Génie du christianisme/Partie 4/Livre 1/Chapitre X

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Chapitre X - Funérailles. — Pompes funèbres des grands

Si l’on se rappelle ce que nous avons dit dans la première partie de cet ouvrage sur le dernier sacrement des chrétiens, on conviendra d’abord qu’il y a dans cette seule cérémonie plus de véritables beautés que dans tout ce que nous connaissons du culte des morts chez les anciens. Ensuite la religion chrétienne, n’envisageant dans l’homme que ses fins divines, a multiplié les honneurs autour du tombeau ; elle a varié les pompes funèbres selon le rang et les destinées de la victime. Par ce moyen elle a rendu plus douce à chacun cette dure mais salutaire pensée de la mort dont elle s’est plu à nourrir notre âme : ainsi la colombe amollit dans son bec le froment qu’elle présente à ses petits.

La religion a-t-elle à s’occuper des funérailles de quelque puissance de la terre, ne craignez pas qu’elle manque de grandeur. Plus l’objet pleuré aura été malheureux, plus elle étalera de pompe autour de son cercueil, plus ses leçons seront éloquentes : elle seule pourra mesurer la hauteur et la chute et dire ces sommets et ces abîmes d’où tombent et où disparaissent les rois.

Quand donc l’une des douleurs a été ouverte et qu’elle s’est remplie des larmes des monarques et des reines ; quand de grandes cendres et de grands malheurs ont englouti leurs doubles vanités dans un étroit cercueil, la religion assemble les fidèles dans quelque temple. Les voûtes de l’église, les autels, les colonnes, les saints se retirent sous des voiles funèbres. Au milieu de la nef s’élève un cercueil environné de flambeaux. La messe des funérailles s’est célébrée aux pieds de celui qui n’est point né et qui ne mourra point : maintenant tout est muet. Debout dans la chaire de vérité, un prêtre seul, vêtu de blanc au milieu du deuil général, le front chauve, la figure pâle, les yeux fermés, les mains croisées sur la poitrine, est recueilli dans les profondeurs de Dieu ; tout à coup ses yeux s’ouvrent, ses mains se déploient et ces mots tombent de ses lèvres :

" Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires, à qui seul appartient la gloire, la majesté et l’indépendance, est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois et de leur donner quand il lui plaît de grandes et de terribles leçons : soit qu’il élève les trônes, soit qu’il les abaisse, soit qu’il communique sa puissance aux princes, soit qu’il la retire lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, il leur apprend leurs devoirs d’une manière souveraine et digne de lui[1]

" Chrétiens, que la mémoire d’une grande reine, fille, femme, mère de rois si puissants et souveraine de trois royaumes, appelle à cette triste cérémonie, ce discours vous fera paraître un de ces exemples redoutables qui étalent aux yeux du monde sa vanité tout entière. Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines : la félicité sans bornes aussi bien que les misères ; une longue et pénible jouissance d’une des plus nobles couronnes de l’univers. Tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulées sur une tête qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; la rébellion, longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse ; nul frein à la licence ; les lois abolies ; la majesté violée par des attentats jusque alors inconnus, un trône indignement renversé… voilà les enseignements que Dieu donne aux rois. "

Souvenirs d’un grand siècle, d’une princesse infortunée et d’une révolution mémorable, oh ! combien la religion vous a rendus touchants et sublimes en vous transmettant à la postérité !

  1. Bossuet, Orais. fun. de la reine de la Gr. Bret. (N.d.A.)