Galehaut, sire des Îles Lointaines/28

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Plon-Nourrit et Cie (2p. 194-196).


XXVIII


Peu après Pâques, Galehaut partit pour Camaaloth avec Lancelot et tout son baronnage. Le roi Artus leur fit très bel accueil : les hauts hommes furent logés dans la ville ; mais on dut dresser des tentes alentour, dans les prés, pour les chevaliers. Et c’était la veille de la Pentecôte. Le lendemain, après manger, les hommes d’Artus et ceux de Galehaut commencèrent de jouter dans un pré dessous la ville, mais à la lance émoussée et à l’écu seulement, sans plus d’armure.

Lancelot montait un destrier de six ans qu’on nommait Queue d’Agache, taché comme une pie, plus blanc que neige et plus rouge que braise, si fort qu’il aurait porté un carré de fer, si courant qu’il eût dépassé le faucon ou la flèche, et qui tirait à la main de telle façon que le chevalier était souvent emporté outre sa volonté ; mais il abattait tous ceux qu’il rencontrait. Méléagant l’attaqua, et tous deux brisèrent leurs lances au ras du poing, mais leurs chevaux se heurtèrent et le fils du roi Baudemagu n’eut sangle, ni arçon, ni harnais de poitrail si forts qu’ils ne rompissent : il fut porté à terre, la selle entre les cuisses. Après quoi Lancelot continua de jouter.

Méléagant s’était remis debout, car il n’était pas blessé. Il demanda traîtreusement à ses écuyers une lance à fer aiguisé, monta sur un autre destrier et s’adressa de nouveau à Lancelot, visant bien où il le frapperait : ce fut à la cuisse, au-dessous de l’écu ; le fer traversa la jambe et se brisa sur l’arçon d’arrière. Et le sang coula jusque sur l’herbe.

Galehaut n’était pas à la joute. Mais, en voyant la blessure de Lancelot, ses gens se hâtèrent de jeter leurs lances et leurs écus, tant ils redoutaient le courroux de leur seigneur. Et le roi Baudemagu, qui craignait que Galehaut ne voulût prendre vengeance de la félonie de Méléagant, fit sur-le-champ partir son fils pour son pays. Déjà la nouvelle était parvenue au palais ; on dit à la reine que Lancelot avait été navré en plein corps : aussitôt elle tomba pâmée, et si rudement qu’elle se fit une plaie à la tête. Le roi, cependant, s’empressait d’aller au-devant du blessé.

— Sire, s’écria Lancelot, pour Dieu, n’en dites mot à Galehaut, car il se chagrinerait ! Je n’ai plaie qui me nuise.

Tous deux gagnèrent le palais et montèrent aux chambres de la reine, à qui le roi étonné demanda comment elle s’était ouvert le front.

— C’est en descendant d’une fenêtre où j’étais assise ; mais ce n’est rien.

Et elle feignit d’être surprise et d’apprendre seulement que Lancelot venait d’être navré à la cuisse. Alors le roi la pria de le garder quelques jours et de le faire panser. C’est ainsi que, durant deux semaines, les mires soignèrent le bon chevalier chez la reine, et certes il n’était pas pressé de se trouver guéri. Galehaut, qui avait renvoyé ses gens en leur pays aussitôt après le tournoi, croyait que Lancelot faisait courir le faux bruit d’une blessure afin de rester auprès de sa dame. Mais le conte laisse maintenant ce propos, voulant dire ce qui advint de la demoiselle et de Bertolai le vieux.