Français, reprenez le pouvoir !/Partie 2/Chapitre 6

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Voulons-nous dériver vers un système à l’allemande, à l’italienne ou à l’espagnole avec des régions plus ou moins autonomes, ou, au contraire, demeurer une nation unitaire? Faute d’avoir tranché cette question, le gouvernement Jospin a été fragilisé par la cassure avec Jean-Pierre Chevènement sur le dossier corse. De même, l’UMP n’a jamais voulu aborder le sujet tant les désaccords sont profonds entre les anciens RPR et les anciens UDF.

Le débat transcende les clivages politiques. D’un côté, ceux qui croient que l’on peut régionaliser la France. De l’autre ceux qui pensent que la meilleure articulation réside entre un État unitaire exerçant correctement et simplement ses fonctions, et des collectivités moins nombreuses dotées de responsabilités sous le contrôle des citoyens.

Le débat sur la Corse, ouvert par Lionel Jospin après l’inci­dent des paillotes et clos par le providentiel échec du référendum Raffarin-Sarkozy sur son autonomie, révèle l’importance de l’enjeu.

Deux anecdotes me reviennent à l’esprit. J’avais combattu avec force en 2000 le statut proposé par Lionel Jospin pour la Corse qui prévoyait de donner à une région la capacité d’adapter la loi nationale et qui imposait de surcroît l’apprentissage de la langue corse à l’école primaire! Lionel Jospin, Premier ministre, s’appuyait dans l’opposition de l’époque sur le libéral José Rossi. Une nuit, au beau milieu d’une discussion sur ce statut à l’Assemblée nationale, je reçus un mot d’un ministre socialiste me prévenant que si l’opposition était fermement hostile au transfert de la gestion du littoral corse à la collectivité territoriale, le Premier ministre serait obligé de reculer, la mesure étant trop dangereuse. Il était si tard dans la nuit qu’avec quelques-uns – les caciques du RPR étant allés se coucher – et le renfort des communistes et des écologistes, nous avons pu mettre en minorité le PS et les libéraux de M. Rossi et ainsi sauvegarder la loi «littoral», qui interdit de bâtir trop près du rivage, pour sauver les côtes de l’emprise de certains élus épris de bétonnage.

Au lendemain de notre victoire législative de 2002, j’ai rencontré Nicolas Sarkozy et je fus stupéfait de l’entendre me vanter ses relations cordiales avec Talamoni, pourtant leader des indépendantistes et me dire son admiration pour le nouveau statut de « dévolution » instauré en Écosse par Tony Blair. Je constatais avec tristesse que le gouvernement allait céder dans l’enthousiasme à une nouvelle tentative de régionalisation. Heureusement, les habitants de Corse, consultés par référendum, ont refusé cet engrenage qui aurait amorcé le détricotage du pays. Ces deux exemples prouvent bien que le clivage sur la décentralisation traverse la gauche comme la droite. Or, les Français, loin de vouloir le morcellement de la nation, sont au contraire attachés à l’égalité du citoyen devant la loi dans l’unité de la République.

Le rôle de l’État n’est pas d’intervenir dans les détails mais de garantir cette unité, d’empêcher la résurgence des féodalités, de donner des impulsions, de coordonner et d’évaluer, de permettre un développement harmonieux de tous les territoires. Ce qui, encore une fois, n’interdit en rien l’existence de collectivités locales épanouies.

Une fois ce préalable tranché, il faut d’urgence conclure un nouveau pacte entre la nation et ses collectivités. Les centaines de milliers d’élus locaux représentent pour notre pays un extraordinaire atout, à la condition de cesser de les prendre pour des imbéciles, bien entendu.

Leur rôle n’est pas celui de la voiture-balai des inconséquences du pouvoir national. Ils ne doivent pas attendre avec frayeur chaque discussion budgétaire parlementaire, se demandant ce qui va leur tomber sur la tête. Je propose des réformes qui s’ordonnent autour de deux mots clés: simplification et démocratisation.

Simplification des structures car personne n’échappera au débat sur le nombre de collectivités. L’étendue de notre territoire, la diversité extraordinaire de nos terroirs, imposent le maintien de la circonscription cantonale et donc de son élu le conseiller général. Mais pour simplifier les choses et mettre fin aux listes proportionnelles qui éloignent les conseillers régionaux des réalités, les conseillers généraux devraient siéger à la fois dans les deux conseils.

