Fleur des ondes/La Vengeance

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La Cie d’imprimerie Commerciale (p. 97-99).


IIII

LA VENGEANCE


Du haut de son observatoire, La Source avait été témoin de l’intervention de Fleur des Ondes. Sa première pensée en avait été une de gratitude pour la femme mystérieuse et bienfaisante ; mais à ce bon mouvement succéda aussitôt un sentiment de jalousie. Cruellement illogique, elle en voulut à cette inconnue de rendre impossible le sacrifice que rêvait son fol amour.

Après avoir tremblé comme une feuille au vent, à l’idée de son impuissance, il lui semblait à cette heure, qu’elle aurait sûrement sauvé son ami : « Il m’aurait dû la vie, pensait-elle, et m’aurait aimée. Ne m’aimait-il pas déjà puisqu’il a répondu : “Pourquoi pas ?” lorsque mon cœur a trahi son secret ? »

L’âme ainsi agitée, elle descendit de sa cachette avec mille précautions, fit un détour pour éviter le campement des Iroquois, et rejoignit la piste des Français.

Toujours se dissimulant, elle les suivit à distance ; de loin elle les vit pénétrer dans la caverne, et attendit que la nuit fut tout à fait venu pour aller rôder autour.

Poussée de plus en plus par la curiosité et la jalousie qui lui rongeait le cœur, elle s’avança, sans être aperçue, jusque dans le corridor naturel. Cachée derrière la claie qui servait de porte, elle assista à l’entretien des trois amis et à leurs agapes frugales ; sans comprendre leurs paroles, la pauvre fille vit celle qu’elle considérait déjà comme sa rivale sourire à Philippe et Philippe la regarder avec admiration ; elle les vit, lui, tendre la main, et Fleur des Ondes abandonner la sienne ; enfin, elle les vit pleurer tous deux ! …

Alors, elle ne douta plus de son malheur : « Ils s’aiment, pensa-t-elle »

Ce qu’elle avait souffert de rage impuissante, de torturante angoisse, pendant des heures, suspendue à une branche oscillante, frémissant à l’aspect du danger que courait l’aimé ; tout cela n’était rien auprès de ce qu’elle endura, blottie à quelques pas de Philippe dont elle entendait la voix, dont elle contemplait le visage et dont elle sentait le cœur à jamais éloigné du sien.

Ah ! traitre, songeait-elle. Sa pensée était à une autre, et il m’a dit : « Ne doute pas de mon cœur ! » La Source ne pouvait imaginer la rencontre fortuite du jeune Français avec sa cousine ; elle ne supposait rien et ne cherchait pas à comprendre, ne concevant qu’une chose : elle n’était pas aimée.

Elle regarda les jeunes gens s’étendre sur les lits de branches, et leur protectrice dans sa couche légère ; elle entendit bientôt leur souffle régulier annoncer leur sommeil… Sa tête était en feu. La folie la gagnait : « Cette femme m’a volé le cœur de Philippe, et maintenant, heureuse, elle songe à lui peut-être, et lui sourit encore. Ah ! que disaient-ils en se donnant la main ? Ils paraissaient si émus ! C’est elle qu’il aime… Et je voulais le sauver ou mourir avec lui ! »

Brusquement, elle saisit un poignard à sa ceinture, et sans hésiter, se glissa jusqu’au hamac. D’un geste rapide, elle leva son arme. Mais Fleur des Ondes poussa un cri sonore et lui retint le poignet.

À son appel, les deux Français bondirent ; Philippe saisit l’Algonquine, au moment où elle allait porter un nouveau coup : le premier n’avait fait qu’effleurer la joue de Fleur des Ondes.

En se sentant arrêtée, l’Indienne frappa droit devant elle, au hasard.

Philippe ne put retenir un gémissement douloureux, et lâcha l’assaillante.

La Source entendit cette plainte, et folle de douleur, à l’idée de l’avoir tué, elle se planta son poignard dans la poitrine et tomba hors de la grotte, en pressant sa blessure avec ses mains rouges du sang de l’aimé.