Français, reprenez le pouvoir !/Partie 2/Chapitre 5

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La décentralisation des compétences vers les régions, les départements et les communes, mise en œuvre par la gauche en 1982 puis relancée par Jean-Pierre Raffarin, avait justement pour objectif principal de rapprocher la prise de décision des citoyens et donc de renforcer notre démocratie.

N’en déplaise à certains ultras du jacobinisme, la décentralisation était dans notre pays une nécessité. Pourquoi en effet tout faire remonter à Paris et laisser les chefs de bureaux des ministères décider à la place des élus? Il suffit d’ailleurs de parcourir la France pour noter la variété des projets portés par les collectivités locales et leurs élus qui, en dépit des brebis galeuses, ne comptent ni leur temps ni leur énergie pour développer et embellir les territoires dont ils ont la responsabilité.

Le mandat de maire est sans aucun doute la plus belle des fonctions. Par un concours de circonstances, j’ai eu la chance et l’honneur, relativement jeune, de devenir le maire d’une ville alors en faillite de trente mille habitants en banlieue parisienne. Je peux dire sans excès qu’au cours de ces dix dernières années, j’ai tout appris à Yerres.

L’école de la responsabilité tout d’abord. Un maire est totalement responsable de ses actes devant ses habitants. On ne peut pas longtemps tricher avec les faits. Tout se sait, tout se voit et le premier magistrat, à tort ou à raison, est toujours tenu pour responsable de la situation. Un bon maire comme un chat ne doit jamais dormir que d’un œil.

L’école du travail en équipe ensuite. Le maire doit gérer d’un côté ses conseillers municipaux, de l’autre les employés de la ville. Sans les uns ni les autres, il ne peut rien. Ce qui ne doit pas empêcher d’ailleurs de savoir décider seul et de faire preuve d’autorité quand il le faut. L’école de la politique enfin. Pas celle des partis mais celle de la recherche du bien commun à partir des réalités du terrain, des femmes et des hommes qui vivent sur un territoire. Comment trouver le bon arbitrage entre la facilité de court terme et l’effort au service du long terme, entre les intérêts particuliers et l’intérêt général? Savoir dissocier entre ce qui est indispensable et ce qui est accessoire? Avoir parfois l’humilité de céder un peu pour garantir l’essentiel? Pour justement y réussir, il faut, je crois, remplir deux conditions.

En premier lieu, il faut savoir où l’on veut aller, ce que l’on veut faire de sa ville, quel visage idéal nous voulons lui donner dans vingt ans et quel est le projet susceptible d’y conduire.

En second lieu, il faut connaître, écouter et aimer ceux qui y vivent, qui en sont l’énergie, l’âme. Ne pas juger les gens mais tirer le meilleur d’eux-mêmes. En un mot comprendre que l’engagement politique au niveau municipal consiste à être au service des autres et non l’inverse, comme ce devrait être le cas au niveau national.

En définitive, la décentralisation constitue un processus positif si elle permet de responsabiliser les acteurs locaux et de concentrer l’État sur les affaires d’intérêt national. Malheureusement force est de reconnaître que la décentralisation a mal tourné. Elle est progressivement devenue anarchique et bureaucratique.

L’objectif a davantage été de décharger l’État et de reporter les dépenses sur les collectivités – ce qui est plus indolore – que de préparer une vraie démocratie locale. On a saupoudré les compétences à chaque niveau de responsabilité (commune, département, région) sans repenser l’architecture générale. On a même créé une nouvelle strate (les communautés d’agglomérations) pour éviter de s’attaquer à la question cruciale du nombre des communes.

En fin de compte, les collectivités locales ont été multipliées et surchargées de compétences. En vérité, un peu comme pour le monde de l’entreprise, il y a deux catégories différentes. Celle des régions pour qui la décentralisation a été faite et qui ont d’ailleurs tendance à devenir de vraies féodalités et celle des milliers de petites communes oubliées qui se débattent de plus en plus seules sans aucun recours.

Faute de réforme fiscale, un méli-mélo de règlements et de cofinancements d’une lourdeur, d’une complexité et d’un coût sans égal dans le monde développé, s’est finalement créé entre les quatre échelons de collectivités!

Il suffit de lire un avis de taxe d’habitation ou de taxe foncière pour comprendre que plus personne ne s’y retrouve dans ce maquis. Les citoyens ne peuvent plus contrôler les dépenses. La responsabilité politique au cœur de tout exercice démocratique a disparu. L’État, de son côté, reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre. En effet, la technocratie parisienne remet progressivement sous tutelle les élus par le biais des nouvelles normes toujours plus rigoureuses, du contrôle tatillon des actes accessoires des collectivités et des dotations financières de compensation, de suppression d’impôt comme la taxe professionnelle.

L’État a été affaibli sans être restructuré. Au niveau des départements, les services sont nombreux et leurs effectifs exsangues. Les préfets et sous-préfets occupent de moins en moins longtemps leur fonction et ne peuvent donc pas s’imprégner d’un territoire, connaître ses élus, ses problèmes ou ses atouts. Ils n’ont pas davantage le temps d’appréhender les multiples services déconcentrés des ministères de leur département. Les préfets n’ont d’ailleurs bien souvent pas les moyens d’agir, étant finalement là pour sauver la face de l’État.

Voir ainsi ces représentants ne pas disposer des moyens correspondant à leur rôle m’a toujours choqué. Mais comment le pourraient-ils lorsque le seul mot d’ordre venant d’en haut, à l’exception heureusement de la Police nationale, est le « moins d’État »!

Contrairement à ce que l’on peut croire, la décentralisation exige la présence d’un État fort aux compétences clarifiées sur lesquelles devraient pouvoir s’appuyer les maires.

Comment s’étonner dès lors que le citoyen au niveau de vie qui baisse, perclus de taxes, se révolte et en vienne à reprendre à son compte le slogan: « Tous les mêmes. » Il est donc plus que temps d’ordonner la décentralisation.

Là aussi des dizaines de rapports tous plus pertinents les uns que les autres préconisent des réformes. Les axes sont simples: simplification des structures et meilleur contrôle démocratique.

Il faut cependant, avant d’examiner les moyens de remettre sur les rails nos collectivités locales, lever une ambiguïté sur le rôle de l’État.