Fragments d’histoire/09

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Imprimerie officielle (p. 38-40).

LA PLACE VOLNY ET LA PLACE FABIEN


La rue Amiral de Gueydon s’arrêtait à la rue Galliéni et une place qui était séparée du collège par la rue Perrinon était appelée place Saint-Victor et place du Collège, place des Capucins et Savane des quatre noirs.

Cette dernière appellation lui a été donnée parce que les soldats du régiment de Périgord, coupables d’omissions ou d’autres fautes, qui travaillaient à l’assèchement du terrain alors marécageux à l’aide de matériaux provenant du creusement du canal d’enceinte, recevaient comme salaire journalier quatre pièces d’une monnaie appelée «noir»[1] ou quatre sous marqués de six liards, monnaie méprisée et somme très modique. C’est en 1764, en effet, qu’on reçut à la Martinique les pièces de 18 deniers nommées noir[2].

Du reste, l’année précédente la menue monnaie manquant aux colonies, on y envoya « une petite pièce métropolitaine de 1738 qu’on démonétisait à ce moment, après l’avoir, sur une de ses faces, contremarquée d’un C sous une couronne royale… Cette pièce porte le nom de sol marqué, noir tempè, aux Antilles, et de Caron à la Réunion[3] ».

Le terrain comblé, nivelé et planté en 1773, devint une promenade à laquelle le peuple donna ce nom de « Savane des quatre noirs », en souvenir de la rémunération peu élevée accordée à chaque soldat.

La portion de la Savane des quatre noirs qui se trouvait enclavée entre les rues du gouvernement et Sainte-Élizabeth (aujourd’hui rues Amiral de Gueydon et Perrinon), à partir de la rue de la République jusqu’à la nouvelle geôle, a été vendue sur la mise à prix de 6.000 fr.

L’aliénation avait été autorisée par décret colonial du 30 avril 1834.

Une partie des cadavres (plus de 100) des victimes du tremblement de terre du 11 janvier 1839 avait été rassemblée sur la savane des quatre noirs.

Elle servit aussi d’asile aux sinistrés pour lesquels des baraquements avaient été construits après l’incendie du 22 juin 1890.

Une dépêche ministérielle du 15 février 1881, n° 609, résout la question de savoir à qui est cette place.

Ce qui en subsiste aujourd’hui est divisé en deux parties : les places Volny et Fabien, noms de deux martiniquais condamnés à Fort-de-France, le 12 janvier 1824, ainsi que Charles Bissette.

À l’inauguration qui a eu lieu le 1er  mai 1910, M. Lagrosillière, député de la Martinique, « a refait l’histoire émouvante des deux héros de la cause émancipatrice[4] ».

La première de ces places est bornée par les rues de la République, Ernest Renan, Ledru Rollin et Perrinon.

Sur la seconde qui est en face de la Gendarmerie, est le buste d’un petit fils de Fabien, Ernest Deproge, ancien Député de la Martinique et orateur de talent. Ce buste est l’œuvre de Benneteau, prix de Rome. Élevé par voie de souscriptions, sur l’initiative de M. Villebrode Coridon, ancien gouverneur de la Martinique et ami du défunt, le monument a été inauguré le 12 juillet 1925 et la municipalité du chef-lieu a pris à sa charge tous les frais de fondation et d’érection.

Une partie de la Place Fabien est occupée, depuis l’incendie du 22 juin 1890, par l’École des filles. Ce fut, d’abord, un bâtiment en bois, qu’une construction importante à deux étages a remplacé.

Dans la cour de récréation l’on voyait une très ancienne croix en fer sur socle en maçonnerie qui remontait sans doute aux premiers âges de la ville.

C’est sur la partie de cette place qui était appelée aussi Place de la Geôle, vis-à-vis de la Prison Centrale, lieu désigné par l’autorité municipale, qu’a eu lieu, le 24 septembre 1866, l’exécution de l’indien Rassou, coupable d’assassinat. Ce serait, dit-on, entre la Croix et la rue, et depuis cette date jusqu’au 30 avril 1940, aucune autre exécution n’avait eu lieu à Fort-de-France, à la suite de condamnations prononcées par la Cour d’Assises.

Les places Volny et Fabien ont été récemment clôturées et servent de cours de récréation aux enfants des écoles de garçons et de filles de la rue Perrinon.

Livrées à la circulation en dehors des heures de récréation, ces places publiques pourraient, comme par le passé, servir d’asile à la population, en cas de sinistre soudain, de tremblement de terre notamment.

  1. Voyage à la Martinique par J. H. général de brigade (J. Romanette), page 14.
  2. Code de la Martinique, tome 8, page 375.
  3. M. Paul Labrousse dans le N° 5 de l’Antillaise, sur un article de M. O. Salles, Inspecteur des colonies « Les Vieux sous de la Guadeloupe ».
  4. Journal « La France Coloniale » n° 357, du 3 mai 1910.