Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome I/V/5

La bibliothèque libre.
Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (Ip. 335-378).
LIVRE CINQUIÈME.


des organes alimentaires et de leurs annexes (suite).


Chapitre ier. — Sujet du livre. — L’auteur se propose d’abord de rechercher si la nature a choisi la meilleure place pour y insérer la veine porte et le canal cholédoque.


Examinons maintenant quel trajet la nature devait préférablement faire suivre à la grande veine (veine porte) qui naît du foie (voy. chap. ii, p. 281) et qui reçoit toutes les veines du mésentère ; car cette même veine devait sans doute recevoir aussi celles de l’estomac et de la rate. Il en faut dire autant de l’artère qui naît, disions-nous (chap. xi, p. 302, et les notes), de la grande artère de l’épine (aorte). De même les conduits[1] qui partent de la vésicule attachée au foie et qui sont destinés à évacuer la bile, devaient, je pense, eux aussi aboutir, non à un point quelconque de l’estomac, ou des intestins, mais à l’endroit le plus sûr pour eux-mêmes, et le moins affecté de la présence de semblables excréments. Il nous reste à examiner si nous trouverons quelque endroit préférable que la nature aurait négligé, pour donner à chacun des conduits dont nous venons de parler une place moins bonne et moins sûre.


Chapitre ii. — La veine porte, l’artère et les nerfs et le canal hépatiques, doivent nécessairement aboutir au foie par le même point (sillon transversal). — La veine porte devait pénétrer dans le foie non par des rameaux multiples, mais par un tronc unique. — Principes généraux sur la division des artères et des veines, et sur leurs connexions. — Le pancréas est destiné à maintenir en place et à protéger contre toute lésion les vaisseaux des organes alimentaires situés dans l’abdomen.


Commençons notre examen par cette question : Valait-il mieux que la nature, créant un grand nombre de veines, les conduisît d’un grand nombre de points du foie vers chacune des parties sous-jacentes, ou bien que, choisissant dans le viscère un point unique convenable, elle en fît dériver une grande veine pour en tirer ensuite les autres veines, comme des branches d’un tronc ? Ce dernier choix me semble le meilleur. Non-seulement il n’était sûr ni pour des veines destinées à un long trajet, d’être dès le principe constituées par des filets si minces, ni pour le foie d’être percé d’un si grand nombre de vaisseaux ; mais, pour ce viscère, il valait mieux être revêtu d’une forte tunique et ne donner passage en tout qu’à deux veines considérables, en haut la veine cave, en bas la veine qui est aux portes (veine porte)[2].

Puisqu’il était préférable que cette dernière veine fut unique, cherchons maintenant quels étaient pour elle le meilleur trajet et la meilleure distribution. Il me semble qu’arrivant entre l’estomac et les intestins, elle devait, comme elle le fait, se distribuer dans ces viscères. En descendant plus bas elle se fut beaucoup éloignée de l’estomac ; en remontant plus haut, d’abord elle s’écartait des intestins, de plus il y avait danger pour elle à reposer sur l’estomac, organe qui change continuellement de forme, tantôt se dilatant extrêmement, quand il est rempli d’aliments, et tantôt s’affaissant, quand il est vide. Donc, pour assurer à la fois une égale répartition des veines dans les organes de la nutrition, et une position solide au vaisseau qui descend du foie, il fallait que ce vaisseau amené entre l’estomac et les intestins, fut appuyé sur les vertèbres [dorsales] qui sont placées en dessous (en arrière). Mais il n’était pas bon que la veine occupant une certaine place, l’artère qui se ramifie en même temps qu’elle et qui doit se distribuer à tout le mésentère (A. mésentérique supér.) en occupât une autre[3]. Partout, en effet, à moins d’obstacle supérieur, la nature ramifie les artères en même temps que les veines, afin, d’un côté que les membranes qui protègent les veines et les attachent aux parties voisines servent également aux artères, et de l’autre qu’il y ait communauté d’action entre les vaisseaux et échange des matériaux qu’ils charrient. Cette proposition a été démontrée ailleurs[4].

C’est de cette même artère que la nature devait faire partir le rameau du foie[5] ; quant au nerf (plexus cœliaque et mésentérique confondus) qui se ramifie en même temps que l’artère et la veine dans tout le mésentère, il fallait aussi le faire commencer immédiatement en même temps que ces deux vaisseaux. Et, certes, le rameau que ce nerf envoie au foie (plexus hépatique, formé par le plexus cœliaque, et le pneumo-gastrique) ne pouvait partir d’un lieu plus sûr. Nous démontrerons un peu plus loin (voy. chap. iv, init.) que les conduits, qui sont chargés d’évacuer le résidu bilieux contenu dans la vésicule attachée au foie, devaient être établis au même lieu. Si donc il fallait que l’artère, la veine, le nerf et en quatrième lieu le vaisseau cholédoque aboutissent ensemble au même point du foie (sillon transversal)[6], il est évident que le commencement de leur division devait se trouver dans cet endroit même.

Or, tout vaisseau est très-exposé là où il se divise, et si quelque mouvement violent doit lui occasionner une lésion, elle surviendra le plus promptement dans le lieu où il se bifurque. Ce lieu réclamait donc une grande protection pour la sûreté des vaisseaux qui s’y distribuent et s’y ramifient. La nature, qui le savait, a créé un corps glanduleux appelé pancréas[7], qu’elle a placé sous eux comme un lit et dont elle les a environnés ; elle a comblé de la substance de ce corps les divisions des vaisseaux, de façon qu’aucun d’eux ne se divise trop aisément et ne soit privé de soutien : tous, au contraire, reposent sur une substance molle, qui cède dans une juste mesure, et en cas d’un mouvement un peu violent, retombent non sur un corps dur et résistant, mais sur un corps qui les reçoit doucement, où s’amortit peu à peu la violence de la commotion, et qui les préserve à jamais de toute lésion, meurtrissure ou brisure. La nature a revêtu non-seulement chaque vaisseau séparément, mais tous les vaisseaux ensemble, de fortes membranes qui les protégent et les rattachent non pas à la glande seule, mais en premier lieu et principalement aux organes placés au-dessous d’eux le long de l’épine, et en second lieu à tous les autres organes voisins.

Mais la nature n’eût rien accompli convenablement en cet endroit si elle n’y eût ménagé un vaste espace. Car si le jéjunum eût été attaché au fond même de l’estomac (τῆς κοιλίας), les circonvolutions qui sont propres à cet intestin n’auraient pas peu rétréci la place.

Chapitre iii. — Le duodénum est disposé de telle façon qu’il laisse une place libre pour les vaisseaux du foie, de l’estomac et des intestins. — Il y a des parties qui sont créées dans un but déterminé ; il y en a qui n’ont par elles-mêmes aucune utilité, mais qui sont faites en vue de celles qui ont un but. Exemple tiré du jéjunum, qui n’a point d’utilité propre, mais seulement une utilité secondaire, accidentelle. — Des conditions qui favorisent sa fonction, laquelle consiste à distribuer l’aliment au foie.


