France, Algérie et colonies/Colonies/02

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LIbrairie Hachette et Cie (p. 700-713).


CHAPITRE II

COLONIES D’ASIE


1o Colonies de l’Inde. — L’Inde passe pour le plus riche et le plus beau canton de la Terre. Elle a les plus hautes montagnes, ses plaines sont exubérantes, ses fleuves admirables, et 250 millions d’hommes, le sixième de la race mortelle, y vivent dans une chaude nature. Mais dans ses marais en éternelle fermentation rampe le choléra, roi des épouvantements.

Tout y est grand, les pics, les eaux, les marais, les déserts, la fécondité, la stérilité, la famine, les pestes. C’est par cent mille que les typhons y noient les hommes, par millions que la pestilence ou la faim les emporte.

Nous avons failli dominer dans ce magnifique empire, depuis les monts argentés de l’Himâlaya jusqu’à Ceylan, la perle de la mer des Indes. Il n’y reste à la France que cinq villes avec leur banlieue, pauvres épaves qui seraient emportées à la moindre tempête par quelque coup de vent britannique.

Dupleix voulut donner le Gange à la France, malgré la France : il en fut puni par la misère ; Mahé de la Bourdonnais fut jeté dans un cachot de la Bastille ; Lally saigna sous la hache du bourreau : nous n’étions pas dignes de régner en Asie.

Pondichéry, capitale de nos établissements, a 156 000 âmes, banlieue comprise, sur une plage droite de la côte de Coromandel, rivage oriental de l’Inde. Cette Poutoutchéri des Indiens n’a point de port, mais seulement une rade foraine, la meilleure de ce littoral redouté. Le fleuve principal du pays, le Pennar du Sud, au delta duquel a part le territoire de Pondichéry, prend ses sources dans le Décan, plateau triangulaire élevé formant l’Inde méridionale, entre la mer du Bengale et la mer d’Oman ; plusieurs races y vivent, pures ou mêlées du noir au blanc, et parlant diverses langues, le télougou ; le tamoul, le canarèse, le malayalam : c’est le tamoul qui résonne à Pondichéry. Cette ville, voisine du 12e degré de latitude nord, sous un climat très chaud, mais salubre tropicalement parlant, s’élève à 168 kilomètres au sud de Madras, ville de 450 000 habitants régnant sur l’une des trois « Présidences » qui divisent l’Inde anglaise.


Si, de Pondichéry, l’on suit la côte de Coromandel pendant 400 kilomètres au sud, on arrive au delta du Cavéry, fleuve d’un débit moyen de 478 mètres cubes par seconde qui tombe des plaines élevées du pays de Mysore par deux bonds superbes, l’un de près de 120 mètres, l’autre de près de 150. — Karikal (92 500 habitants avec la banlieue), voisine de la mer, borde une des branches de ce delta, l’Arselar, non loin du 11e degré de latitude. Grâce aux inondations régulières de l’Arselar, du Nondalor, du Pravadéanar et du Nagour, autres bras du Cavéry, grâce enfin à 14 canaux d’irrigation, ce territoire de 13 515 hectares est merveilleusement fertile en dépit d’un excès de sable. À Karikal, la moyenne annuelle à l’ombre dépasse 28 degrés ; mais cette ville, dans sa verdure, sous ses palmiers, au bord de son fleuve, n’en est pas moins charmante, d’autant plus qu’il lui est défendu de s’entourer de murs : les traités s’y opposent, ils ne nous permettent point non plus d’y tenir de soldats.

La langue qui règne dans cette ville et ses 109 aldées ou villages, c’est le tamoul.


