France, Algérie et colonies/Algérie/03

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 601-613).


CHAPITRE III

MONTS DU TELL


La grande extumescence de la Berbérie, l’Atlas, n’entre dans les neiges persistantes que sur le territoire du Maroc, cet empire qui est à la fois le pays le plus vaste et le plus beau de l’Afrique Mineure. Là, dit-on, l’Atlas, le Déren, l’Adrar[1] des Berbères, dresse entre son Tell et son Sahara des pics dont les neiges luisent éternellement : vers les sources de la Malouïa et à l’horizon de Maroc il y a des Jungfrau et des Maladetta qu’on ne connaît pas assez pour dire si leurs flancs sont incrustés de glaciers, mais on sait qu’elles reçoivent assez de neige pour verser au Tell, et même au Sahara, des oueds comme n’en a pas l’Algérie.

En Algérie, les cimes les plus hautes n’ont de neiges que d’octobre ou de novembre en mai. Tandis que le Maroc lève son Atlas au-dessus des Pyrénées, au niveau des Alpes dauphinoises, notre Tell n’a pas un seul piton qui s’élance à 2 500 mètres. L’Atlas algérien est presque deux fois plus bas que le marocain.


Aurès. — C’est dans la province de Constantine que se dresse le géant de l’Algérie, le Mont Chélia. Il darde sa pointe suprême à 2 328 mètres : il n’a donc même pas la moitié de l’altitude du Mont-Blanc ; il est inférieur de 1 076 mètres à la première cime des Pyrénées, mais il dépasse de 442 mètres le Puy de Sancy, premier des Monts Français. Le Chélia se dresse à cent et quelques kilomètres à vol d’oiseau au sud de Constantine, à l’ouest-ouest-sud de Khenchéla, vers le sud-est de Timgad, dans les monts Aurès, qui couvrent plus d’un million d’hectares. Le Mahmel, au sud-est de Lambessa, ne lui est inférieur que de 7 à 8 mètres : ce qui en fait la seconde montagne de l’Algérie.

L’Aurès, encore mal connu, sépare le Sahara du Tell, ou plutôt il est Tell lui-même au sud comme au nord, et les gorges profondes, quelquefois extraordinaires, qu’il dirige au midi vers le pays des dattes mènent les cultures telliennes jusqu’au bord des plaines altérées du Zab oriental. Quelque âpres que soient ses craies et ses calcaires, si étroites que soient les fissures où sautent ses torrents, l’Aurès du sud aura ses bourgs français, ses vignes, ses clos, ses jardins, ses villages dès qu’on aura profité de ses sources, retenu par des digues les eaux sauvages de la saison des pluies, et vaincu, nous ne savons encore comment, le plus terrible ennemi de ces monts, le vent désséchant du sud-ouest, le chehli. Ce souffle néfaste fait peu à peu monter le Sahara dans l’Aurès ; chaque jour il accroît l’aridité sur la bordure méridionale du plateau des Némencha.

L’Oued-el-Abid, branche de l’Oued-Biskara, l’Oued-el-Abiod ou Rivière-Blanche, et l’Ouedel-Arab sont les trois fils de l’Aurès méridional. Accrus par des cavernes dont les unes versent des ruisseaux éternels tandis que les autres attendent les longues pluies pour éternuer des rivières, ces trois oueds coulent en toute saison jusqu’à la porte du Grand-Désert ; tous trois, en temps de grande crue, vont inonder les bas-fonds sahariens des Ziban, qui deviennent alors d’une fécondité prodigieuse ; tous trois bondissent également dans des entailles profondes, qui çà et là se dilatent en bassins. En régularisant par des barrages, en économisant pour l’été leurs eaux d’hiver, on régénèrera le Sahara du pied de l’Aurès. On a tort de toujours marier l’idée d’indigence au mot de Sahara, l’idée d’opulence au mot de Tell : au début de la conquête, on crut que la terre cultivable de l’Algérie s’arrêtait aux monts de Blida ; l’on sait aujourd’hui que le Steppe aura sa nation d’alfatiers, de laboureurs, surtout de vignerons, et nous prévoyons que ce qu’on irriguera du Désert deviendra le jardin de la France.