Dans cette prévision la nature n’a pas fait décrire immédiatement des circonvolutions au premier de tous les intestins (duodénum (voy. p. 289, note 1, et p. 341, note 1 et 2)), à celui qui est attaché à l’estomac (τῇ γαστρί), mais elle l’a prolongé le long de l’épine autant qu’il fallait pour laisser aux corps sus-nommés un espace suffisant. L’intestin qui vient après, se replie et se contourne ; cette partie des intestins est appelée jéjunum, parce qu’on la trouve toujours vide, et qu’elle ne contient jamais la moindre parcelle de nourriture. Quant à l’intestin dénué de replis pour la raison que nous venons de dire, et qui est placé entre le jéjunum et le fond de l’estomac, l’habitude des anatomistes est de le nommer prolongement (ἔκφυσις) vers les intestins[8], en sorte qu’après l’estomac, voici la suite des organes qui reçoivent les aliments, d’abord le prolongement (duodénum), ensuite le jéjunum, puis l’intestin grêle[9], (ileum), le cæcum, le colon et enfin le rectum, à l’extrémité duquel sont les muscles constricteurs qui retiennent les excréments.

Quant à l’utilité que l’animal tire de la structure de tous ces intestins, il est évident déjà que nous l’avons signalée : celle du duodénum est indiquée dans le présent livre, et dans le livre précédent celle de toute la différence qui existe entre l’intestin grêle et le gros intestin (IV, xvii, et surtout xviii).

Si quelque fait paraissait omis, on trouvera ou bien que ce fait doit s’expliquer par le même raisonnement que les faits précédents, de telle sorte que, même sans explication spéciale de notre part, on reconnaîtra aisément qu’il est une conséquence de l’explication qui précède ; ou bien que sans présenter à l’animal aucune utilité, il est une conséquence nécessaire de l’existence d’organes créés dans un but déterminé[10] ; c’est ainsi qu’est le jéjunum [par rapport aux autres intestins]. Mais nous démontrerons un peu plus loin qu’il n’est pas tel qu’il est en vue d’une utilité propre, et qu’il est fait seulement en vue des organes utiles par eux-mêmes. Si au lieu de trouver soi-même par la réflexion ce qu’on peut facilement déduire de mes raisonnements, on attendait de moi tous les détails, l’exposition actuelle serait entravée par des longueurs infinies ; on en pourra juger par ce court échantillon :

Nous venons de dire en effet, à propos du prolongement (duodénum) qui se dirige vers l’intestin grêle, que ce prolongement, s’étendant le long de l’épine, ne doit pas immédiatement faire de replis avant d’avoir laissé une place pour les parties auxquelles il convient d’être situées entre l’estomac et le jéjunum ; eh bien, viendra-t-on m’accuser d’avoir omis ce qu’on trouve développé dans Érasistrate ? — Le prolongement vers l’intestin est situé à droite et tourné vers l’épine.

Pourquoi, dira-t-on, [situé à droite] et tourné vers l’épine ? La raison du premier fait a été donnée dans le livre précédent[11] ; le second n’a pas nécessairement besoin d’une explication particulière, car nous avons déjà répété des millions de fois que la nature ne laissait rien sans appui (Cf. p. ex. II, vii, in fine, et V, ii, p. 338). S’il en est ainsi, il était évident qu’elle n’aurait pas laissé suspendu ce prolongement du fond de l’estomac, mais que le dirigeant vers l’épine [jusqu’à la quatrième vertèbre lombaire], elle lui donnerait d’abord là un soutien solide (tissu cellulaire qui le fixe à la colonne vertébrale) et ensuite le rattacherait par des ligaments membraneux aux parties voisines (ligaments hépatico-duodénal, et duodéno-rénal formés par les replis du péritoine).

Certaines parties ne présentent aucune utilité et sont faites comme une conséquence nécessaire d’autres parties, ou plutôt ce ne sont pas des parties mais des accidents (des conséquences, συμπτώματα) : vous en trouvez un exemple dans le jéjunum ; dans le livre précédent (chap. xvii) il a été démontré combien était utile la naissance de cet intestin en tant qu’intestin grêle, tandis qu’il n’est pour l’animal d’aucune utilité [directe] en tant que vide de tout aliment ; mais il est la conséquence nécessaire de certaines autres choses qui tiennent le premier rang et qui existent en vue d’un but. Voici les choses dont le jéjunum est la conséquence (c’est-à-dire les raisons pour lesquelles il existe tel qu’il est) : De tous les intestins[12], le jéjunum, reçoit le premier l’aliment réduit en liquide (χυλωθεῖσαν) et cuit dans l’estomac ; il est placé près du foie, il reçoit les orifices de nombreux vaisseaux (ramifications des vaisseaux mésentériques supérieurs) ; un peu au-dessus, les conduits cholédoques viennent verser l’excrément bilieux dans le prolongement de l’estomac (le duodénum). C’est de ce premier intestin (c’est-a-dire du jéjunum)[13] que le foie encore vide tire son aliment. De toutes ces dispositions les unes favorisent la distribution plus rapide de l’aliment, les autres activent la force de propulsion[14].

D’un côté, en effet, comme le jéjunum est muni d’un grand nombre de vaisseaux, qu’il est situé près du foie, qu’il reçoit le premier les aliments cuits et qu’il les envoie au foie encore vide, la distribution qui s’opère par cet intestin est abondante et rapide ; de l’autre, comme il est voisin du lieu où tombe dans l’intestin le premier excrément biliaire, l’énergie de son action en est augmentée. Car l’absorption s’accomplit par les veines plus vite si les veines sont nombreuses que si elles le sont peu, si elles remontent au foie en faisant un court trajet que si elles en font un long, si elles puisent des aliments abondants et utiles plutôt que des aliments dépourvus de ces qualités, enfin si elles apportent la nourriture au foie vide plutôt qu’au foie déjà rempli. La puissance d’action des intestins s’augmente quand la bile n’est pas encore mêlée aux excréments, mais circule pure dans les tuniques des intestins, les stimule et provoque leur faculté d’expulsion. Quand l’intestin envoie l’aliment avec une grande énergie, et que le viscère fait pour recevoir cet aliment le saisit promptement, il doit nécessairement marcher assez vite pour ne pas s’attarder dans le viscère et n’y pas séjourner, mais pour le traverser seulement et encore rapidement. Comme l’intestin ne reçoit pas l’aliment toujours réduit en liquide au même degré, que le foie ne l’attire pas avec une égale énergie, que la bile en s’écoulant ne présente ni la même abondance ni la même qualité, par conséquent le nombre des circonvolutions vides des intestins ne se trouve pas toujours égal chez tous, mais plus chez les uns et moins chez les autres ; il est donc évident que la vacuité même des premières circonvolutions est sans but spécial et qu’elle est la conséquence nécessaire de dispositions prises dans un but.