En marchant, au contraire, de Pondichéry vers le nord, on atteint les branches d’une autre grande rivière décanienne, le Godavéry, qui boit l’eau de 25 millions d’hectares, près d’une demi-France. Yanaon (5 500 habitants), entre le 16e et le 17e degré de latitude, est à 780 kilomètres de Pondichéry, à 11 kilomètres de l’embouchure du fleuve, à l’endroit où se détache de sa rive gauche le Coringuy, bras navigable pour les navires de 200 tonneaux ; quant au Godavéry, des bancs de sable le rendent inaccessible aux navires. C’est un lieu chaud, lourd, humide, malsain, que la dysenterie visite, que les typhons ravagent : en 1839, un de ces ouragans inouïs, auprès desquels nos tempêtes sont presque un zéphir, y poussa la mer sur la terre, et, le jour venu, ce jeu de la nature avait coûté 6 000 hommes aux alluvions du Godavéry. L’homme, en ces climats, n’est pas moins cruel pour lui-même que les éléments : dans le delta d’un fleuve de ce même rivage, devant un temple immense, que de cadavres ont faits les roues du char de Djagarnat ! C’est le télougou qu’on parle à Yanaon et sur les 3 300 hectares de son district.


Dans le vaste delta du Gange, atelier du choléra, sur l’Hougly, grande branche navigable de ce majestueux fleuve, Chandernagor, de son vrai nom Tchandranagar, s’élève près du 23e degré de latitude, à 1 600 kilomètres de Pondichéry, à 25 seulement au nord de Calcutta, fastueuse et fameuse capitale de l’empire Anglo-indien. Elle a 23 000 habitants ; sous Dupleix elle en avait 100 000 : c’était la Calcutta d’alors.

Chandernagor.


Sur la côte de Malabar, qui regarde la mer d’Oman, Mahé, charmante ville de trois à quatre mille âmes, est un paradis de verdure, sous un climat brûlant où la température descend rarement à 24 degrés et dépasse peu 27 à 28. Ce port vaseux occupe l’embouchure du Mahé, petit fleuve qui ne porte point d’embarcations lourdes : à peine s’il reçoit les bâtiments de 60 tonnes. Avec quatre aldées ou villages indiens, la colonie à 8 500 habitants, dont 4 à 5 Français et 20 métis de sang portugais. Telle est cette « Nouvelle-France » où les traités avec nos bons alliés les Anglais nous reconnaissent le droit de tenir un homme de garnison. Cette ville fut conquise par un de nos vrais grands hommes, Labourdonnais, qui lui dut son surnom de Mahé (1724). La langue de Mahé est le malayalam.


En tout 51 000 hectares, avec 285 090 habitants, Hindous ou Musulmans. Il y a 1 660 blancs et 1 535 métis.




2o Cochinchine et Cambodge. — En 1858, la France déclara la guerre à l’empire d’Annam, en Indo-Chine ; elle avait longtemps hésité, malgré des affronts nombreux, et les Annamites disaient de nous : « Les Français aboient comme des chiens et fuient comme des chèvres. » Cette guerre nous a valu jusqu’à ce jour six provinces, le delta d’un grand fleuve, la suzeraineté sur un royaume. Ces provinces se nomment Saigon, Mitho, Bien-Hoa, Vigne-Long, Chaudoc, Hatien ; elles forment la Basse-Cochinchine ; ce fleuve est le Mécong ; ce royaume est le Cambodge ; et un plus grand royaume, le Tonquin, est à la veille d’entrer sous notre protectorat.

La Basse-Cochinchine, ou, dans le langage courant, la Cochinchine, a 5 600 000 hectares, l’étendue d’environ 9 départements, avec 1 600 000 âmes.

Ces lieux bas et chauds, essentiellement torrides, la mer de Chine les sépare de la lointaine Bornéo. Le point le plus septentrional est entre le 11e et le 12e degré de latitude nord ; le point le plus méridional, le cap Cambodge, est entre le 8e et le 9e. À l’est, la Cochinchine touche à l’Annam ; au sud et à l’ouest, elle regarde la mer ; au nord, s’étend le Cambodge.

Dans des montagnes inconnues, sur le haut plateau de l’Asie, entre Chine et Tibet, naît un des puissants fleuve du monde, le Mécong. Déjà grand quand il entre dans le pays des Laotiens, il en ressort immense après avoir descendu par bonds et rapides un bruyant escalier dont les plus hautes marches sont les chutes de Salaphe et de Papheng où le fleuve s’abaisse de 15 mètres, celles de Préapatang, de Sombor, de Khon, etc. Le Mécong, qui déborde comme le Nil, qui comme lui finit en delta, n’est pas moins brisé de cataractes que le fleuve sacré dans sa route entre l’Éthiopie et l’Égypte : si bien que les Français ont abandonné l’espoir, d’abord chèrement caressé, de monter commodément jusqu’en Chine par les eaux de la magnifique rivière indo-chinoise.