Au septentrion l’Aurès est moins sabré qu’au flanc méridional. Il est aussi moins divers, et surtout bien moins grand, car au sud il plonge sur les fonds du Melrir, faux lac inférieur au niveau des mers, tandis qu’au nord il s’élève, tantôt avec des forêts, tantôt avec nudité, sur un plateau de 1 000 mètres d’altitude. Ce plateau, des torrents le parcourent, qui, pendant le tiers, la moitié, les trois quarts de l’année, c’est selon, sèchent dans la plaine fertile qui s’incline vers des guérahs, des sebkhas, des chotts, lagunes salées dont la plus grande, le Tharf, a 20 kilomètres de long, 10 à 15 de large, et 20 000 hectares. Le Tharf miroite sous le soleil des hauts plateaux, à 48 ou 20 kilomètres au sud-ouest d’Aïn-Beïda, ville naissante située à 800 mètres d’altitude, et à peu près à la même distance au sud du Sidi-Bouis, montagne de 1 628 mètres, escarpée, isolée. Le Guellif, l’Ank-Djemel ou Cou du Chameau, le Mzouri et le Tinsilt (ces deux derniers unis par un détroit que franchit la route de Constantine à Biskara), n’ont pas, tous réunis, une aire égale à celle du Tharf. Le Djendéli, voisin du Medracen, qui est un vieux témoin du passé numide, reçoit l’Oued-Chémora, venu des monts du Timgad (Thamu-gadis) et de Lambessa (Lambœsis).

Timgad, Lambessa, et plusieurs autres kherbet ou enchir[2] des plateaux de Cirta n’ont point de ruines romaines immenses comme le pont d’Alcantara et l’aqueduc de Remoulins ou les arènes de Nîmes ; mais elles renferment autant de restes du Peuple-Roi que n’importe quelle autre cité d’Espagne ou du midi de la France : temples, ares de triomphe, débris de forums, de prétoires, maisons, citernes, murailles dont on ne sait ce qu’elles furent, inscriptions, fûts de colonnes, chapiteaux, statues, pierres tumulaires. L’Afrique française est pleine de débris du temps des Césars, surtout des Antonins et de Septime-Sévère. Sur un sol qui renverse les édifices par ses tremblements de terre, mais sous un ciel qui les épargne et qui les dore, au milieu d’un peuple qui dédaigne de bâtir, des villes célèbres sont arrivées jusqu’à notre siècle presque intactes, ou du moins telles que les trouva le lendemain de leur destruction ; mais depuis 1830 les colons, ignorants, insouciants, brutaux, et d’ailleurs pauvres et pressés de bâtir, leur ont fait plus de mal que les Berbères et les Arabes en mille années. Il y a peu de monuments romains à l’ouest d’Alger, très peu à l’ouest d’Oran et au delà de la Malouïa dans le Maroc. Les maîtres du monde avaient dompté toute l’Afrique du Nord, mais ils colonisèrent peu l’Occident du Tell. Le pays d’Annibal, des Asdrubal, de Massinissa, de Jugurtha, Carthage, le littoral de Tunis, la Medjerda, la Seybouse, les plateaux de Constantine, voilà l’Atlantide historique et monumentale. De l’est à l’ouest, le Tell était de moins en moins romain ; il est aussi de moins en moins arabe et de plus en plus berbère.

Lambessa.

Il n’y a que douze kilomètres de Lambessa à Batna, ville qu’on a quelque temps essayé de nommer la Nouvelle-Lambèse : Batna (1 021 mètres) est sur la route la plus courte entre la Méditerranée et les meilleures oasis du Sahara français, à distance à peu près égale entre Constantine et Biskara, en vue du beau Touggourt ou Pic des Cèdres (2 100 mètres).

L’Aurès, que les colons peu à peu cernent, mais qu’ils sont loin d’avoir conquis, est à la veille d’avoir sa forteresse, à Médina, par 1 400 mètres environ d’altitude : sa Qui qu’en Grogne, comme auraient dit nos aïeux, qui appelèrent ainsi des donjons bâtis pour opprimer. Cette citadelle sera là pour empêcher une révolte semblable à celle de 1879, drame que le fer et la flamme ont commencé, que le soleil a fini, car ceux des Ouled-Daoud que nos troupes n’avaient pas encore atteints, sont morts de soif en Sahara : trois cents cadavres aussitôt noircis et parcheminés par le vent sec du pays des sables, voilà ce qui restait de ces malheureux Berbères, fils d’une race qui vaut bien la nôtre.

L’Aurès a pour habitants des Berbères Chaouïa et des Arabes qui ont adopté le dialecte berbère du pays. Parmi les montagnards dont il fut l’acropole contre Rome, les Arabes, les Turcs, les Français, beaucoup ont des yeux bleus, des cheveux blonds, qu’ils les tiennent d’autochthones disparus, des colons italiens venus en grand nombre après la conquête romaine, des Vandales chassés du bas pays par les Byzantins, ou de toute autre ascendance ignorée. Celui qui saurait d’où viennent ces familles blondes nous apprendrait des secrets que nous ignorons ; il nous conterait les migrations d’Europe en Afrique ou d’Afrique en Europe, qui sont peut-être le plus grand fait de notre histoire à nous, hommes de l’Occident et du Sud.