Aussi ne faut-il pas attendre que nous expliquions toutes choses. On se rendra compte des unes en s’appuyant sur nos propres développements, comme nous le disions tout à l’heure à propos de la direction que prend vers le rachis le prolongement de l’estomac (duodénum) ; pour les autres, on doit admettre qu’il ne sont pas du ressort de ce traité. En effet nous expliquons dans ce traité non pas les choses qui sont la conséquence nécessaire de celles qui ont un but déterminé, mais celles qui ont été créées par la nature dans un dessein primitif.

Chapitre iv. — Utilité de l’insertion du canal cholédoque au duodénum : la bile sécrétée dans cette première partie de l’intestin contribue puissamment à expulser les matières phlegmatiques qui s’y accumulent, et dont la surabondance cause de très-grands désordres. — Faits pathologiques et thérapeutiques qui prouvent à la fois la nocuité des superfluités phlegmatiques, et les heureux résultats de la présence de la bile. — Pourquoi une partie du canal cholédoque ne s’insère-t-elle pas à l’estomac, qui lui aussi contient des matières phlegmatiques ? Galien répond : La présence de la bile dans l’estomac eût causé de graves accidents, vu la sensibilité exquise de ce viscère ; de plus, elle eût trop activé la sortie des aliments ; il est facile, d’une part, à l’aide d’agents introduits par la bouche dans l’estomac, d’évacuer ce phlegme, ce qu’on fait beaucoup plus difficilement par les intestins ; d’une autre, il importe que les aliments séjournent dans l’estomac pour être suffisamment cuits. — À ce propos, Galien compare les règles que suivent l’homme et la nature dans la recherche de l’utile. — Sage précepte des anciens médecins relatif aux vomitifs périodiques. — La bile une fois versée dans les intestins n’est plus reprise dans l’économie animale ; d’un autre côté, quand elle est répandue dans le corps, elle n’arrive plus dans les intestins ; la preuve en est dans la couleur des matières excrétées dans l’ictère. — La nature n’a pas agi avec moins de sagesse dans la production des voies d’excrétion de la bile noire que la rate n’a pas pu élaborer entièrement. — Comparaison des qualités de la bile noire avec celles de la bile jaune.


Écoutez la suite de cette exposition sans oublier jamais ce que je viens de dire. Je vais commencer par démontrer, au sujet de l’excrément bilieux, car j’avais ajourné cette démonstration (chap. ii), que le mieux était qu’il s’écoulât dans le prolongement de l’estomac (duodénum). Que la route la plus courte fût préférable pour le conduit même de l’excrément (canal cholédoque), appelé ainsi à participer promptement aux avantages préparés par la nature pour la sûreté des vaisseaux qui aboutissent à cet endroit, je pense que c’est là un fait évident pour ceux qui ont écouté attentivement les considérations précédentes (IV, xx et V, ii).

Si l’on veut comprendre que cette disposition était préférable aussi pour les organes qui doivent recevoir cette bile, il suffit de savoir quelle quantité d’humeurs phlegmatiques (mucosités) il s’y forme inévitablement. Dans mes Comment. sur les facultés naturelles (II, ix) j’ai discouru avec exactitude et suffisamment sur la production de ces humeurs, appuyant mon dire par des démonstrations appropriées. Qu’il naisse une quantité d’humeurs semblables, c’est un fait que nous mentionnons en passant ; il s’agit maintenant d’en tirer des arguments pour établir ce que nous avions à dire. Avez-vous parfois rencontré un homme repoussant les substances nutritives, vivant dans une abstinence effrayante, ayant des nausées s’il était contraint de manger, ne recherchant que les choses acides qui, loin de lui réussir, provoquaient le gonflement, la distension du ventre et des nausées, n’étant soulagé un peu que par les éructations, enfin chez qui les aliments mêmes se corrompaient parfois dans l’estomac, surtout en devenant acides ? Si vous avez rencontré un tel homme et que vous n’ayez pas oublié comment il a été guéri, vous donnerez, je pense, votre assentiment à ce que je vais dire ; si vous n’en avez jamais rencontré, je rapporterai le mode de traitement employé avec succès pour les personnes affligées de cette maladie.

Pour vous, si vous recherchez la vérité, prenez votre jugement pour contrôle de mes paroles ; lisez les remèdes inventés et décrits par les médecins, ayant pour base du traitement l’expulsion hors de l’estomac du phlegme, matière visqueuse par nature et qui, dans des affections de cette espèce, le devient beaucoup plus encore par son séjour prolongé dans un endroit si échauffé. Quant à moi, j’ai vu un de ces malades vomir une quantité incroyable de phlegme très-épais, après avoir pris des raiforts infusés dans du miel et du vinaigre, et se trouver à l’instant guéri complètement, bien que depuis trois mois il souffrît de l’estomac et que ses digestions se fissent mal. J’ai démontré ailleurs (Fac. nat., II, ix), je l’ai dit, que la production d’un résidu semblable dans l’estomac (ἐν τῇ κοιλίᾳ) et les intestins était nécessaire. Cette production est prouvée par la dissection et par les affections quotidiennes qu’engendre chez l’homme la surabondance de semblables superfluités. La seule guérison est dans un remède capable de diviser, de séparer, de balayer ces matières épaisses et visqueuses. La nature, dès le principe, a ménagé un bon remède dans ce suc âcre et détersif dont il fallait complétement débarrasser le corps, en le versant non dans l’intestin voisin de l’anus, mais dans le premier prolongement de l’estomac (le duodénum)[15], afin qu’aucun des intestins suivants n’eût besoin d’un secours étranger. Aussi longtemps que tout se passe bien dans l’économie animale, elle est chaque jour débarrassée de l’excrément phlegmatique. Mais s’il s’en accumule davantage par suite d’une mauvaise disposition du corps, les médecins les plus distingués déclarent qu’il en résulte des iléus, des lienteries, des ténesmes, maladies les plus graves qui peuvent affecter l’estomac (γαστέρα) et les entrailles. Ce n’est donc pas un médiocre, ni un fortuit auxiliaire de la santé que la nature a ménagé aux animaux dans l’insertion si opportune du conduit de la bile.

Pourquoi n’a-t-elle donc pas inséré une partie de ce canal dans l’estomac même qui lui aussi engendre une quantité assez considérable de semblables excréments ? Vous n’en admirerez que davantage, je pense, sa prévoyance. Pour nous, nous recherchons inconsidérément l’utile, même quand il se trouve plus nuisible en certaines choses qu’avantageux dans celles que nous désirons. Mais dans aucune de ses œuvres la nature n’agit inconsidérément, ni ne préfère, par paresse, de grands maux à un moindre bien ; pour chaque chose jugeant le degré convenable avec une parfaite mesure, elle crée toujours le bien dans une proportion beaucoup plus large que le mal. Assurément, si cela était possible, le mal n’aurait aucune part dans la disposition de tous ces détails ; mais comme les choses sont établies (car il n’appartient à aucun art d’éviter complètement les inconvénients de la matière, et de créer une œuvre semblable au diamant et entièrement à l’abri d’altérations), il ne lui reste qu’à doter cette matière des attributs qu’elle comporte ; or ces attributs diffèrent selon la matière elle-même (cf. III, x, p. 261-3). Les astres sont certainement constitués d’une autre substance que nous-mêmes ; nous ne saurions donc réclamer l’invulnérabilité des astres, et accuser la nature en voyant quelque élément pernicieux mêlé à des milliers d’éléments utiles ; nous devrions prouver d’abord qu’il était facile d’éviter cet inconvénient sans jeter le trouble et la confusion dans beaucoup d’éléments heureusement combinés ; alors nous serions en droit de blâmer la nature et de l’accuser de négligence.