Le Mécong en hautes eaux, au-dessus des cataractes de Khon.

Dans le Laos, le Mécong a de 1 500 à 5 000 mètres de large, avec des profondeurs de 10 à 30 mètres. À son principal « étroit », il n’y a que 200 mètres de rive à rive, au pied du mont solitaire de Phou-Fadang, mais la sonde n’y touche pas le fond à 70 mètres ; à sa plus ample expansion, cinq lieues séparent les deux bords, grâce à des îles nombreuses.

Chez les Cambodgiens, qui l’appellent Tonlé-Thon ou la Grande Rivière, il passe de son antique et immémoriale vallée dans les alluvions d’un vaste golfe qu’il a remblayé, qu’il remblaie toujours. Ces alluvions, Cambodge et Cochinchine, sont un pays fort bas, tout le long duquel le fleuve, à partir de son dernier rapide, est soumis à la marée : du moins dans les eaux maigres, Car, en temps de crue, le Mécong, montant d’une douzaine de mètres, domine d’autant le flot de la mer.

À Phnôm-Pênh, on se trouve tout à coup en présence de quatre rivières. On est aux Quatre-Bras, comme disent les Français ; aux Quare-Chemins, comme disent les Cambodgiens. L’un de ces bras, c’est le Mécong supérieur : deux autres forment la fourche du delta : le dernier, qui remonte vers le nord-nord-ouest, c’est le Tonlé-Sap, rivière de 700 à 800 mètres de large, de 12 à 20 mètres de profondeur suivant le maigre ou la crue, et de 120 kilomètres de long, qui réunit le Mécong au Grand Lac, nommé par les Cambodgiens le Tonlé-Sap, comme la rivière.

Le Grand Lac, long de 120 kilomètres, large en moyenne de 20, grand de 240 000 hectares, n’a qu’un mètre, un mètre et demi de profondeur aux eaux basses du fleuve ; mais à mesure que celui-ci monte, c’est-à-dire de juin à la fin de septembre, le « Mœris Cambodgien » grandit, la rivière Tonlé-Sap lui versant une partie des flots bourbeux de la crue du Mécong ; et quand les averses de la mousson du sud-ouest ont cessé d’augmenter le Nil indo-chinois, il se trouve que le Grand Lac, devenu trois à quatre fois plus vaste, a 12 mètres de plus de profondeur et qu’il est semblable à une mer jaune aux rives indécises. Puis, quand le Mécong a repris son plus bas niveau, la rivière Tonlé-Sap vide ce qu’elle avait rempli, le lac baisse, il redevient plaine marécageuse, forêt de joncs, lignes de palétuviers autour de la cuvette centrale qui, réduite à sa profondeur de quatre à cinq pieds, n’est plus qu’un immense vivier sans limpidité, vase, herbe et poissons autant qu’eau.

En Cochinchine, le delta du Mécong est un vaste entrecroisement de rivières et d’arroyos — ce mot espagnol a droit de cité chez les Franco-Cochinchinois. — C’est une terre encore inconsistante que ses anciens maîtres, les Cambodgiens, appelaient fort bien Tuc-Khmau, ce qui veut dire l’Eau Noire. De toutes ces branches, une seule, la rivière de Mitho, porte les grands bâtiments.

Tout à fait à l’aventure, puisqu’on n’a pu encore explorer le lieu des sources du fleuve, et que là où on l’a perdu de vue, c’est encore un courant puissant, on évalue le bassin du Mécong à 90 millions d’hectares et son volume en eaux moyennes à 33 000 mètres par seconde : masse formidable, qui lui donnerait un des premiers rangs parmi les rivières de la Planète. En grande crue, il verserait 80 000 mètres cubes à la mer de Chine. C’est donc, et de beaucoup, le plus grand de tous nos fleuves ; ce serait le plus précieux s’il reflétait des cieux froids, comme l’altière Québec, ou des cieux éclatants et chauds mais secs, comme la blanche Alger, la haute Constantine et la joyeuse Oran.

