Frissons/Les Heureux

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chez l’auteur (p. 51-55).
LES HEUREUX


Le rivage est bordé de nombreux arbrisseaux,
Et le soleil promène à travers leur feuillage
Ses rayons adoucis sur le riant visage
De jeunes promeneurs oubliés sur les eaux.


Ils sont époux d’hier et s’adorent tout bas.
Quelle candeur naïve a leur joue empourprée !
Leurs yeux montrent leur cœur planant à l’Empyrée
Que visitent un jour les heureux d’ici-bas.


N’ayant point à subir la loi de son rameur,
La nacelle s’en va doucement en dérive,
Caressant les roseaux de l’une et l’autre rive,
Sous la branche du vergne ou du saule pleureur.


Encore tout empreint des baisers de l’hymen,
Le visage incarnat de la blonde charmeuse
Éclipse la fraîcheur de ces filles de Greuze
Que l’Aurore un matin lui montra dans l’Éden.


Et quand vit-on jamais l’éclair d’aussi beaux yeux
Plonger dans le miroir de ces sources profondes,
Depuis les jours lointains où les nymphes des ondes
Enchaînaient à leurs bords les faunes amoureux.


Un mirage charmant se montre aux deux époux :
Le sourire a passé sur leurs lèvres mi-closes,
Ils ont vu leur enfant étendu sur des roses
El se montrent de l'œil les nénuphars jaloux.


On entend leurs baisers, et la brise des eaux,
Caressant doucement leur belle chevelure,
Y trouve des parfums qu’aussitôt la nature
Aspire à pleins poumons à travers les roseaux.

L'amoureux se souvient du dernier songe bleu :
La lèvre sur le front de l’adorable femme,
Il étreint tendrement son âme sur son âme,
Sa poitrine se gonfle et son œil est de feu.


Tout son être s’exhale en parfums de candeur,
Il peint timidement son ivresse ingénue,
On dirait un zéphyr échappé de la nue
Et caressant de l’aile une amoureuse fleur.


Son visage est plongé dans un flot de cheveux,
Il est entreprenant à l’ombre de leurs tresses,
On sent passer sur l’eau des frissons de caresses…
Le ruisseau fait un coude… Adieu les amoureux…

DOULEUR