Si la bile jaune en pénétrant dans l’estomac ne devait pas y causer de grands dommages, la nature aurait eu tort de négliger l’emploi utile d’une humeur qui chaque jour nous eût débarrassés des superfluités visqueuses. Mais si cet avantage est si mince qu’il puisse être aisément suppléé par un auxiliaire du dehors, tandis que les accidents occasionnés par la bile eussent été capables de détruire entièrement la fonction de l’estomac, je ne conçois pas comment on serait assez ingrat envers une nature pleine de prévoyance à notre égard, assez avare de justes éloges pour lui distribuer non la louange, mais le blâme. Qui donc ignore que la bile jaune est notablement âcre, mordante, et qu’elle exerce encore sur toutes les parties une action détersive ? Qui donc a rendu par le bas une quantité considérable de cette bile sans avoir éprouvé une mordication préalable des intestins ? Qui ne sait que les vomissements bilieux sont nécessairement précédés de certaines affections douloureuses, entre autres de cardialgie ou mordication de l’orifice de l’estomac (στόμα τῆς γαστρός) ? Voulez-vous qu’à ce propos nous rappelions les écrits d’Hippocrate[16] et que nous fassions comparaître un aussi grand témoin pour une chose connue de tous ? cela serait complètement inutile et superflu ; et cependant si la propriété de la bile jaune est généralement connue, on peut facilement en conclure qu’introduite dans l’estomac elle détruirait toute la fonction de ce viscère. En effet, si la bile en pénétrant sans mélange dans les premiers intestins les stimule, les aiguillonne et y prévient le séjour des aliments, à plus forte raison dans l’estomac doué de plus de sensibilité que le jéjunum, elle l’eût contraint à précipiter la sortie des aliments avant leur parfaite coction. Cette conclusion paraît si évidente qu’elle ne demande pas une plus longue démonstration.

On sait bien, en effet, qu’une mordication violente expulse les aliments encore crus. On comprend donc, qu’en tout état de santé, l’introduction dans l’estomac d’une bile abondante ne permettrait pas aux aliments d’y séjourner. L’estomac stimulé par l’âcreté de cette bile est révolté, aiguillonné, et hâte la sortie des aliments qu’il contient. Si ce liquide remonte vers l’orifice [supérieur] de l’estomac (cardia), comme cette partie est éminemment sensible, la mordication qu’il cause excite une vive douleur, des nausées et des vomissements. S’il se précipite vers le fond du viscère, il coule rapidement vers le bas et entraîne toujours les aliments avec lui. En effet, l’estomac étant pris d’un violent mouvement péristaltique, si l’un des orifices vient à s’ouvrir, soit celui qui fait suite à l’œsophage (orifice cardiaque), soit celui qui est au fond du viscère (pylore), tous les aliments qu’il renferme sont également expulsés. Il résulte évidemment de là qu’en affluant dans l’estomac, la bile détruirait ou pervertirait la fonction propre de ce viscère, s’il est vrai que cette fonction consiste à cuire les aliments, que cette coction exige un temps assez long et que, la présence de la bile ne laisse pas séjourner les aliments dans l’estomac.

Les anciens médecins, indépendamment des autres préceptes salutaires, recommandaient donc avec raison de prendre chaque mois un vomitif après avoir mangé, les uns pensant qu’un seul suffisait, les autres jugeant qu’il en fallait deux, tous conseillant dans ces circonstances de choisir des aliments d’une nature âcre et détersive afin de nettoyer l’estomac de tout phlegme, et d’empêcher ainsi que l’économie ne soit infectée par la cacochymie[17] ; car les aliments doués de propriétés excitantes et détersives engendrent en général la bile et les humeurs mauvaises. Ces médecins ont donc eu raison de borner à l’estomac une action purgative qui ménageât le foie. Ils ont reconnu qu’il est naturellement très-facile de purger l’estomac, mais difficile de purger les intestins sans engendrer dans l’animal des humeurs nuisibles.

La raison pour laquelle la nature ne fait pas remonter l’excrément bilieux des intestins[18], dans les veines et les artères, a été donnée par nous dans ces Commentaires où nous passons en revue toutes les œuvres de la nature (Facultés natur. II, ii). Celui qui veut avoir des notions exactes sur l’utilité des organes de la nutrition, doit être d’abord familiarisé avec ce traité, car nous avons déjà répété souvent et dès le commencement de tout l’ouvrage [Sur l’utilité des parties, voy. I, viii], nous avons démontré qu’on ne saurait découvrir l’utilité d’aucune partie avant de connaître parfaitement la fonction de tout l’organe. — Il ne nous convient donc pas de laisser de côté nos observations sur l’utilité des parties pour entrer dans la démonstration de leurs fonctions ; mais prenant les démonstrations données ailleurs pour base de notre exposition ultérieure, nous poursuivons notre ouvrage jusqu’à sa terminaison.

De même que nous avons démontré ailleurs (Fac. nat., II, ixe siècle) que la génération d’excréments phlegmatiques dans le canal intestinal est inévitable, et que nous rappelons ici que leur production est réelle, nous agirons de la même façon pour prouver que la bile n’est plus absorbée dans l’ économie [une fois qu’elle a été versée dans les intestins]. La preuve la plus convaincante à l’appui de cette assertion, c’est la différence qui existe entre les déjections alvines. Dans l’ictère, elles conservent la couleur des aliments ingérés, ce qui montre que la bile, au lieu de descendre par les intestins, s’est répandue dans toute l’économie ; dans l’état de santé elles ont une couleur jaune parce que la bile circule avec les excréments dans les intestins. Si de là cette bile remontait dans le foie, il est évident que non-seulement les déjections alvines, mais encore la couleur générale du corps se comporteraient précisément comme dans la jaunisse.