Jurjura. — Dans la province d’Alger, le Jurjura[3] le cède à peine de quelques mètres à l’Aurès. Ses habitants, rameau du grand arbre berbère, lui donnent le nom d’Adrar-Boudfel[4], le Mont de la Neige ou, plus simplement, celui d’Adrar, la Montagne. C’est une chaîne grandiose, surtout vue du sud, avec des cols très élevés compris entre 1 231 et 1 941 mètres. Son tamgout[5] le plus haut, Lella-Khedidja (2 308 mètres), se dresse entre les bassins de deux fleuves, le Sahel et le Sébaou, à 110 kilomètres à vol d’oiseau vers l’est-est-sud d’Alger. De la capitale de l’Algérie, par-dessus les collines qui séparent la Métidja du val de l’Isser Oriental, au delà du Bou-Zegza (1 032 mètres) dont les flancs sont arides, on voit le Jurjura flotter au loin vers l’orient, flancs bleus et tête blanche, dans l’azur d’un éther tranquille.

Près d’un col du Jurjura.

Si, du côté du sud, il tombe avec raideur et parfois presque à pic, de 1 500 à 2 000 mètres de haut, sur le val du Sahel, au nord il s’éparpille en chaînons qui vont mourir sur la rive gauche du Sébaou, tandis que sur la rive droite se lèvent aussitôt des montagnes moyennes, formant le Sahel ou Littoral de Dellis à Bougie. Ces chaînons, des plis profonds, des déchirures immenses, le val du Sébaou, les monts côtiers, des forêts de cèdres, de chênes zéens, de chênes-lièges, de chênes à feuilles de châtaigniers, des bois d’oliviers, telle est la Grande Kabylie.

On y admire des acifs et des igzers[6] qui ne tarissent point, des cascades qui ne se taisent jamais, des vergers, des villages aux tuiles rouges sur des pics et des pentes, des gouffres où l’on n’entend que le torrent, où l’on ne voit que l’abîme, des roches d’où l’on contemple mille autres roches, et des monts et des neiges et des vallées et la mer. C’est là domaine d’un peuple si fier que les seuls Français l’ont courbé ; encore le voyons-nous souvent regimber contre l’aiguillon.

Cette nation est aussi dure au travail que passionnée pour la liberté ; elle a tellement profité de ses monts plaqués de neige entre novembre et mai, de ses pitons si droits, qu’on ne sait comment les villages y tiennent sans glisser ; elle a si bien cultivé ses versants perpendiculaires, ses ravins que les torrents ébrèchent, les rives alluvionnaires de son petit fleuve et son étroit littoral arrêté par des tamgouts qui semblent près de tomber dans la mer, que la Grande-Kabylie nourrit 275 000 hommes sur 366 000 hectares : soit 75 personnes par 100 hectares. Soixante-huit de nos départements sont relativement moins peuplés que ce pays de labeur et d’essaimage, cette rustique Auvergne d’Afrique plus voisine d’Alger que l’Auvergne de France l’est de Paris. Le cercle de Fort-National compte même près de 120 habitants par 100 hectares : et nous n’avons que six départements où la population soit plus dense.


Ouaransénis. — Moins haut de trois cents et quelques mètres que l’Aurès et le Jurjura, l’Ouaransénis ou Ouanséris[7] se partage entre les provinces d’Alger et d’Oran. Aucun volcan ne l’habilla jamais de rouge et de gris et de noir, et s’il ressemble à notre Cantal, vêtu de basalte et de lave, c’est par l’harmonieuse diramation de ses vallées autour d’un mont central, l’Œil du monde (1 985 mètres), ainsi nommé par l’indigène de ce qu’il voit tout, puisque de partout on l’admire. C’est un pic superbe : vu de Miliana, du Zaccar et de cent lieux éloignés, il a l’air, en effet, de dominer le monde.

