Aller au contenu

Géographie de la Corse/2

La bibliothèque libre.

II. — Physionomie générale.


« Vue à distance, la Corse est un récif aride et désolé. Ses hautes crêtes n’ont pas en été la réverbération éblouissante des glaciers des Alpes ; des plaines de neige ne couvrent pas d’un voile de gaze blanche l’aspérité de ses rudes contours. Ce sont des murailles effrayantes, taillées à pic ; nulle trace de végétation, nulle verdure. C’est à peine si les forêts, qui s’échelonnent le long de ses flancs décharnés, produisent l’effet de petites taches noires, à côté des reflets lumineux des granits. Les maquis, avec leur flore aux teintes sombres, ne sont à distance qu’une toison rase qui recouvre le dos des collines. Mais dès que l’on a fait quelques pas sur cette terre étrange, dès que l’on a franchi les premiers contre-forts de ses montagnes, on est étonné du contraste qui existe entre l’aspect verdoyant de l’intérieur de l’île et l’aridité qui règne sur ses côtes. Ici les sapins et les laryx représentent la flore septentrionale ; plus loin, des noyers et des châtaigniers couvrent de leur ombre épaisse le cours accidenté d’un petit torrent, et transportent le voyageur dans un coin de l’Auvergne ou du Dauphiné, tandis que les oliviers, les orangers, les citronniers et les figuiers d’Inde, étages au soleil, rappellent quelque site de l’Algérie ou de la Sicile. Mais ce qui caractérise la nature corse, c’est le maquis, mot tiré de l’italien macchie (broussailles). Le maquis est une espèce de fourré impénétrable, formé par un mélange confus de chênes-verts, d’arbousiers, d’alaternes, de lentisques, de bruyères, de lauriers-thyms, de myrtes et de buis ; des touffes de cacalias, de cystes, de romarins, de ronces, de lavandes et de fougères s’y mêlent aux chèvrefeuilles, aux clématites et aux smilax, pour augmenter la confusion et le désordre. Le maquis fut pendant longtemps la retraite favorite du bandit, qui y trouvait l’impunité et de là défiait la gendarmerie.

« La Corse, par la variété de ses découpures, de ses aspects et de sa flore, réserve aux touristes une succession de spectacles comme aucun autre pays ne peut en offrir. On y peut, en quelques heures, passer des cotes accidentées de la Sicile ou de la Grèce, avec leur flore méditerranéenne, aux imposantes forêts de la Suède et de la Norvège ; et depuis les plages sablonneuses jusqu’aux sommets du Monte Cinto, on trouve une série de points de vue bien faits pour attirer l’attention des artistes ou des simples curieux, toujours en quête de nouvelles distractions. » (Charles Raymond[1]).

Quand on étudie une carte de la Corse, il semble, à première vue, que le système orographique de l’île ne forme qu’un chaos de montagnes aux pentes diversement inclinées. Mais un examen plus attentif y fait découvrir une chaîne principale qui forme la charpente de l’île, et à laquelle viennent se relier une multitude de chaînons secondaires. La direction générale de cette chaîne est du nord au sud, et elle divise l’île en deux versants principaux, d’étendue à peu près égale : celui de l’ouest, dont Ajaccio est la principale ville, et celui de l’est, dont Bastia serait naturellement le chef-lieu.

Au nord, on trouve d’abord un long éperon rocheux qui s’avance bien avant dans la mer, et qui vient se rattacher au reste de l’île entre Saint-Florent, à l’ouest, et Bastia, à l’est. Cette partie de l’île s’appelle le Cap Corse. C’est une presqu’île étroite et allongée, qui s’étend sur une longueur de 40 kilomètres environ à vol d’oiseau, et sur une largeur moyenne de 12 à 15 kilomètres. C’est la partie la plus riche de la Corse, grâce à la variété de ses cultures et à l’industrie de ses habitants : une belle route carrossable en fait le tour, de Bastia à Saint-Florent. Presque jusqu’au sommet de la chaîne, les pentes y sont occupées par des jardins et des vignes ; on cultive dans les jardins tous les arbres fruitiers du midi de la France : amandiers, grenadiers, pêchers, pruniers, abricotiers, et, dans les endroits abrités du vent, les orangers, les citronniers et surtout les cédratiers, dont les fruits sont une source de revenus considérables ; sur les coteaux exposés au soleil, les vignes s’étagent en amphithéâtre, mêlées aux oliviers, et produisent l’excellent vin du Cap Corse (V. Agriculture) ; le fond des vallons est occupé par des prairies, des châtaigniers et des noyers. Les villages de cette contrée ont un aspect riant qui atteste l’aisance ; il nous suffira de nommer : San Martino, Brando, Tomino, Rogliano, Luri, Pino et Nonza. Parmi les points principaux de cette chaîne, est la Punta della Torricella (542 mètres), au-dessus de Centuri, près de l’extrémité du Cap Corse ; la chaîne s’élève rapidement, et, au Monte Alticcione, au-dessus de Cagnano, elle atteint 1, 289 mètres ; au Monte Stello, entre Brando et Nonza, 1, 585 mètres ; elle s’abaisse ensuite à la Serra di Pigno (1,110 mètres), entre Bastia et Saint-Florent. Là finit le Cap Corse.