Ne nous étonnons donc plus si la bile noire excrémentitielle qui n’a pu subir dans la rate ni élaboration, ni changement (cf. IV, xv) est évacuée non dans l’intestin voisin de l’anus, mais dans l’estomac (κοιλίαν) même. En effet, si nous prouvons qu’en cet endroit elle ne devait causer aucune gêne, et que si la nature avait prolongé jusqu’à l’intestin voisin de l’anus le conduit qui la reçoit, ce conduit eût dû en même temps être étroit eu égard à la faible proportion de la bile et nécessairement d’une longueur égale à la distance, par conséquent, sujet à accident par cette dimension même, vous trouverez raisonnable, je pense, que l’atrabile pénètre par un court vaisseau (veines courtes) dans l’estomac situé si près de la rate[19]. Quant à n’occasionner aucune gêne dans l’estomac, si vous vous rappelez ce que j’ai dit au sujet de la bile jaune, il me semble que vous n’avez pas besoin d’une plus longue explication. Si cette humeur (la bile noire) n’est pas résorbée par l’économie tout entière, et n’incommode en rien l’estomac, quel autre dommage pourrait-elle causer ? Que la bile noire ne soit pas résorbée, on le comprend manifestement en voyant que la bile jaune, bien plus ténue, ne l’est pas non plus. Qu’elle n’incommode pas l’estomac (κοιλία), c’est ce qu’indiquent ses qualités. En effet, la bile noire est astringente, acide, capable de contracter et de resserrer l’estomac, non de le bouleverser comme la bile jaune. Il est donc évident que, si nous signalions celle-ci comme nuisible parce qu’elle empêchait la coction des aliments en s’opposant à leur séjour prolongé dans l’estomac, nous trouverons non-seulement que la bile noire ne présente aucun inconvénient mais qu’elle aide même à l’action de l’estomac. Car elle resserre cet organe, le contracte sur lui-même et le contraint à se mouler exactement sur les aliments et à les retenir jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment cuits. — C’est ainsi que la nature a pourvu à l’écoulement des excréments bilieux.


Chapitre v. — Que la nature a dû placer les reins près du foie, et la vessie à la partie inférieure du tronc, et qu’elle devait par conséquent établir entre ces organes une voie de communication (les uretères). — Énumération des sujets que Galien se propose de traiter à propos des reins. — Attaques contre Érasistrate ; ses théories sur les artères l’empêchaient de comprendre l’utilité de celles de la rate. — Le même Érasistrate, tout en accordant que la nature ne fait rien en vain, néanmoins ne cherche pas à prouver que chacune de ses œuvres mérite des éloges. — Conditions qu’on doit remplir pour chercher avec fruit l’utilité des parties. — Les vaisseaux qui vont aux reins sont volumineux parce qu’ils sont chargés d’y transporter le sang que ces viscères doivent débarrasser de l’humeur séreuse. — Attaques contre Lycus, qui prétendait que l’urine n’était que le résidu de la nourriture de la rate. — Cf. IV, v.


Il reste encore cet excrément ténu et aqueux que nous appelons urine ; la nature qui a créé les reins pour séparer cet excrément [du sang] les a placés près du foie (cf. IV, v et vi) ; pour que son expulsion ait lieu convenablement, elle a disposé d’abord un réceptacle, la vessie en guise de réservoir, puis, à l’extrémité de la vessie, un muscle qui prévient la sortie intempestive du liquide (voy. ch. xvi). Si la meilleure place pour la vessie était à la partie la plus déclive où sont évacués les résidus des aliments, si la meilleure aussi pour les reins, comme nous venons de le dire, était près du foie, il était nécessaire de créer entre les reins et la vessie quelque moyen de communication. Tel est le but des conduits appelés uretères (οὐρητῆρες), conduits longs et forts, qui unissent les reins à la vessie. Ainsi c’est par l’action des reins que l’urine se sépare du sang ; de là elle descend à travers les uretères dans la vessie d’où elle est expulsée au temps marqué par la volonté.

Ces notions ne suffisent pas pour admirer l’art de la nature, il faut encore connaître l’utilité qui résulte de la position des reins, le rein droit étant situé plus haut et souvent touchant le foie, le rein gauche étant situé plus bas[20]. A propos de leur forme nous dirons pourquoi ils sont concaves à l’endroit où pénètrent l’artère et la veine, et exactement convexes à la partie opposée ; nous expliquerons le but de leur substance, de leur connexion, de leur cavité, de leur tunique, de la présence d’une grande artère, d’une grande veine et, au contraire, d’un nerf tout-à-fait délié et imperceptible. De même au sujet des uretères et de la vessie, je pense qu’il est bon d’étudier non-seulement celle qui reçoit l’urine, mais encore celle qui reçoit la bile, dans leur substance, leur connexion, leur grandeur, leur forme, enfin dans toutes les autres particularités que nous passons en revue à propos de chaque organe. En effet on admirera davantage l’art de la nature si aucun de ces points ne passe sans examen, et l’on confirmera les notions que l’on possède sur les fonctions de ces organes en les vérifiant sur chacun d’eux séparément.

Et pour entrer immédiatement en matière (afin de démontrer tout d’abord que la recherche de l’utilité des parties convainc d’erreur les opinions fausses avancées au sujet des fonctions)[21], ni Érasistrate ni tout autre qui voudrait prétendre que le pneuma seul est renfermé dans les artères, ne saurait expliquer l’utilité de la grandeur de celles qui s’insèrent dans les reins ; car si les reins purifient seulement les veines, et reçoivent dans ce but, tout exigus qu’ils sont, des veines considérables, il ne fallait pas que les artères fussent égales en grandeur aux veines ; que dis-je, peut-être il ne devait même pas s’insérer d’artères sur les reins, à moins qu’elles ne fussent petites et complétement invisibles comme les nerfs. Asclépiade, dès qu’il rencontre une difficulté, prétend tout de suite que la nature a fait une chose inutile (voy. I, xxi, xxii). Érasistrate la loue, il est vrai, sans cesse de ce qu’elle ne fait rien en vain ; mais, en réalité, il ne poursuit pas cette idée, et ne cherche pas à montrer que, pour chaque organe, cette louange est vraiment méritée ; loin de là, volontiers, il tait, il cache, il omet beaucoup de points de la structure des parties. Qu’il suffise à ce sujet de ce que j’ai dit dans mes Commentaires sur les facultés naturelles (cf. particul. I, xii et suiv. et presque tout le liv. II). Pour le moment, j’engage seulement ceux qui ont lu ces écrits à n’omettre par paresse aucune partie, et, à notre exemple, à examiner avec soin le genre de leur substance, leur conformation, leur connexion, à rechercher également et leurs prolongements et leurs insertions, la grandeur ou la petitesse de chacune d’elles, leur nombre, leurs relations, leur position ; ensuite si chacune de ces circonstances prises à part démontre évidemment la justesse du raisonnement sur la fonction, vous lui devez votre assentiment ; mais s’il se trouve défectueux par quelque endroit, même peu important, tenez-le pour suspect et ne lui accordez plus votre attention. Telle a été notre méthode : nous avons examiné longtemps, nous avons jugé ce qui a été dit par tous les auteurs sur chaque organe ; ce que nous avons trouvé conforme à la réalité visible, nous l’avons reconnu plus digne de confiance que ce qui s’en écartait. C’est une règle que j’engage à suivre, non pas seulement dans le cas actuel, mais pour toute la suite de l’ouvrage.