Si tous les torrents de l’Ouaransénis tendent vers le Chéliff d’amont et le Chéliff d’aval, peu l’atteignent en toute saison : abondants et clairs dans les sillons de la montagne, ils jaunissent, ils filtrent et s’évaporent dans la vallée, et le voyageur qui les franchit sur le chemin de fer d’Alger à Oran ne voit d’eux qu’un lit sec entre des berges de terre, et parfois une eau sans fraîcheur et sans courant ; mais s’il remonte longtemps ces fossés desséchés, arrivé dans le cœur de l’Ouaransénis, il les trouve bruyants de cascades. Ainsi lorsque, au-dessus d’Orléansville, on traverse l’Oued-Fodda ou rivière d’Argent, on n’aperçoit point de flots argentés, souvent même pas d’eau stagnante et trouble, dans la tortueuse tranchée taillée par ses crues à travers l’alluvion de la vallée du Chéliff. Mais qu’on longe ses berges vers l’amont : à quelques kilomètres plus haut, elle coule toujours, et à dix ou douze lieues en montagne, elle roule 780 litres par seconde en été.

L’Ouaransémis est l’asile de Berbères que nous n’avons point soumis sans peine, et qui sans doute ne se croient pas domptés pour toujours : eux aussi, comme tant de Kabyles du mont, tant d’Arabes de la plaine, tant de nomades errant de pâture en pâture, ils attendent le Moul-es-sâa, le Maître de l’heure. Devant cet homme du Destin, cet élu de Dieu, ce vengeur, ce héros, ce prophète, les Roumis[8] fuiront comme le chacal.


Babor. — Dans la province de Constantine, les Babor, autres monts berbères, dominent la plage où fut Ziama, sur le golfe de Bougie. Ils se lèvent à presque égale distance de Bougie, de Djidjelli et de Sétif. C’est une citadelle escarpée qui nous a coûté de nombreux assauts ; elle a pour bastions majeurs le Grand Babor (1 979 mètres), le Petit Babor (1 965 mètres) et l’Adrar-Amellal (mot à mot le Mont-Blanc), qui domine les fameuses gorges du Châbet-el-Akhra.

Ce sont là les massifs ayant plus ou près de 2 000 mètres, les seuls qui soient supérieurs à nos monts du Centre. Parmi ceux qui ont la même taille que les Dore, les Dôme, les Cévennes, la Margeride ou les cimes d’Aubrac, soit 1 500 à 1 900 mètres, il faut nommer les monts Hodnéens, le Dira, les monts de Blida, les monts de Thaza, les monts de Tlemcen, le Zaccar.

Monts Hodnéens. — On peut appeler de ce nom les massifs confus qui, dans la province de Constantine, décochent des torrents vers le Hodna, lac salé sans écoulement, tandis qu’au nord ils commandent, mais de bien moins haut, les plateaux élevés de Sétif et la Medijana, plaine également fort élevée, célèbre par sa fécondité. Leurs maîtres sommets sont le Kteuf ou Dréaf (1 862 mètres), au-dessus de Mansoura, bourg berbère ; le Maadhid (1 848 mètres), qui est le Pic du Midi de Bordj-bou-Aréridj (915 mètres), ville de la Medjana ; le beau Bou-Thaleb, qui est le Pic du Midi de Sétif : ce dernier a conservé ses vieilles forêts.


Dira. — Dans la province d’Alger, s’élance, au-dessus d’Aumale, un massif de 1 813 mètres, le Dira, qui se rattache aux monts Hodnéens. De ses forêts, de ses pâtis, sortent les premières fontaines de la rivière qui s’achève à Bougie et celles de l’Oued-Chellal, tributaire du Hodna. Un des monts de ce massif, le Kef-el-Akdar ou Rocher Vert (1 464 mètres), fait de grès, s’appela jadis le Titéri ; ce nom devint celui d’un des beyliks de l’Algérie. Avant 1830 le dey d’Alger commandait à trois beys : au bey de Constantine, au bey d’Oran[9], au bey du Titéri, qui résidait à Médéa. — Dira, c’est une corruption du berbère Déren, la montagne ; Titéri, c’est aussi du berbère : Tit-ir-ill, l’Œil ou la source du mont.


