Français, reprenez le pouvoir !/Partie 1/Chapitre 10

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On comprend alors pourquoi la France aborde dans de mauvaises conditions l’échéance présidentielle de 2007. Le risque est grand en effet que l’exigence fondamentale de servir l’intérêt supérieur du pays, dans le respect de son âme, de son identité et de ses spécificités, passe une fois de plus à la trappe lors d’un duel factice entre deux têtes d’affiche, au fond d’accord sur l’essentiel.

Nous savons tous combien cette échéance sera décisive pour l’avenir. Nous savons que le pays ne peut pas continuer à être gouverné en pilotage automatique et que pour survivre comme nation libre dans un monde difficile, nous devons mettre à notre tête un Président dont la seule boussole soit l’intérêt supérieur de la France. Nous avons bien conscience que cela impliquera un effort de tous. Nous y sommes prêts, à condition que chacun porte une part du fardeau.

Mais, avec la longue histoire qu’ils ont derrière eux, les Français savent aussi au fond d’eux-mêmes qu’ils doivent se méfier des marchands d’illusions comme des ruptures dangereuses qui ne correspondraient pas à leur âme ni à leur tempérament.

Or, qu’ont-ils sous les yeux alors que s’ouvre l’élection présidentielle? Un mauvais théâtre de vaudeville entre les coqueluches des médias qui cultivent leur image en se gardant bien d’aborder les sujets qui fâchent, et l’éternelle cohorte des extrêmes, galvanisée par la collusion des partis du système, laquelle est ravie de n’avoir pour tout concurrent que les braillards!

Comment ne pas comprendre le succès de l’extrême gauche face à un système économique dévoyé, aussi inefficace qu’amoral et injuste? Qui peut se résigner à voir nos concitoyens pressés comme des citrons quand décuplent les profits d’entreprises apatrides, quand la folie de l’argent infecte tout, au risque de déstabiliser durablement l’équilibre économique mondial? Qui peut croire sérieusement en cet altermondialisme, vague resucée d’un internationalisme tout aussi chimérique que celui des multinationales ou des européistes mondialisants? Le mondialisme financier et l’altermondialisme, alliés objectifs de la lutte contre les nations.

Comment, en outre, s’étonner des scores de l’extrême droite dans un pays où l’autorité s’est évanouie, où le drapeau est quotidiennement sali, où l’immigration n’est pas maîtrisée? Est-ce pour autant sérieux d’alimenter une guerre de civilisation ou de faire croire que tout pourra se régler d’un coup de baguette magique en élevant des lignes Maginot? Faute de peser sur la ligne de la droite républicaine, le rôle du Front national aura d’ailleurs été paradoxal: gel des voix qu’il recueille et déplacement vers la gauche du centre de gravité de la majorité. À cet égard, Philippe de Villiers a tort de courir derrière Jean-Marie Le Pen. Une majorité des électeurs du Front national n’attend pas que nous imitions le chef qu’ils soutiennent par défaut, mais que nous offrions un projet capable de résoudre à la racine les problèmes majeurs du pays. Si l’émergence d’un islam radical dans notre pays pose une vraie question qui oblige à réaffirmer avec fermeté la laïcité, il est malsain de surfer politiquement sur la vague du ras-le-bol général, au risque d’alimenter une guerre civile à connotation religieuse donnant leur chance aux intégristes musulmans.

Ceux qui claquent les portes, crient fort mais proposent peu ne sont-ils pas tout compte fait les meilleurs alliés de l’establishment qu’ils dénoncent à longueur de journée? Qui, en effet, confierait le pouvoir à Arlette Laguiller ou Jean-Marie Le Pen? En stérilisant ces millions de voix qui pourraient pourtant faire évoluer les rapports de force au sein des partis de gouvernement, ils leur sont finalement bien utiles.

De leur côté, les partis de gouvernement, comme à la veille de chaque présidentielle, revêtent leurs habits de scène pour faire croire qu’ils se combattent.

Chacun veut faire croire que le changement est enfin possible, que cette fois-ci est la bonne. On aimerait y souscrire, mais comment? Aucun d’eux n’est résolu à s’attaquer aux contraintes européennes qui depuis vingt ans ont fait trébucher leur formation chaque fois qu’elle était en charge des affaires! Ils se débattent lamentablement dans une nasse qu’ils ont contribué à tisser et dont ils ne veulent à aucun prix se voir délivrés… pour le plus grand bonheur de notre « meilleur allié » américain, fervent promoteur – allez savoir pourquoi – de cette « construction » européenne paralysante.

À ma gauche, un parti socialiste qui, à l’exception de Laurent Fabius, n’a toujours pas compris l’inco­hérence de son projet politique. Comment en effet promettre le « toujours plus » en France tout en acceptant le nivellement par le bas en Europe? Jacques Rueff disait: « Soyez libéral, soyez socialiste, mais ne soyez pas menteur. »

La gauche s’est ainsi coupée du peuple qui n’est pas aussi stupide qu’elle l’imagine. Arrivera-t-elle, grâce à l’éventuelle Ségolène Royal, à masquer ces contradictions? Cette dernière réussira-t-elle à s’imposer aux éléphants? Son habileté à faire oublier ses choix passés suffira-t-elle à convaincre les Français? Elle a du pain sur la planche car il suffit de lire le projet du parti socialiste pour comprendre qu’aucune leçon n’a été tirée des précédents échecs. La démagogie des propositions, le simplisme des raisonnements ne peuvent s’expliquer que par le cynisme traditionnel de la « gauche caviar ».