Simplification des procédures aussi avec l’affectation à chaque niveau de blocs de compétences aussi homogènes que possible avec une recette identifiée. Les avis d’imposition devraient être distingués pour chaque collectivité. De surcroît, la péréquation des recettes de taxe professionnelle mériterait d’être renforcée notamment en Île-de-France. Il est inacceptable que les communes les plus pauvres en emploi soient obligées d’avoir les taux d’impôts les plus élevés alors que celles qui accueillent, souvent par hasard, de grands établissements, peuvent baisser les leurs, amorçant une logique captive qui suscite de nouvelles implantations.

La simplification des procédures concerne également la tutelle de l’État, qui apparaît tatillonne sur l’accessoire et inexistante sur l’essentiel. D’un côté, il faudrait lâcher du lest de l’autre, il faudrait notamment en matière d’urbanisme encadrer par des schémas directeurs l’action des collectivités. L’encadrement permettrait d’éviter, par exemple, le mitage des espaces naturels ou la surdensification des zones commerciales.

La décentralisation, pour être efficace, doit être assurément sous le contrôle des habitants. Transparence accrue des décisions, consultation d’initiative populaire et contrôle renforcé de l’opposition, démocratiseraient le processus. En contrepartie, pour favoriser l’investissement des habitants dans la vie locale, le vote d’un statut de l’élu est aujourd’hui urgent.

Il est vital d’oxygéner la vie politique en permettant à davantage de nos concitoyens de prendre le risque de l’engagement politique et du mandat électif.

La création du statut de l’élu, promis depuis vingt ans, est la seule solution. Instaurant un fonds de retraite et une aide à la reconversion en cas de perte de mandat, il inciterait des citoyens issus du secteur privé, plus jeunes, à sauter le pas. Il donnerait surtout un vrai sens à l’interdiction du cumul des mandats. Car, attention, interdire le cumul des mandats sans inciter les citoyens à s’engager reviendrait à remplacer à l’Assemblée nationale des élus de terrain par les caciques des partis. Le bilan pour le moins mitigé des scrutins de liste régionaux et européens ne peut qu’inciter à la prudence.

Il serait plus efficace de freiner la course aux mandats nationaux parmi les élus locaux en réorganisant des collectivités territoriales et en revalorisant le traitement des maires des villes, véritablement sous-payés compte tenu de leurs responsabilités et de leur charge de travail. Je suis convaincu que si beaucoup de maires pouvaient vivre décemment de leur indemnité, ils ne chercheraient pas à briguer un autre mandat.

Enfin, il est temps de moraliser la vie politique en rendant inéligibles à vie les élus condamnés pour corruption dans l’exercice de leurs fonctions. Ne l’oublions pas, la fracture civique qui mine notre pays est le premier défi à relever.

La décentralisation est une chance si elle est vivante, dynamique et démocratique. Confier toujours plus de pouvoirs aux collectivités sans leur assurer ni moyens ni cadre, comme si on se débarrassait des tâches tel Ponce Pilate, est en revanche démotivant et dangereux.

L’État doit donc reprendre la main à la fois pour l’intérêt général dont il est le garant et pour le bien même des collectivités qui ont besoin de repères et de durée pour agir avec raison.

Incapable de se fixer un horizon, le pouvoir politique a joué autant avec l’État qu’avec les collectivités. Il doit désormais s’appuyer sur ces deux piliers et bien clarifier le rôle de chacun.

C’est ainsi que les Français se sentiront davantage acteurs de leur destin.

*

La reconquête démocratique locale comme nationale serait largement incomplète si elle ne concernait pas aussi le niveau européen. L’émergence d’un super État européen sans les mécanismes de contrôle tra­ditionnels, dans un contexte de mondialisation éco­nomique et financière qui a fait voler en éclats les barrières nationales, a en effet considérablement affaibli les notions de responsabilité politique et de contrôle démocratique. Pour offrir une nouvelle marge de manœuvre à la France et donc reprendre le pouvoir, les Français doivent oser refonder l’Europe. Et ils osent déjà, à la grande stupéfaction des euro-béats, comme ils l’ont clairement fait savoir le 29 mai 2005.