Festons et astragales/À une petite fille

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Festons et astragalesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 19-21).


À une petite fille


élevée au bord de la mer.


Pourquoi pleurer, ma petite,
Lorsque le jour est fini ?
Fais silence ! et dors bien vite,
Comme un oiseau dans son nid !

Au bruit des vents de décembre,
Songe, songe, entre tes draps,
Comme il fait bon dans ta chambre,
Et comme on a froid là-bas !

Loin des flots et du rivage,
Dans mon pays, quelquefois,
Un enfant qui n’est pas sage
Est pris par le loup des bois ;

Mais ici !… quelle voix gronde
Et se roule, dans la nuit ?…
C’est la mer, la mer profonde !…
Jeanne, ne fais point de bruit !


Dès que Dieu, sous le ciel sombre,
Rallume ses astres d’or,
Les flots écoutent, dans l’ombre,
Si le petit enfant dort.

Ton cri qu’on pourrait entendre
Au fond de l’abîme amer
Ferait venir pour te prendre,
Les grands poissons de la mer !

Ils ont des écailles bleues,
Des yeux ronds, ouverts toujours,
Et, du revers de leurs queues,
Font couler les vaisseaux lourds.

Ils viendraient, au clair de lune,
Se traînant sur le galet,
Frotter leur narine brune
À la barre du volet…

Puis, malgré ta voix timide,
Par la chambre se roulant,
Quelque bête au dos humide
T’emporterait en soufflant.

Où seraient ta couche blanche.
Ton oreiller de satin,
Et ta mère qui se penche
Pour t’éveiller le matin ?…


Tu n’auras, pauvre Jeannette
(Ainsi le veut le bon Dieu),
Que le sable pour couchette,
Et les flots pour rideau bleu.

Pourquoi pleurer, ma petite,
Lorsque le jour est fini ?…
Fais silence !… et dors bien vite,
Comme un oiseau dans son nid !