Galantes réincarnations/04

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 80p. 12-15).
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iv


Je me demandais souvent, lorsque j’étais femme : quel plaisir peut-on prendre à être puce ? Hélas ! un moment vint où je pus répondre à cette étrange question. Je me vis, ayant expiré comme clysopompe, devenir une gracieuse bestiole, grosse comme un grain de macouba ; et je sautais dans la toison serrée et fine d’un joli chat d’appartement.

L’avouerais-je, me sentir douée de vie et agile comme un rayon de soleil, me consola dans mon malheur, Une puce, c’est bien peu, quand on fut femme et mieux : amante d’un grand prince, Mais c’est pourtant plus que de se connaître un simple objet sans mouvement, une de ces matières inanimées dont a fait à volonté, ceci, cela ou autre chose. C’est supérieur même à un de ces instruments qu’on peut soumettre à toutes les humiliations. Car enfin, je m’en apercevais à ce moment-là, juchée sur la tête plate du chat qui formait mon logis : le rôle précédent joué par moi n’avait, en vérité, rien de si honorable. Je m’y étais complue, pour des raisons subtiles, et parce que je n’avais pas encore dévêtu tout à fait mon âme de femme pour qui tout de son corps est noble et charmant. Mais le service que, clysopompe, j’avais commencé de rendre restait pourtant sans beauté. Enfin, n’y pensons plus ! Me voilà puce, jolie puce, charmante puce, de couleur châtaigne, rapide et preste, et je suis prise du vertige des voyages, tant mes précédentes immobilités m’avaient pesé.

Je parcourus ainsi tout mon chat. Je le visitai de la queue, qu’il portait longue et touffue, au museau, sur lequel il passait souvent une patte souple et chatouilleuse. Je l’inspectai partout, et, mon enquête faite, j’en vins à songer que telle exploration ne suffit point à remplir la vie d’une puce. Nous avons sans doute, nous aussi, des Amériques à découvrir…

Soudain, comme je méditais, balancée délicatement sur un poil de moustache, et rêvant de terres lointaines, on entra dans le boudoir où songeait silencieusement le chat, mon domicile et mon domaine. Ce fut une charmante demoiselle qui parut, toute rose d’avoir couru, j’imagine. Elle empoigna aussitôt le charmant animal, ma propriété, et le leva en l’air en criant :

— Bonjour, minet !

Peu s’en fallut même que je ne tombasse de la moustache et Dieu sait ce qui me serait advenu, mais je me rattrapai, après une cabriole, aux pattes de ma demeure forestière, et pestai contre les fillettes sans vergogne.

Cependant la survenante caressait aussi l’échine du chat qui se mit à ronronner. Je ne sais si vous êtes comme moi, mais je déteste cette musique. Elle est banale et sans douceur. Bref, je fus si tôt exaspérée, que, choisissant un moment favorable, je sautai sur le bras de la jeune fille, de là sur son corsage. Alors, je trouvai un orifice par lequel je gagnai sa peau et, m’y croyant en sûreté, m’arrêtai pour respirer.

Je dois le dire, les paysages que je voyais là me parurent neufs. Toutefois, les cachettes y restaient rares. Et la nécessité d’en trouver une se manifesta tout de suite, car l’enfant, qui m’avait entr’aperçue, quitta son ami le félin-orgue, et courut dans la maison en criant :

— Maman, j’ai attrapé une puce !

Elle vint ainsi à une vaste chambre où, couchée, une belle dame somnolait, qui dit :

— Suzon, va-t’en, si tu me la donnais, ta puce ?

L’adolescente rétorqua :

— Oh ! toi, tu la trouverais vite, mais moi j’ai peur de ces bêtes-là…

La mère fut certes émue. Elle consentit donc à garder son enfant empucée, mais afin de conserver aussi sa quiétude, elle ordonna :

— Je vais te la tuer ta puce. Déshabille-toi !

Ainsi ma vie se trouvait soudain menacée. Ah ! maudit m’apparut le moment où j’avais quitté la toison de mon ami chat, pour obéir à cette rage voyageuse qui me plaçait maintenant en terrain découvert, risquant la mort sans pardon. Je voulus gagner le lit et, de la jeune fille, fis un bond magnifique, une sorte de record du monde. Sitôt sur les draps, je me faufilai dans un repli et voulus attendre sans faire parler de moi.

Par malheur, on m’avait vue. Poursuivie, parmi les cris de mes chasseresses, je me ruai de-ci, de-là, essoufflée et désespérée, sentant ma fin prête, jusqu’au moment où, presque saisie, je me dérobai dans la chemise de la maman qui poussait des cris aigus.

Là, je n’aurais pu vraiment éviter de succomber si, oh bonheur ! je n’avais mis, oserais-je dire, la main sur une petite réduction intime, une sorte d’échantillon de la fourrure dans laquelle, sur mon chat, je m’étais trouvée jusque là si heureuse. Alors, immobile et bien cachée, j’attendis la fin du pourchas.

Peut-être eussé-je évité les malencontres qui vont suivre, si la maman que j’avais envahie fût restée avec sa fille, car je remarquai bien qu’en présence de l’adolescente elle cessait de me quérir au lieu sagement protégé que j’avais élu.

Hélas ! trois fois hélas ! à ce moment-là entra l’époux. Il embrassa, à ce que je compris, sa progéniture et l’expédia illico, puis…

Puis quelques minutes après, alors que je m’y attendais le moins, je me sentis à demi broyée, comme si j’étais entre un marteau et une enclume. Je voulus fuir, trop tard ! Au troisième coup d’assommoir, ma vie s’évapora et je me retrouvai à la disposition du diable qui devait à nouveau ne pas me rater…