Le riz, toutes les plantes amies du soleil et de l’eau, viennent à merveille dans les alluvions de la Cochinchine, où les exondances périodiques du Mécong et autres rivières ou ruisseaux réparent chaque année le sol par le dépôt des crues. Les terres hautes, à l’est et au nord de Saigon, ont peu d’étendue et leurs plus hautes cimes n’ont même pas 4 000 mètres ; ces petits monts, qu’habillent des forêts, ont pour maître sommet le Nui-Ba-Dèn ou Dame Noire (883 mètres) ; ils se nouent à la chaîne littorale de l’Annam, laquelle s’élève entre le val du Mécong et le rivage de Hué[1].

Des 1 500 000 à 1 600 000 habitants de la Cochinchine, plus de 1 350 000 sont des Cochinchinois, plus de 100 000 des Cambodgiens, 40 000 des Chinois, 10 000 des Malais.

Les Cochinchinois descendent de colons et de mendiants annamites, mêlés à des Chinois, que l’empereur d’Annam interna dans le delta du Mécong, alors occupé par des Cambodgiens. Annamites, Chinois, Cambodgiens étant plus ou moins la même race d’hommes, avec des idiomes de même nature, le brassage de ces éléments ne fut point difficile, et les Cochinchinois forment un peuple homogène. Ce sont des gens de taille courte, de membres menus, de visage plat, de teint basané, d’yeux obliques et bridés ; en un mot des « Jaunes », pétris de qualités et de vices, comme toute autre argile humaine : on leur reconnaît l’intelligence, le don de l’imitation, la sobriété, l’amour du travail, les vertus de famille ; on leur reproche le mensonge, la duplicité, l’esprit sans profondeur, l’instinct de la routine, la pusillanimité (toutefois ils ne craignent pas la mort). Ils parlent un dialecte de l’annamite, langue monosyllabique, parente du chinois, écrite idéographiquement comme lui, chaque signe représentant non pas une lettre, mais un objet ou une idée.

Soldats et marins à part, il n’y a pas encore en Cochinchine 1 500 Européens, et tous ces Européens ne sont pas des Français, tant s’en faut. L’enfant des climats tempérés supporte mal la chaleur humide qui pèse lourdement sur l’alluvion cochinchinoise ; ce n’est point la torridité qui le terrasse, le thermomètre montant rarement à 30 degrés et ne dépassant pas 35 ; c’est la moiteur qui l’accable, et, par la fièvre et la dysenterie, le mène à l’anémie d’où sortent tous les maux. La France peut y dominer, elle n’y formera jamais une colonie de son sang ; elle y restera campée comme les Anglais dans l’Inde ou les Hollandais à Java. Tout au plus y crée-t-elle des métis qui, pressés par le milieu même, auront plus de pente vers l’élément cochinchinois que vers l’élément français. Des hommes frivoles ont cru que l’Algérie resterait un camp, ce sont les hommes sérieux qui craignent que la Cochinchine reste toujours un comptoir.

Le Chinois, lui, redoute peu ce climat. Boutiquiers, négociants, marchands de riz, banquiers, ouvriers, colons, ces Jaunes rasés de crâne et glabres de joue envahissent les cités et les bourgs. Pour un Blanc il arrive ici trente à quarante Fils du Ciel. Ce comptoir de la France est une colonie de la Chine.


Saigon règne sur cette colonie, la seule avec Pondichéry qui nous donne plus qu’elle ne nous coûte, pécuniairement parlant ; mais il ne faut pas mesurer la valeur d’un pays d’outre-mer à ce qu’il emporte ou rapporte d’argent au trésor de l’État. La métropole arrachée à sa torpeur, la colonie cessant d’être un désert, ou de terre barbare devenant terre humaine, l’éveil et le croisement des entreprises, le pavillon courant les mers, la langue de la patrie conquérant des foyers et ses chefs-d’œuvre des autels, c’est pour cela surtout qu’il faut essaimer au-delà des Océans. Saigon renferme environ 80 000 habitants, dont moins de 1 000 Français, 5 000 Chinois, 75 000 Annamites. Elle est en plaine, à 50 kilomètres de la mer, sur un des bras formant le Donnaï, qui porte les grands navires. Le bassin de ce petit fleuve et tout le delta du Mécong sont sillonnés d’arroyos, chenaux grouillants de crocodiles et bordés de palétuviers, de fourrés où de superbes tigres rôdent. Fleuves, rivières, arroyos font des terres les plus basses de la Cochinchine une espèce de Hollande torride où l’homme a beaucoup moins corrigé la nature que dans la froide Néerlande.