Je reviens maintenant à mon sujet : je disais que l’insertion des artères sur les reins prouvait que j’avais raison en affirmant qu’elles contenaient aussi du sang[22]. Car si ce n’est pas pour purifier le sang qu’elles charrient, qu’on me dise pourquoi la nature les a créées si considérables, pourquoi elle les a prolongées et ramifiées ainsi que les veines jusque dans la cavité des reins. Quant aux reins, la grandeur de leurs vaisseaux prouve que nous avions raison de dire qu’ils débarrassent le sang de tout le liquide séreux. Si l’urine n’est que le résidu de la nourriture des reins (et le macédonien Lycus a poussé l’ineptie jusqu’à admettre cette opinion. — Cf. Facultés nat., I, xvii), pourquoi le Créateur, qui ne fait rien au hasard, a-t-il inséré sur des corps aussi petits que les reins des artères et des veines aussi considérables ? C’est ce qu’on ne saurait expliquer. Il faut, ou que Lycus avoue une maladresse de la nature, ce qu’il ne veut pas faire, ou qu’il soit manifestement convaincu de n’avoir sur les fonctions aucune notion saine.


Chapitre vi. — Raisons pour lesquelles la nature a placé le rein droit plus haut que le gauche. — Pourquoi la nature a-t-elle fait deux petits reins au lieu d’en faire un seul gros à gauche ; et pourquoi, d’un autre côté, n’a-t-elle fait qu’une rate et qu’une vésicule ? — Cela tient d’une part à la symétrie, et de l’autre à la nature même des excréments. — Les reins suffisent à purifier le sang de tout le sérum, cela est prouvé par le peu de sérum qu’on trouve sur le caillot après les saignées. — La grandeur des orifices artériels dans les reins prouve qu’ils attirent une humeur mélangée ; il en est de même de la rate, car les émonctoires qui doivent attirer une humeur sans mélange, comme la vésicule biliaire, ont de petits orifices dans le viscère qu’ils doivent purifier. — Cf. IV, vi.


Pourquoi donc l’un des reins (le droit) est-il situé plus haut, l’autre (le gauche) plus bas[23] ? Cette disposition est conforme à ce que nous avons démontré à leur sujet ; car s’ils purifient le sang en le débarrassant de son sérum, il est évident que s’ils eussent été placés sur la même ligne, chacun eût empêché l’attraction exercée par l’autre en agissant dans un sens opposé[24]. Avec leur situation actuelle, chacun exerce seul sans empêchement son action attractive, ne trouvant aucun rival établi en face de lui. Mais pourquoi le rein droit est-il placé en haut et le premier, tandis que le rein gauche est en bas et le second ? Parce que le viscère purifié (le foie) était situé à droite, et qu’un grand nombre de branches de la veine cave (veines hépatiques) venaient s’ouvrir au côté droit, amenant dans cette veine le sang des parties convexes du foie[25] ; or tout corps doué de force attractive exerce mieux cette action en ligne directe.

Nous avons montré précédemment (IV, iv, vii, p. 288 ; cf. aussi xvi) qu’il valait mieux pour la rate être rapprochée de la partie inférieure de l’estomac, et pour le foie, de la partie supérieure. La place n’était donc pas aussi libre à gauche qu’à droite, en sorte qu’autant le foie est plus élevé que la rate, autant il était raisonnable que le rein droit fût établi plus haut que le rein gauche[26].

Mais, dira-t-on, la nature avait-elle absolument besoin de deux organes pour purifier le sang du liquide séreux ? Si deux organes sont préférables, elle peut paraître avoir failli en ne créant qu’une rate et qu’une vessie biliaire. D’un autre côté, si un seul organe suffit, on peut trouver qu’elle a été prodigue en créant un rein à gauche après en avoir placé un à droite. Ne faut-il pas en cela admirer aussi l’habileté de la nature ? En effet, la bile noire excrémentitielle est très-peu abondante, la bile jaune l’est plus, et l’urine encore plus que les deux autres excréments ; mais la première est très-épaisse, la dernière très-ténue, l’autre est d’une densité moyenne. — À l’excrément peu abondant, épais, difficile à mouvoir et devant parcourir un long trajet (à travers la veine splénique, voy. IV, iv, p. 283), la nature a attribué un organe très-grand et d’une structure très-poreuse ; cet organe (la rate), elle l’a placé au côté gauche de l’estomac afin que, suivant notre précédente démonstration (voy. IV, iv ; vii, p. 288, et surtout xv), l’humeur épaisse, élaborée dans son sein, lui servît d’aliment. — Quant à la vésicule placée sous le foie, bien qu’elle attire un suc d’une consistance et d’une quantité moyennes, la nature cependant ne lui a donné qu’un petit volume, attendu qu’elle l’emporte sur les autres organes de purification du foie et par sa position et par le nombre de ses orifices de traction. La nature, à son égard, n’a donc rien fait qui ne soit digne d’approbation.

Venons maintenant à la question du rein droit qui pouvait suffire seul selon cette assertion calomniatrice que nous venons de signaler. Il est d’abord évident que seul il ne pouvait suffire à une sécrétion aussi considérable à moins d’avoir le double de son volume actuel. Supposons que le rein droit soit doué d’un volume double, et que l’autre manque entièrement, ce n’est plus un reproche calomnieux, mais un reproche fondé qu’on ferait à la nature en l’accusant d’avoir créé l’animal dépourvu de symétrie (cf. IV, vii, p. 288) ; et cela, je pense, est manifeste. En effet, nous montrions, dans le livre précédent avant de parler des reins, (IV, iv ; cf. aussi vii, p. 288, la note 1 de la p. 319 et la note 3 de la p. 354), que l’équilibre de l’animal résultait de la position opportune de la rate, de l’estomac et du foie. Maintenant, au lieu de ce juste et bel équilibre, supposons un rein unique considérable d’un côté, nous faisons pencher l’animal en un sens. La nature n’a rien fait de semblable. Au lieu d’un rein unique considérable, placé dans un côté, elle a reconnu qu’il était plus équitable d’en placer deux petits de part et d’autre. Le fait prouve que tels qu’ils sont, ils suffisent tous deux à purifier le sang. Dans les saignées sans nombre que nous faisons journellement, nous trouvons très-faible la quantité d’eau qui surnage sur le sang coagulé. Cependant, tous ceux qui ont besoin d’être saignés éprouvent quelque incommodité corporelle, un dérangement notable dans leur économie ; néanmoins il ne surnage, comme nous le disions, sur leur sang coagulé, qu’une très-faible proportion de sérum[27]. Dans l’état de santé, les reins débarrassent donc complétement le sang de son sérum : c’est ce que prouvent les faits énoncés et d’autres plus nombreux encore. Mais je trouve superflu d’insister davantage sur ce point, car tout le monde m’accordera aisément et sera convaincu que les reins suffisent à l’usage pour lequel ils ont été créés.

