Fleurs de rêve/Un départ

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)
Boehme et Anderer (p. 17-19).



UN DÉPART



I


Entre le double azur de la mer et des cieux
Pas un cri, pas un son qui se fassent entendre,
Rien ne semble passer ou monter ou descendre
Dans l’espace silencieux,

Rien, que ces être bleus qui s’échappent des vagues
Pour danser des rondeaux invisibles dans l’air,
Puis, s’unissant aux flots, mèlent à leur concert
Leurs plaintes lasses et si vagues

Tout, tout songe là-bas dans l’espace sans fin :
Le flot longe le flot, l’onde voit naître l’onde,
Et la brise absorbe en l’écume vagabonde
Son front rêveur…

II


Soudain, un soupir immense
Souffle aux bords de l’horizon,
Sur mer un géant s’avance
Redoutable comme un lion.
Tout s’élance à son approche,
Tout se bouscule, tout fuit,
L’onde à sa semblable nuit
Et le flot au flot s’accroche.


III


Sur le pont du navire un vieillard regardait
Dans l’horizon lointain une vue effacé
Mais qui dans son esprit semblait encor tracée
Et le navire s’éloignait…


IV


Que regardes-tu donc dans ces lointains timides
Dont les azurs blanchis n’existent presque plus ?…
Je le devine, oh, oui ! ces regards résolus
S’attachent sur les Pyramides !

La gloire et la grandeur ornent leur front altier :
Les plus brillants héros abordèrent naguère
L’Égypte éblouissante où se livrait la guerre :
Le fer étranger à leur pied


Se brisa, car toujours leur forme audacieuse
S’élevait menaçant les hommes des combats ;
Elle s’élève encor dans ces lointains là-bas
Écrasante autant qu’orgueilleuse.

Homme, tu rêves heureux
D’y voir flâner l’Angleterre,
C’est tes soins laborieux
Qui gagnèrent cette terre.
Et tu pars, tu pars, héros,
Car l’œuvre est toute bâtie,
Mais ta tête appesantie
Baisse sous de lourds fardeaux.


V


Ô vieillard, ô son fils, l’Angleterre t’appelle
Des plus tendres prénoms, en te tendant les bras ;
Va rejoindre ta mère, ô son enfant fidèle,
Va la rejoindre là-bas !

De fleurs et de drapeaux elle a couvert sa rive,
Et sur son front pensif se fixent les regards ;
Vieillard aux blancs cheveux, héros du jour arrive !
L’on croisera sur toi des étendards…