À ma droite, Nicolas Sarkozy tente le même grand écart en jouant pareillement sur son image. À gauche, avec le droit de vote des étrangers ou l’abolition de la reconduite à la frontière des délinquants étrangers, à droite, avec le Kärcher et: « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » Un brassage d’air tous azimuts qui a certes produit son effet – beaucoup ont le sentiment qu’il agit – mais qui, à la réflexion, laisse sur sa faim.

Qu’y a-t-il vraiment derrière le vernis de l’action? Avec habileté, Nicolas Sarkozy se présente comme le chantre de la rupture tout en se gardant bien d’en détailler les contours. Si l’on creuse un peu on s’aperçoit vite que sa « rupture » ne pourra qu’accélérer la « normalisation » de la France, et donc la crise d’identité française, au lieu de l’infléchir.

Derrière des coups de menton qui ressemblent à ceux de Jacques Chirac en 1988 ou 1995, il y a le projet de ratification par le Parlement du cœur de la Constitution européenne après 20071, la présidentialisation du régime sans contrepoids et une décentralisation à l’écossaise totalement contraire à l’unité de la République, que les Corses eux-mêmes ont d’ailleurs rejetée il y a deux ans. Mais aussi, la France ghetthoïsée des communautés comme l’a préfigurée avec la création du Conseil français du culte musulman ou les expériences de « discrimination positive » dans l’éducation ou la police, une politique étrangère alignée sur les États-Unis et Israël[1]

Dans le domaine économique et social, en vrai libéral, le candidat de l’UMP n’est pas hostile au « laisser-faire, laisser-aller » propice à la poursuite de la colonisation du pays par de grandes entreprises mondiales. Je ne doute pas de la sincérité de Nicolas Sarkozy à vouloir changer les choses, mais je conteste l’orientation de son projet, celui de la droite « américaine »[2]. Je reste convaincu qu’il ne correspond ni à l’âme française ni aux aspirations profondes du pays. Une fois passé l’effet de séduction, prenant à rebrousse-poil l’idée républicaine et nationale, il risque d’accélérer l’éclatement et la subordination du pays.

D’ailleurs à l’aube de 2007, Nicolas Sarkozy, fin politique, a bien compris qu’il fallait faire patte de velours. À chaque sensibilité, avec le talent d’avocat qu’on lui connaît, il fait croire qu’elle inspirera son action présidentielle. Mais, une fois élu, pourquoi ne mènerait-il pas la politique qu’il a toujours défendue dans ses écrits, ses discours et ses conversations: un engagement pour l’Europe supranationale, une société multiculturelle, une économie libérale. En définitive, un projet conservateur et libéral à l’anglo-saxonne. Tout ce que la France rejette depuis vingt ans – pardon, depuis mille ans!

Certes, Nicolas Sarkozy n’aime pas que l’on révèle ses convictions les plus profondes, il ne supporte pas qu’on mette l’accent sur le décalage entre l’image publique et la pensée privée. Or, dès lors qu’il décide d’être candidat à la présidence de la République, il est normal de lui demander de clarifier sa position sur certains sujets clés. Mais il doit aussi accepter que soit proposée une alternative et que d’autres, à l’intérieur de la majorité, fassent preuve d’une liberté qu’il a toujours revendiquée pour lui-même et qu’il a tant de mal à tolérer chez les autres.

Nicolas Sarkozy a d’ailleurs tendance à croire que, lorsqu’on n’est pas d’accord avec lui, c’est pour s’en prendre à sa personne. Ainsi, je me souviens de son coup de fil de décembre 2005. Ayant publié un communiqué hostile à sa proposition de discrimination positive, j’ai reçu de sa part un appel cinglant m’accusant de l’attaquer personnellement. J’étais d’autant plus surpris que j’ai toujours distingué les individus et les idées. Si je suis en désaccord avec lui sur le fond des choses, je reconnais la force de son caractère. À court d’argument, il cède à la stratégie des représailles massives: « Si tu veux t’exprimer, tu n’as qu’à te faire élire président de l’UMP! » Ensuite tout y est passé… dans une conversation que j’ai la correction de garder privée. Désormais, je ne peux pas m’empêcher de sourire lorsque j’entends le même Nicolas Sarkozy appeler « au débat » à l’inté­rieur de l’UMP…

Le système médiatico-politique a déjà trouvé le scénario de la pièce. Les éditorialistes se frottent les mains. Les rôles sont distribués; idéal pour cadenasser le débat entre tenants de la même farce libérale-européiste. Au centre, le face-à-face très marketing: Nicolas versus Ségolène. À la périphérie, les bêtes de cirque pour animer les interludes. Une nouvelle farce politique dont les vainqueurs seront une poignée de gourous de la communication et, au bout du compte, l’abstention. Quelques journalistes sérieux commencent, toutefois, à se lasser de ce petit jeu trop convenu.

Les Français sont-ils condamnés à subir ce mauvais vaudeville? Libre à Nicolas Sarkozy d’être le candidat des conservateurs et des libéraux. Libre à Ségolène – ou à un autre – de s’émerveiller du « projet » socialiste pour tenter de le vendre aux électeurs.

Mais libre aussi aux Français de vouloir entendre un autre son de cloche, républicain et gaulliste notamment. Car, ils le savent bien, l’UMP et le PS sont les deux faces, libérale et sociale, d’une seule et même médaille. Un système qui, même ripoliné d’une élection à l’autre, détourne l’attention avec des querelles artificielles ou dérisoires pour faire oublier qu’il est le chien de garde d’une République de plus en plus sous tutelle extérieure, veillant scrupuleusement à ce que rien d’essentiel ne change.


  1. Son discours de Bruxelles du vendredi 8 septembre 2006 est on ne peut plus limpide, hélas…
  2. Visite de soutien au président Bush, le 12 septembre 2006.