Français, reprenez le pouvoir !/Partie 1/Chapitre 5

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La création de l’UMP était censée aider l’exécutif, elle fut son piège. Certes, l’opération réussit en partie (malgré la survie de l’UDF), mais en protégeant le gouvernement, elle le coupa de toute réalité.

Un député britannique me dit un jour que l’UMP lui faisait penser au « parti révolutionnaire institutionnel » mexicain. Son seul objectif, la maîtrise du pouvoir. Faute de ligne et de projet, il périrait vite sauf à se jeter dans les bras du ministre de l’Intérieur, pire ennemi du président de la République, et se réduire à ne devenir que son instrument personnel dans la course à l’Élysée.

Pas étonnant lorsqu’on se remémore un bureau politique de septembre 2002 où tout ce petit monde cherchait un nom pour le divin parti. La « Maison bleue » suggérée par une équipe de publicitaires faisait la quasi-unanimité de l’assistance à l’exception de Jean-Louis Debré, Michèle Alliot-Marie et moi-même. Heureusement, la déferlante d’appels téléphoniques, dès le lendemain, d’électeurs en colère a dissuadé Alain Juppé de retenir ce nom!

Il resta « Union pour une majorité présidentielle », puis « pour un mouvement populaire ». Qu’importe, puisque pour tous ses caciques l’essentiel n’était pas le sens de l’action, mais la captation du pouvoir.

Quand, lors de ma campagne à la présidence de l’UMP, en 2002, face à Alain Juppé, je proposai « Union pour la France », estimant que nous étions là pour elle, on m’a ri au nez! La France, la France, mais elle est finie! « Tu es bien le dernier à y croire encore », me disait-on avec condescendance!

On comprend dans ces conditions pourquoi il était insupportable qu’un jeune député devienne le miroir de la mauvaise conscience de tous les post-gaullistes qui allaient à la soupe. Avant même d’être institués, les courants d’idées prévus par les statuts en échange de la suppression des partis d’origine étaient supprimés. Pensez-vous, un vrai vote sur de vraies idées! Faute d’organiser sa diversité, l’UMP a simplement mis en scène l’élection de son président.

Une élection aux modalités d’ailleurs assez cocasses puisque le système de vote par Internet, outre le fait qu’il est invérifiable, ne garantit en rien le vote personnel. Bon nombre de secrétaires de circonscription n’ont pas manqué, sans se cacher d’ailleurs, de voter avec la carte et le numéro de code des militants fidèles…!

Au lendemain de mes deux candidatures face à Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, j’ai ressenti la même impuissance vis-à-vis d’un système verrouillé. Aurais-je protesté qu’on m’aurait accusé d’être mauvais joueur. Il me paraissait plus important de dénoncer la suppression du vote sur les courants d’idées c’est-à-dire sur le projet politique qui n’avait pas été défini puisque nous étions le fruit de la fusion de trois familles (centriste, libérale et gaulliste). On m’a alors accusé de division. Avec le recul, cette attaque est particulièrement pittoresque car, faute de débat sur le fond, nous avons hérité des rivalités d’ego, notamment entre le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre.

Cette rivalité fut d’autant plus insupportable et nuisible qu’elle ne reflétait pas un vrai débat de fond. Faute d’avoir osé mettre en place les courants d’idées arbitrés démocratiquement par les militants de l’UMP, le navire amiral de la majorité, comme d’ailleurs l’Élysée, a navigué à vue.

En vérité, les Français l’ont bien compris, la rivalité entre Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin traduisait l’opposition ancienne et jamais achevée de 1995 entre chiraquiens et balladuriens. Une opposition de deux clans avec des reclassements au gré des déceptions ministérielles. D’un côté, l’ambition du Président de garder le pouvoir si durement acquis; de l’autre l’ambition de Nicolas Sarkozy de le conquérir en tuant le père. Comment, dans ces conditions, gouverner sereinement le pays? Comment débattre en transparence des grands choix? Comment rassembler les Français lorsque les « petites histoires » et les « complots » l’emportent sur les débats de fond?

Le grand paradoxe aura été de voir les mêmes, capables de se déchirer puis de vite refaire leur unité contre ceux qui, comme moi et d’autres, osent poser des questions de fond.

Quel gâchis! Une fois que la décision de créer l’UMP avait été prise, il aurait en effet été possible, avec un peu de tact, de tolérance, d’en faire le vrai parti moderne qu’attendaient les Français. À partir du moment où l’on souhaitait le voir rassembler des courants de pensée différents, il fallait indubitablement oser la démocratie interne.

Car pendant qu’on se dispute au sommet, la bureaucratie qui gouverne poursuit sa « non-poli­tique » suivie par la gauche autant que par la droite depuis le milieu des années 1980. Une politique au fil de l’eau qui, malgré l’avertissement du référendum de Maastricht, puis du 21 avril 2002, a été continuée imperturbablement. Pour faire court, on pourrait lui donner le nom de « normalisation » du pays. Faire de la France, de renoncement en renoncement, un beau Land européen. Le Parlement comptait les points, cherchant tant bien que mal à éviter les balles perdues et à donner un peu de cohérence à tous les mouvements de godille.