Toutefois si les deux reins enlèvent au sang tout son sérum, et si cet excrément est plus abondant que les autres, rien ne contribue plus à la rapidité de sa séparation d’avec le sang que l’extrême ténuité du liquide qui en est séparé. Car c’est aussi un fait évident que tout fluide ténu est attiré plus aisément qu’un fluide épais. Voici donc la cause du tissu serré des reins, ou plutôt les causes, car il y en a deux : l’attraction facile d’un tel liquide, surtout quand l’organe qui attire est si proche, et la condition imposée aux reins de se nourrir de ce fluide. Car c’est aussi un point démontré par nous dans les Commentaires sur les facultés naturelles, qu’il n’est pas de partie du corps attirant une humeur spéciale par de larges orifices, qui reçoive cette humeur seule, pure, sans mélange, elle est toujours altérée par la présence de quelque substance étrangère. Si les organes qui attirent des sucs spéciaux se terminent par des orifices extrêmement ténus et perceptibles seulement par le raisonnement, ces humeurs attirées seront pures, et exemptes de tout mélange. C’est donc avec raison que la vésicule [biliaire] attachée au foie, par les radicules invisibles et tout à fait étroites des vaisseaux qui l’unissent au foie[28], attire une seule humeur exempte de toute autre qualité, et que la nature l’a destinée à attirer. Mais ni la rate, ni les reins n’attirent uniquement leur humeur spéciale ; la rate entraîne aussi un peu du sang qui, avant d’y pénétrer, a subi l’attraction des veines de l’épiploon (voy. IV, xv) ; les deux reins attirent beaucoup de bile jaune (voy. p. 347, note 2), presque toute celle que renferment les veines et les artères qui pénètrent dans leur cavité, et aussi beaucoup de sang, c’est-à-dire toute la partie aqueuse et ténue de ce sang. Tout ce qui, dans la bile, n’est pas complètement épais, s’échappe avec l’urine. Le sang, comme un limon, vient imprégner la substance même des reins ; puis, successivement, et sous forme de vapeurs, il se répand dans la masse de toute leur substance, y adhère, s’y attache et devient la nourriture des reins[29].


Chapitre vii. — Motifs de la différence de structure des reins et de la rate. — Pourquoi les reins et la rate n’ont pas besoin d’un vaisseau nourricier spécial ? Parce qu’avec l’humeur que ces organes sont spécialement chargés d’éliminer, ils attirent un peu de sang. — C’est le contraire pour la vésicule biliaire et pour la vessie urinaire. — Que la vessie urinaire devait avoir des vaisseaux et des nerfs plus considérables que la vésicule biliaire, vu sa plus grande capacité.


Donc, pour empêcher le sang de couler avec l’urine, comme la bile ténue, par les conduits des reins, il était préférable de donner aux reins une substance serrée. Au contraire, le tissu de la rate, nous l’avons prouvé précédemment (IV, xv, p. 320), devait être assez lâche et spongieux. Cette condition était plus favorable pour attirer d’un lieu éloigné une humeur épaisse, et il n’y avait aucun danger à ce qu’un peu de sang l’accompagnât. En effet, elle devait expulser l’excrément bilieux, non pas immédiatement et sans l’avoir élaboré, cuit et transformé comme les reins font pour l’urine, mais après l’avoir retenu très-longtemps pour l’altérer et en tirer sa nourriture. Il était donc naturel que son tissu fût lâche, tandis que celui des reins est serré. Ces organes n’avaient pas besoin, pour subvenir à leur nourriture, d’un troisième vaisseau ajouté aux deux grands vaisseaux, issus l’un de l’artère de l’épine (aorte), l’autre de la veine cave[30]. Mais les deux vessies (vésicule biliaire et vessie urinaire) qui reçoivent l’une la bile jaune, l’autre l’urine, attirant toutes deux leur résidu spécial pur et sans mélange[31], avaient raisonnablement besoin d’autres vaisseaux qui doivent leur apporter leur nourriture.

Puisque le liquide séreux est beaucoup plus abondant que la bile jaune, il était juste que son réservoir fût plus large. Étant plus large, il lui fallait, avec raison, des veines, des artères, des nerfs plus considérables. On peut voir que dans les deux vessies ces parties diverses ont des dimensions respectives parfaitement en harmonie avec l’utilité et la grandeur des vessies.


Chapitre viii. — Origine et distribution des vaisseaux et des nerfs de la vessie, et de la vésicule biliaire. — Des précautions prises par la nature pour les protéger dans leur trajet, et sur les parties elles-mêmes. — En quoi les vaisseaux de la vessie urinaire diffèrent chez l’homme et chez la femme.


Ce n’est pas non plus d’un point quelconque que la nature a conduit dans chacune de ces vessies et le nerf et l’artère et la veine, elle paraît encore avoir adopté, à cet égard, le meilleur parti. Le meilleur était la voie la moins longue et la plus sûre. — La vessie, réservoir de l’urine, reçoit donc ses nerfs de la moëlle (rameaux de la branche antérieure du troisième nerf sacré) au niveau de l’os large appelé os sacré, région dont elle est très-proche ; elle reçoit ses veines et ses artères de vaisseaux très-voisins, à l’endroit où les grands vaisseaux situés le long de l’épine (aorte et veine cave) se bifurquent pour se diriger vers les membres inférieurs. Quant à la vésicule du foie, elle reçoit une artère et un nerf détachés de l’artère et du nerf qui pénètrent dans le viscère lui-même, l’un et l’autre également ténu et difficile à voir ; de plus, une veine très-visible et très-nette engendrée par la veine porte : la nature a inséré ces trois rameaux sur le corps de la vésicule, au même endroit, vers la partie qu’on appelle col[32]. Cette partie étant la plus robuste peut servir de base solide à de minces filets, et de plus elle était établie près des portes du foie. De même, dans l’autre grande vessie, au col même, la nature a implanté les six vaisseaux[33] : trois de chaque côté. De cette façon le trajet était le plus court possible pour les vaisseaux, et il valait mieux pour la vessie les recevoir dans ses parties charnues.

Peut-être supposez-vous que ces expédients créés pour la sécurité [des vaisseaux et des nerfs] suffisent, car vous êtes moins habiles et moins prévoyants que la nature ? Mais elle, non contente d’avoir borné leur trajet, de leur avoir donné une insertion solide, a imaginé incontinent un troisième moyen de les garantir de toute lésion, en enveloppant chacun des vaisseaux de membranes minces proportionnées à leur petitesse et en les reliant tous ensemble par ces mêmes membranes (plexus artériels, veineux et nerveux). Les vaisseaux insérés dans la petite vessie (vésicule biliaire) se ramifiant surtout sur sa surface, arrivent jusqu’au fond. Les vaisseaux qui parviennent sur le col de la grande vessie (vessie urinaire) se partagent dès leur implantation en deux branches ; l’une à l’exemple de ce qui a lieu dans la petite vessie, se répand sur toute la surface, l’autre se détourne vers la partie inférieure en descendant le long du col : petite chez la femme, où elle doit se diviser tout entière dans cette région ; elle est grande chez l’homme, lequel est pourvu d’une partie spéciale appelée verge (καυλός) et située à l’extrémité du col de la vessie. Dans la suite de notre traité nous montrerons en détail (livre XIV, et partie du livre XV ; cf. surtout XIV, vi) l’habileté déployée par la nature pour la structure des organes génitaux.

