Fragments sur les campagnes d’Italie et de Hongrie/Conclusion

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Imprimerie centrale de Napoléon (p. 187-189).


CONCLUSION


   Te souviens-tu ?… Mais ici je m’arrête,
Car je n’ai plus de nobles souvenirs.
Viens avec moi partager ma retraite,
En attendant un meilleur avenir ;
Et si la mort, planant sur ma chaumière,
Vient m’appeler au repos qui m’est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant : Soldat, t’en sonviens-tu ?

Parve, nec invideo, sine me, liber, ibis in urbem.


J’ai fini. Ce livre est bien court ; mais ma main, peu accoutumée à tenir la plume, est déjà fatiguée. Si, lecteur, tu as voulu trouver dans ces pages des plans de batailles et des secrets d’État, tu auras, j’en suis fâché, cherché et feuilleté en vain ; mais si tu n’as voulu que lire les souvenirs d’un soldat (et c’est mon titre), que les réminiscences d’un mousquetaire, peut-être t’aurai-je donné en t’amusant une idée assez exacte des événements auxquels j’ai pris part.

Le mot est profond, qui dit que la littérature est l’expression de la société. Si ma brochure parvenait un instant à être prise pour l’expression de cette classe qui, dans ces derniers temps, fut appelée à jouer un grand rôle, et à laquelle une mission providentielle est sans doute réservée dans l’avenir, j’aurais atteint le comble de mon ambition.

Même dans le cas fort douteux du succès de cet ouvrage, grâce à ma position et à mes occupations, ma plume n’écrira jamais plus un mot.

Lecteur, adieu donc !

À toi, ô lectrice, mon mot d’adieu sera plus cordial et moins court.

Mon pauvre livret, je le sais, est tout à fait indigne d’un seul de tes regards, à moins que tu ne daignes en prendre les faibles accents pour le mourant écho d’un temps qui n’est plus, d’un temps, ô femme, où ta faiblesse te rendait toute-puissante, où ta beauté excitait des hauts faits , et où ton inspiration divine jetait une sainte et douce lumière sur ce qu’on appelle maintenant le rude empire de l’épée.

Si, lectrice, en passant, par un beau jour d’été, près d’une vieille croix, au coin delà forêt ; si, en voyant les vénérables ruines d’un cloître, où jadis de saints hommes ont (sans risquer de passer pour fous ou pour trompeurs) voué leur vie à Dieu ; si enfin, en contemplant à la cime d’une montagne les vieilles tours couvertes de lierre de quelque haut domaine, une douce tristesse s’est emparée de toi, et que tu te sois promenée pensive et la tête baissée, — alors, ô lectrice, tu ne jetteras pas, dédaigneuse, dans un coin les réminiscences du mousquetaire, mais tu penseras bien de celui dont la main les a écrites.

FIN.