La chaîne s’incurve ensuite vers le sud-ouest. Les sommets principaux sont, en allant vers le sud-ouest : le Monte Grosso (1,861 mètres), le Monte Ladroncello (2,155 mètres), le Monte Vagliorba (2,650 mètres), qui est considéré comme le nœud du système orographique corse. — De nombreuses ramifications se détachent à l’est et à l’ouest de cette chaîne, à partir de Pietralba, et forment de profondes vallées où coulent des torrents. Un premier rameau se dirige à l’ouest


Ajaccio.

sous le nom de Serra di Tenda et a pour point le plus élevé le Monte Asto (1,402 mètres) ; il se continue par le Monte Ruya, et va finir à la côte, près de Serizola. — Un autre, qui a sa racine entre le Monte Ladroncello et le Monte Cinto, se dirige vers le nord-ouest ; ses points culminants sont le Capo alla Mutrella et le Cap Barcalello ; il va finir à la Punta Revellata, à l’ouest du golfe de Calvi. — Un dernier rameau s’écartant de la chaîne un peu au-dessous du Vagliorba, se termine, à l’ouest, à la presqu’île de Girolata, au nord du golfe de Porto ; son point culminant est le Capo alla Madia (1,670 mètres). — D’autres rameaux se détachent vers l’est : un premier, qui part des environs de Lento, va se terminer à Murato ; son point culminant est la Cima dei Taffoni (1,052 mètres) ; — un second part du Monte Ladroncello et va finir à Moltifao ; son point culminant est le Monte Padro (2,457 mètres) ; — un dernier rameau, se détachant au-dessus du Pagliorba, se dirige du sud-ouest au nord-est ; son point culminant est le Monte Cinto (2,816 mètres), point culminant de l’île ; il forme ensuite le Monte Traunato (2,107 mètres), et s’abaisse vers Ponte-alla-Leccia.

La grande chaîne se continue au sud du Monte Vagliorba, et traverse le centre de l’île ; elle prend dans cette partie le nom de chaîne centrale. Ses sommets principaux sont, du nord au sud : le Monte Tafonato (2,515 mètres), le Monte d’Oro (2,655 mètres), au-dessous duquel se trouve la dépression du col de Vizzavona (1,145 mètres), entre Bocognano et Vivario, point culminant de la route d’Ajaccio à Bastia ; le Monte Renoso (2221 mètres) et le Monte Incudine (2,041 mètres). C’est sur cette chaîne ou sur ses contre-forts que prennent naissance les plus grandes rivières de l’île ; elle est couverte de neige pendant une partie de l’année. — De nombreux chaînons se ramifient à l’ouest et à l’est. Citons d’abord, à l’ouest, un rameau qui a pour point culminant la Punta Lincinosa (1,545 mètres), et qui envoie de nombreuses branches entre les golfes de Porto et de Sagone. Un autre rameau, qui a pour point culminant le Monte Cervello, vient finir au-dessus de Murzo, près de Vico. Un troisième, qui se détache du Monte d’Oro, se dirige vers le sud-ouest et a pour point culminant la Punta di Sant’Eliseo ; il vient se terminer au Capo di Feno, au nord d’Ajaccio. Un autre chaînon part du Monte Renoso, et, se dirigeant vers le sud-ouest, a pour point culminant la Punta Serale et va finir à la Fontanaccia, dans le golfe d’Ajaccio. Un dernier rameau se détache du Monte San Giovanni et a pour points culminants le Monte Mantelluccio (1,556 mètres) et la Punta del Ballatoso ; il va mourir au Capo di Muro et au Capo Nero, au sud du golfe d’Ajaccio.

Plusieurs arêtes se détachent à l’est de la chaîne centrale. Un premier rameau, allant du nord-ouest au nord-est, a pour points culminants le Monte Artica (2,440 mètres), qui domine le vaste plateau central du Niolo, et le Monte Conia : il s’abaisse au nord-ouest de Corte, et se relève de nouveau à l’est de cette ville, où il a pour points culminants le Monte Alluraya, le Monte Mufraggia et le Monte Piata. Un autre rameau, incliné dans la direction du sud-ouest au nord-est, a pour point culminant le Monte Rotondo (2,764 mètres). Un troisième quitte la grande chaîne au nord du Monte Renoso et se dirige du sud au nord ; il s’abaisse vers Vezzani et Rospigliani. Citons encore, à l’est du Monte San Giovanni, la Serra del Prato, qui se dirige du sud au nord, et s’abaisse vers Lugo di Nazza et Ghisoni. Le Monte Incudine envoie de nombreuses ramifications dans toutes les directions, mais surtout au sud.

