Frissons/À l’Enfant qui sera mon épouse

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chez l’auteur (p. 35-39).
À L’ENFANT QUI SERA MON ÉPOUSE


Es-tu d’Europe, es-tu d’Asie,
Es-tu songe, es-tu poésie,
Es-tu nature ou fantaisie,
Ou fantôme ou réalité ?

Lamartine.


Seul, avec l’inconnu, quand je gravis les cimes,
Tout rempli d’idéal j’entends des voix intimes
Qui me parlent amour dans un céleste chœur.
— J’entends par idéal les baisers de l’abeille,
Elle choisit la fleur qui pare la corbeille
Lorsque dans sa corolle elle devine un cœur.

Quel est l’horizon bleu que dore mon étoile ?
Est-il lointain ou proche ?… Un nuage le voile…
Mon regard plonge en vain dans l’avenir obscur :
Une femme m’attend et je ne sais laquelle,
Peut-être l’ai-je vue, et sa claire prunelle
Un jour a fait songer mon âme aux flots d’azur.


Pour Dieu ! qui que tu sois, fille de ma pensée,
Compagne de mes jours, sublime fiancée,
Qu’une mère chérie a fait grandir pour moi :
Ressens-tu ces transports que veut rendre ma lyre,
Accords mélodieux de mon jeune délire,
Tendrement inspirés par un premier émoi ?


À toi ma vie, à toi mon âme qui murmure,
À toi tout mon amour, divine créature,
Ange qui chaque nuit viens charmer mon sommeil ;
Je ne te connais pas et pourtant je t’adore.
Belle enfant que je sais pure comme l’aurore,
Qui s’enfuit doucement aux baisers du soleil.


Je veux que ton œil noir, vierge de tout mirage,
N’ait jamais soupçonné que ce premier rivage
Où la candide enfance aspire le bonheur ;

Je veux qu’aucune main, sauf les doigts de la brise,
N’ait paré tes cheveux, belles boucles que frise
Le chérubin ailé qui veille sur ton cœur.

Aimable et chère enfant, source de rêverie,
Chaque jour je te cherche et chaque jour je prie
Le Dieu qui nous créa de bientôt nous unir ;
Je ne t’offrirai point de partager ma gloire,
Avoir su l’appeler est ma seule victoire,
Mais je mets à tes pieds mes printemps à venir.

Au banquet de l’amour mon âge me convie,
Je suis de ces enfants que leur modeste vie
Laisse dormir en paix à l’ombre des tombeaux ;
Une âme aimante et jeune est toute ma fortune,
Je chéris les grands bois, les pâles clairs de lune,
Les fleurs au doux parfum et la voix des oiseaux.




Morte