Monts de Blida. — Ce sont les plus fiers de ceux qui cerclent la Métidja ou plaine d’Alger. Ils se lèvent, l’un près de la rive droite, l’autre près de la rive gauche de la Chiffa, qu’ils forcent à courir dans des gorges magnifiques. La montagne de gauche est le Mouzaïa où Tamesguida (1 604 mètres) ; la montagne de droite, le Pic du Midi de Blida, est le Béni-Salah (1 629 mètres) ou piton de Sidi-Abd-el-Kader, ainsi désigné d’une chapelle à l’honneur de Sidi-Abd-el-Kader-el-Djilali, le saint le plus révéré de l’Afrique du Nord : rien que dans la seule Algérie on compte plusieurs centaines de petits dômes, ou, comme on dit, de koubbas consacrées à ce musulman fertile en miracles. Le Béni-Salah contemple au nord la plate Métidja, tandis qu’au sud, à l’est, à l’ouest, il plane à l’infini sur des ravins tordus et sur des bois déserts. De Blida, qui lui doit ses transparentes eaux, l’on y monte par la forêt de Tala-Zid, qui conserve encore des cèdres d’un âge immémorial. Cette forêt s’appelle ainsi d’une source que les Berbères, les premiers occupants du sol, nommèrent Tala-Zid, ou la fontaine de Zid. Vinrent les Arabes, qui l’appelèrent Aïn-Tala-Zid ou la fontaine de la fontaine de Zid. Puis sont arrivés les Français, qui n’ont pas manqué de lui donner le nom de fontaine d’Aïn-Tala-Zid, ce qui veut dire exactement la fontaine de la fontaine de la fontaine de Zid. C’est ainsi que les Arabes disent Qued-Souf, c’est-à-dire Rivière-Rivière, et Bir-Tin ou Puits-Puits, et que nous disons, plus « tautologiquement » encore, la Rivière de l’Oued-Souf et le Puits de Bir-Tin. Ces pléonasmes se retrouvent, cent fois moins rares qu’on ne croit, dans tout pays qui a subi des races diverses. Les monts de Blida sont encore boisés, avec des singes dans leurs halliers, mais ils n’ont plus ni lions, ni panthères.


Monts de Thaza. — Dans la province d’Alger, les monts de Thaza sont ainsi nommés d’une ville arabe détruite, assise au pied du piton culminant de tout le pays, l’Achaoun (1 804 mètres). Regardant au sud le plateau mi-Teli, mi-Steppe du Sersou, ces montagnes, qui portent la forêt de cèdres de Téniet-el-Had (1 158 mètres), unissent l’Ouaransénis au cap de Boghar, promontoire que ne ronge pas la mer ; c’est le Chéliff qui frôle sa falaise. Toutes leurs eaux gagnent ce fleuve inconstant.


Monts de Tlemcen. — Faits de calcaires, les monts de Tlemcen, dans la province d’Oran, tiennent leur nom d’une ville célèbre, jadis capitale d’empire. Leur tête culminante est le Tnouchfi (1 842 mètres ?), au sud-ouest de Sebdou, mais leur plus belle montagne est le Toumzaït (1 589 mètres), pic superbe dominant à l’est les hautes croupes sylvestres des Béni-Snous, à l’ouest, un passage facile entre le Tell et les Steppes ; au nord, il incline ses gorges vers les mines d’argent et de plomb de Ghar-Rouban et vers les larges plaines d’Ouchda, qui font encore partie des domaines du sultan de Fez et Maroc. Le Toumzaït se dresse en pays berbère, comme d’ailleurs son seul nom l’indique, puisqu’il commence et finit par un t, ce qui est la forme berbère du féminin singulier. Les Arabes l’appellent Ras-Asfour, c’est-à-dire la Tête, le Mont des Oiseaux.


Zaccar. — Dans la province d’Alger, le Zaccar porte Miliana sur un de ses ressauts, et sa cime (1 570 mètres) domine cette ville aux fraîches fontaines. Très imposant, vu de la plaine du Chéliff, le Zaccar est de craie : il s’appuie au fouillis de pics des Béni-Menasser, petite nation berbère qui pleure son indépendance.


Le reste du Tell algérien est couvert de montagnes, massifs liés à d’autres massifs ou simples pitons isolés sur les plateaux. Si l’Atlas du Maroc a droit au nom de chaîne, l’Atlas de l’Algérie se compose d’un chaos de djébels[10] différents d’origine, d’âge, de nature, d’aspect, disloqués par les tremblements de terre, séparés, bouleversés, usés par le travail des météores.



  1. Il est probable qu’Atlas n’est que la corruption d’adrar, mot berbère qui veut dire montagne. Quant au nom de Déren, que porte l’Atlas là où il est le plus élevé, c’est l’altération d’idréren, les montagnes, pluriel d’adrar.
  2. Ces mots arabes veulent dire ruines, sites de ruines.
  3. On écrit aussi Djurdjura et Djerdjéra.
  4. On appelle ainsi le Jurjura comme étant le pays kabyle par excellence : Kabyle est un synonyme de Berbère.
  5. Ce mot berbère veut dire pic, aiguille.
  6. Ces mots berbères signifient rivière et ruisseau.
  7. On dit aussi Ouarsénis.
  8. Les Musulmans d’Algérie donnent aux Chrétiens le nom de Roumis, évidente corruption du mot Romains.
  9. Quand Oran était espagnole, c’est de Mascara que régnait le bey de la province de l’Ouest.
  10. Mot arabe, devenu français, qui veut dire montagne.