Galehaut, sire des Îles Lointaines/17

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 152-154).


XVII


Le soir de ce même jour, il fut coucher avec ses écuyers chez l’hermite de la Ronde Montagne ; et, le lendemain, il vainquit un chevalier, nommé Belinan des Îles, qui gardait le pont Norgallois, et pénétra dans le Sorelois. Seuls avant lui, le roi Artus, le roi Ydier, Dodinel le Sauvage et Mélian du Lys avaient ainsi passé par force. On inscrivit son nom à la suite des leurs sur une table de pierre.

Le lendemain parut un chevalier qui semblait de grande défense et qui se mit en devoir de franchir le pont. Tout aussitôt, messire Gauvain s’adressa à lui. Les lances étaient fortes et les hauberts bien maillés, de manière que les arçons cassèrent, que les sangles rompirent et que les deux champions se portèrent à terre, sans que l’un eût ainsi l’occasion de railler l’autre ; mais ils n’y demeurèrent guère : ils firent briller leurs épées nues, et vous les eussiez alors regardés volontiers, tant leur prouesse était belle. En peu de temps, ils mirent en pièces leurs écus, leurs heaumes et leurs hauberts, et ruisselèrent de sang ; mais cela ne les rendait que plus orgueilleux l’un envers l’autre. Et la bataille dura jusqu’à none de la sorte ; alors ils se trouvèrent las au point que les épées leur tournaient dans la main et qu’il leur fallut se reposer.

Messire Gauvain s’écarta un peu et essuya sa bonne épée Escalibor, tandis que l’inconnu redressait son heaume, qui avait un peu tourné parce qu’un des lacets s’en était rompu ; puis tous deux se regardèrent.

— Sire, dit messire Gauvain, je vous prie par courtoisie de me dire votre nom, car je n’ai jamais trouvé un chevalier que je désire autant de connaître que vous.

— Sire, vous êtes si prud’homme que je vous l’apprendrai volontiers : on m’appelle Hector des Mares. S’il vous plaît, je vous prie de me faire connaître le vôtre.

— À nul homme jamais il ne fut celé : je suis Gauvain, le neveu du roi Artus.

À ces mots, Hector jette promptement son écu à terre et s’agenouille devant monseigneur Gauvain en le priant de lui pardonner. Mais l’autre le prit par la main et le mena à la tour du pont, et là il voulut à toute force que le nom d’Hector fût inscrit à la suite du sien sur la table de pierre. En vain le bon chevalier s’en défendit : messire Gauvain prétendit qu’il s’était avoué outré en s’arrêtant le premier.

Le lendemain, ils se mirent en chemin de compagnie pour l’Île perdue, où ils apprirent que Galehaut séjournait auprès de Lancelot. Et s’ils y eurent bel accueil, il ne faut pas le demander. Mais, au bout d’une semaine, le sire des Îles lointaines et son ami dirent qu’il leur fallait se rendre secrètement à l’armée que le roi Artus assemblait contre les Saines en Écosse.

— Que ferai-je ? demanda messire Gauvain. Car j’ai juré de n’entrer dans aucune des maisons de monseigneur le roi sans apporter des vraies nouvelles de Lancelot.

Galehaut lui répondit qu’il en serait quitte pour n’y point entrer devant que la guerre fût terminée : alors Lancelot se ferait reconnaître. À quoi messire Gauvain s’accorda volontiers, et les quatre chevaliers partirent sous des armes déguisées, avec Lionel.