un regard qui renonce, qui pardonne, elle murmure :

— Quand on se regarderait en chiens de faïence… « Tu l’as emmené… tu l’as sauvé… ça va comme ça ».

Dans un cimetière parisien.

Un jardinet entouré d’une balustrade de fer ; une croix étendant ses bras éplorés sur la tombe. Fixée à la croix, une couronne porte cette inscription tragique :

À mon mari, tué à l’ennemi.

Toute noire en ses vêtements de deuil, une jeune femme songe douloureusement, les mains crispées sur la grille.

Elle n’entend pas approcher une seconde visiteuse. Celle-ci la considère avec surprise, puis :

— Pardon, madame, je ne vous reconnais pas.

L’interpellée tressaille. Elle tourne vers la nouvelle venue un sourire navré. Cependant elle rectifie :

— Vous ne me connaissez pas… non…

Elle désigne la couronne :

— J’ai lu votre peine… Le mien est tombé en Lorraine, je ne sais pas où… J’ai prié sur la tombe d’un frère d’armes, à défaut d’une tombe à moi.

— Votre mari aussi, soupire la veuve ?

Son interlocutrice a une hésitation visible, puis d’un accent volontaire :

— Je ne veux pas mentir ici… Nous n’étions pas mariés.

Elle achève, la voix brisée :

— Mais, vous savez, l’écharpe du maire n’aurait pas ajouté du crêpe.

Les mains des endeuillées s’unissent. Elles s’inclinent ensemble sur la tombe qui, suprême charité, devient l’autel commun de leur double douleur !

L’autre charité.

C’est à la mairie du dix-huitième.

Une jeune ouvrière, tirant après elle une fillette de deux ou trois ans, est en face de l’employé aux « allocations aux familles de mobilisés ».

— Vous n’avez droit à rien, ma pauvre petite. La loi est formelle. Pas mariée, pas de certificat établissant la vie commune, pas d’allocation !

— Alors, quoi, avec ma gosse, faut mourir de faim ?

L’employé marque un geste apitoyé, mais que pourrait-il ?

— Viens-t-en avec moi.

C’est une voix enrouée, mais bonne, qui vient de prononcer ces mots :

C’est une autre mère accompagnée d’un bambin à peine plus âgé que la fillette. Elle reprend :

— Viens-t-en, que j’te dis. J’ai passé à la mairie, moi. Alors, avec le lardon, je palpe trente-cinq sous. Viens-t-en. Avec du pain et des pommes de terre, y en aura pour quatre.

Plusieurs personnes, par des lettres fort courtoises d’ailleurs, croient devoir m’affirmer que tous les conducteurs d’automobiles militaires ne sont pas des embusqués.

Qu’elles se rassurent. Jamais il n’a pu entrer dans mon esprit d’attribuer à la généralité des automobilistes qui accomplit vaillamment son devoir, la turpitude de quelques exceptions. Quand un conseil de guerre condamne un déserteur ou un lâche, il ne vient à la pensée d’aucun homme raisonnable que les soldats de la même arme en soient déshonorés.