Frissons/Délaissée

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chez l’auteur (p. 29-33).
DÉLAISSÉE


Dans le lit nuptial, — autel où l’on adore, —
La douleur sur le front, la rage dans le cœur,
Une femme aux doux yeux, qu’un mal poignant dévore,
Redouble de sanglots lorsqu’elle voit l’aurore
Répandre sur sa couche une pâle lueur.


Son visage est mouillé de larmes abondantes ;
Pauvre âme ! elle aime encore un époux qui la fuit,
Et pendant que, bestial, il fêtait les bacchantes,
Martyre elle comptait les heures accablantes
Qui sonnaient lentement comme un glas dans la nuit.

C’est en vain qu’à présent sa poitrine palpite,
Les douceurs de l’amour ne la fécondent plus ;
À suivre le sentier de la vie elle hésite,
Pour cet être abattu le bonheur est un mythe
Envolé de la terre au séjour des élus.


On sent qu’elle maudit, dans un transport sublime,
Le cercle vicieux où se meut l’univers ;
Combinant le réel avec le rêve intime,
Dans l’avenir confus elle creuse un abîme
Où va la bousculer l’ouragan des hivers.


Elle est abandonnée, et pourtant elle est belle ;
Que de pensers promet son front vaste et fiévreux !…
Son œil profond est pur comme l’eau qui ruisselle,
Délicate à l’excès, comme une tourterelle
Elle doit roucouler des hymnes amoureux.


L’édredon se dessine en contours admirables
Et semble frissonner aux approches des seins,
Je crois bien que jamais formes plus adorables
Ne durent inspirer caresses plus aimables
À l’hymen ingénu dans ses premiers desseins.

Je la vois un beau jour, candide promeneuse,
Au soleil printanier courir dans les lilas :
Je la vois une nuit, enivrante dormeuse,
Dans un songe d’azur, poétique charmeuse,
Sourire à l’homme aimé qu’elle aurait dans les bras.


Grand Dieu ! mais si j’étais l’époux de cette femme,
S’il m’était accordé de baiser son cou nu,
Si ma voix fortunée un seul jour à son âme
Avait dit ce serment dont la majesté pâme :
Je brûlerais sans trêve un encens inconnu.


Je serais sur un trône en demeurant l’esclave
D’un ange qui devrait commander aux faveurs,
Et puis, aux doux baisers de sa lèvre suave,
Je dirais des accords, harmonieuse octave,
Dont le sujet immense absorberait nos cœurs.


Et la pleureuse pâle aujourd’hui qui blasphème,
N’évoquerait les ans que pour tous les bénir,
Heureuse, entre mes bras, elle dirait : « Je t’aime »
Ces deux mots qui seront un éternel poëme,
Parce qu’ils ont en eux les fruits de l’avenir.

À L’ENFANT QUI SERA MON ÉPOUSE