La troisième partie de la chaîne principale part du Monte Incudine, et, se dirigeant du nord au sud, se termine au Monte della Trinità, à l’ouest de Bonifacio. Ses points les plus élevés sont : la Serra della Rena (1,941 mètres) ; le Monte Asinao (1, 825 mètres) ; la Punta della Cava (1, 566 mètres) ; la Punta d’Ovace (1,493 mètres) et le Monte della Trinità (297 mètres).

De nombreux rameaux se détachent à l’est et à l’ouest de cette partie de la chaîne et forment, surtout vers l’ouest, plusieurs vallées très-accidentées. À l’ouest, l’Incudine envoie un prolongement qui a pour points principaux la Punta Furchicciole et la Punta Boturetto ; il va finir à la côte près de Porto Pollo.

Comme on le voit, la grande arête dont nous venons de parler établit une séparation absolue entre les versants occidental et oriental. Quelques cols (foci, bocche), assez éloignés l’un de l’autre, permettent la communication entre les deux versants ; ce sont : le col de San Leonardo (966 mètres), au Cap Corse, entre la commune de San Martino di Lota et celle d’Olmeta ; le col de Tighime (538 mètres), point culminant de la route de Bastia à Saint-Florent ; le col de Vergio (1,552 mètres), entre la forêt d’Aitone et celle de Valdoniello ; le col de Vizzavona (1,145 mètres), entre Bocognano et Vivario, point culminant de la route d’Ajaccio à Bastia ; le col de San Giorgio (661 mètres), qui sépare la vallée du Prunelli de celle du Taravo, entre Cauro et Grosseto ; la foce dell’Incudine (2,015 mètres), entre la vallée du Travo et celle du Rizzanese : c’est le col le plus élevé de la Corse.

Le périmètre de l’île de Corse ne présente pas partout le même caractère. Sur la côte orientale, les atterrissements des nombreux torrents qui se déversent dans la mer ont fini par combler les anses et les golfes, et par effacer ou atténuer les caps ; c’est une rive basse et sablonneuse, parsemée d’étangs et de marais. On ne trouve sur cette côte que le port de Bastia, le golfe de Porto-Vecchio, l’un des plus beaux et des plus sûrs de la Méditerranée, et le golfe de Santa Manza. La côte occidentale, au contraire, présente de nombreuses sinuosités, de profondes échancrures qui forment de magnifiques rades, des golfes profonds et sûrs, des ports spacieux et des caps d’une merveilleuse hardiesse. On y remarque, en partant du Cap Corse : le golfe de Saint-Florent, qui vaut la rade de Toulon ; le golfe de Calvi ; ceux de Galeria, de Girolata, de Porto, de Sagona, d’Ajaccio, de Valinco, et la crique de Bonifacio.

Pour expliquer la différence d’aspect des deux parties du


Bastia.

littoral corse, M. l’ingénieur Conte Grandchamps s’exprime

ainsi : « La Corse est formée de deux systèmes de montagnes : l’un transversal, dont les sommets s’élèvent à 2,800 mètres au-dessus de la mer, se dirige du nord-ouest au sud-est ; l’autre, longitudinal, occupe la partie orientale du nord au sud. Le premier se compose de roches granitiques ; le second, de terrains stratifiés, altérés par de nombreuses éruptions de serpentine. Sur la côte occidentale, les cours d’eau, renfermés chacun entre des crêtes très-élevées, aboutissent à la mer et suivent des directions presque parallèles. Sur le versant oriental, au contraire, les eaux du système transversal sont gênées dans leur écoulement vers la mer par les montagnes du second système… Tandis que la côte orientale est unie et sablonneuse, la côte occidentale est escarpée et se découpe en golfes profonds. La composition géologique des roches de chaque système de montagnes produit cette différence. Les terrains stratifiés du système longitudinal se décomposent plus rapidement que les terrains granitiques du noyau central ; leurs débris, entraînés par les eaux, ont formé sur la côte orientale une longue plaine dont la largeur varie de 5 à 10 kilomètres. Sur la côte occidentale, les débris, moins abondants, des terrains granitiques, sont emportés dans la mer plus profonde où plonge le versant de l’ouest. »


  1. V. le vol. de l’Itinéraire général de la France intitulé : Provence, Alpes Maritimes, Corse ; par Adolphe Joanne.