À 80 kilomètres de l’embouchure du grand bras méridional du Mécong, Poulo-Condore, ou mieux Condore[2], île qui se lève à 596 mètres d’altitude, sert de pénitencier à la Cochinchine.




3o Cambodge. — Derrière la Cochinchine, en remontant le Mécong, notre protectorat, depuis 1864, couvre le Cambodge, royaume de 8 500 000 hectares et d’un million d’habitants, parmi lesquels on peut admettre trois quarts ou quatre-cinquièmes de Cambodgiens, plus de 100 000 Chinois et près de 100 000 Annamites. Quand nous sommes arrivés en ces lieux, Siam les disputait depuis longtemps à l’empereur de l’Annam, et l’avait déjà diminué le pays de plusieurs belles provinces que nous n’avons pas su réclamer, que même nous avons eu la faiblesse de céder officiellement aux deux rois des Thaï[3].

Le Cambodge, que les Cambodgiens appellent Sroc-Khmer, c’est-à-dire pays des Khmers, et Nokor-Khmer ou royaume des Khmers, borde le Mécong, ici rompu par beaucoup de rapides, et les rives du grand lac Tonlé-Sap. Il y a quelques siècles, le Cambodge appartenait aux Khmers, peuple qui a laissé des monuments prodigieux. La légende raconte que leur potentat courbait sous sa loi cent vingt rois et commandait à cinq millions de guerriers. Le Siam, le Cambodge, le Laos, la Cochinchine, le Tonquin tenaient dans cet empire. Les Portugais, ce tout petit peuple très grand dans l’histoire, parurent dans ce pays vers le milieu du seizième siècle : plus d’une figure cambodgienne en porte le témoignage ; l’Orient, d’ailleurs, est plein de métis lusitaniens.

De même que les alluvions de la Cochinchine, le Cambodge, sol excellent, plaine irrigable, profite plus aux Chinois qu’aux Français. Par la paresse des Cambodgiens et par l’absence des Européens, l’héritier des constructeurs de la Grande Muraille fait peu à peu du Cambodge une colonie commerciale de l’empire du Milieu. La France est loin et la Chine est près ; la France est petite et la Chine est grande ; le Tropique nous énerve, il ne fatigue point les Chinois.

Phnom-Penh[4] (30 000 habitants), sur le Mécong, a succédé comme capitale à Oudong, ville aux maisons de bambou. À une quinzaine de kilomètres des rives plates du Grand Lac, aujourd’hui en pays siamois grâce à notre condescendance, Angkor fut le siège de l’empire des Khmers. Dans une enceinte que Paris remplirait à peine, cette métropole abritait un peuple dont de puissants architectes ont consacré la grandeur : tours et murailles, immense temple bouddhiste, terrasses, palais sculptés, larges fossés, lacs artificiels, digues énormes, avenues de géants de pierre, dragons fantastiques, ce qui tient droit, ce qui s’effondre, ce que les siècles ont amassé de décombres aussitôt saisis par la forêt, Angkor fut une Athènes dont la langue ne nous a point laissé d’harmonieux chefs-d’œuvre, une Rome dont nous ignorons les gloires et les crimes, une Thèbes incapable de résister au temps comme la Thèbes du Nil. Ciel d’airain, l’Égypte éternise ; sol de sable, buis clairs, palmiers sans lianes, elle peut ensevelir mais elle ne ronge pas ; ciel de pluies, forêt touffue, racines mordantes, plantes étouffantes, lianes grimpantes, le Cambodge dévore avant d’ensevelir.

Façade principale du grand temple d’Angkor.



  1. Résidence de l’empereur d’Annam, notre vassal.
  2. Poulo, mot malais, veut dire île.
  3. Le pays des Thaï ou Siam est gouverné par deux rois.
  4. Le mot cambodgien Phnom veut dire montagne.