Quant aux organes dont il s’agit maintenant, qui sont chargés d’éliminer les excréments, les uns sont alimentés par les vaisseaux mêmes qui transportent ces excréments, comme la rate et les reins, les autres avaient besoin de vaisseaux nourriciers comme la vessie, ainsi qu’il me semble l’avoir déjà établi (cf. chap. vii). — La petitesse de chacun des vaisseaux ou leur grandeur, le mode de leur insertion, l’endroit d’où ils naissent, la sécurité apportée à leur trajet, en un mot, tout ce qu’on observe en eux manifeste donc l’art merveilleux de la nature.


Chapitre ix. — Les nerfs du foie, de la rate, des reins, de la vésicule biliaire sont très-ténus ; ils ne leur en est accordé que pour les distinguer des plantes, et pour leur donner le sentiment des lésions qu’ils peuvent éprouver. — Ce que la nature se propose en accordant des nerfs aux parties ; elles sont distinguées en celles qui sont douées de perception et de mouvements, ou simplement du sentiment des lésions dont elles sont atteintes. Ce sont là de nouvelles raisons d’admirer l’art et la prévoyance de la nature, plus juste que la justice.


Reprenons ce qui nous reste à exposer sur chacun de ces organes, c’est-à-dire, d’abord les nerfs qui pénètrent dans les reins, ensuite les conduits de l’urine, et de plus, en troisième lieu, la substance du corps des vessies, et aussi de celui des reins, de la rate et de toutes les autres parties dont nous avons déjà décrit la structure générale. Les reins ont des nerfs (plexus rénal du grand sympathique) comme la rate (plexus splénique du grand sympathique), le foie (rameaux du plexus hépatique et du pneumo-gastrique), et la vessie (branches du plexus hépatique) qu’on appelle réceptacle de la bile (κύστει τῇ καλουμένῃ χοληδόκῳ)[34]. Tous ces corps reçoivent des nerfs excessivement grêles, qu’on voit sur la face externe de leurs tuniques. La nature a doué ces organes du degré de sensibilité convenable pour qu’ils se distinguent des végétaux, et qu’ils constituent des parties d’animal.

La nature, en effet, a eu un triple but dans la distribution des nerfs : elle a voulu donner la sensibilité aux organes de perception, le mouvement aux organes de locomotion, à tous les autres la faculté de reconnaître les lésions qu’ils éprouvent[35]. La langue, les yeux, les oreilles, sont pourvus de très-grands nerfs pour sentir, ainsi que la partie interne des mains et l’orifice [cardiaque] de l’estomac ; car ces organes sont aussi en quelque sorte des organes de perception. En effet, les mains sont douées d’une sensibilité tactile supérieure à celle de toutes les autres parties, si nombreuses d’ailleurs, qui possèdent cette faculté. L’orifice de l’estomac a le sentiment du besoin des aliments dont l’animal se nourrit, sentiment que nous appelons faim. Dans toutes ces parties, en tant que douées de sensibilité, on trouve de grands nerfs ; en second lieu, les organes du mouvement volontaire, c’est-à-dire les muscles, attendu qu’ils sont destinés à mouvoir les parties du corps, reçoivent aussi de très-grands nerfs ; et comme nécessairement la sensibilité est inhérente à tout nerf[36], il en est résulté pour ces nerfs une puissance de sensibilité tactile pour reconnaître les corps sensibles, plus grande qu’ils n’en avaient besoin pour eux-mêmes. Le troisième but de la nature dans la distribution des nerfs, est la perception de ce qui peut nuire. Considérant dans les dissections comment s’opère la distribution des nerfs, et recherchant si la nature a eu tort ou raison de distribuer, non pas des nerfs égaux à toutes les parties, mais de plus grands à celles-ci, de moindres à celles-là, vous répéterez, même malgré vous, avec Hippocrate et dans les mêmes termes que lui (Cf. I, xxii, p. 163) : Que la nature se montre pour les animaux pleine de savoir, de justice, d’habileté et de prévoyance.

En effet, si l’office de la justice est d’examiner avec soin et d’attribuer à chacun selon son mérite, comment la nature ne serait-elle pas supérieure à tout en équité ? N’a-t-elle pas comparé entre eux tous les organes de même espèce, les organes de sensation avec les organes de sensation, les muscles avec les muscles, pesant d’abord le volume des corps, la suprématie des fonctions, l’énergie ou la faiblesse des mouvements, et aussi la continuité ou la discontinuité de leur action, mesurant les besoins de l’une et de l’autre série d’organes, enfin appréciant exactement l’importance de chaque partie, avant d’attribuer à l’une un grand nerf, à l’autre un nerf moindre, à chacune celui que prescrivait l’équité ? La suite du traité (cf. XVI, i) vous instruira de tous ces faits.

Chapitre x. — Danger qui résulterait pour les viscères, et en particulier pour les intestins, s’ils n’étaient pas avertis par les nerfs des affections morbides, ou des matières nuisibles. — Faits pathologiques qui le prouvent. — Ni le foie, ni la rate, ni les reins n’avaient besoin d’une sensibilité exquise ; ce qui le démontre, c’est l’innocuité du séjour dans leur intérieur des matières excrémentitielles qui sont propres à chacun d’eux. — Il n’en est pas de même de la vessie, qui a été créée, en vue de l’urine et non en vue de la bile que contient naturellement l’urine, de telle sorte qu’elle serait lésée si elle n’évacuait pas promptement son contenu.


Dans ce livre, il faut passer en revue les organes de nutrition, et montrer l’équité de la nature à leur égard. Aucun d’eux n’étant un organe de perception, ni de mouvement, il ne devait leur être attribué que de petits nerfs, servant uniquement au troisième but, c’est-à-dire à leur faire reconnaître ce qui peut leur nuire. S’ils ne possédaient pas cette propriété, et s’ils ne sentaient pas les affections qui sont en eux, les animaux périraient infailliblement en peu de temps. Maintenant, éprouvons-nous quelque mordication dans les intestins, à l’instant nous nous hâtons d’expulser la matière qui nous incommode ; mais si ces organes étaient complètement dépourvus de sensibilité, ils seraient tous bientôt, je pense, ulcérés, rongés, pourris facilement par les excréments qui s’accumulent constamment ; dans l’état actuel, doués comme ils sont de sensibilité, et ne laissant pas un instant séjourner en eux ces matières âcres et mordantes, ils sont cependant ulcérés, raclés, rongés et pourris par le seul passage de la bile pure, jaune ou noire ! C’est pourquoi Hippocrate dit quelque part (Aph. IV, 24) : « La dyssenterie provenant de la bile noire est mortelle. » Peut-être nous demandera-t-on s’il y a une dyssenterie causée par la bile noire, quand les intestins sont doués d’une sensibilité telle qu’ils expulsent immédiatement ce qui les incommode. Je répondrai d’abord : Il est évident par les faits qu’une espèce de la dyssenterie provient de cette bile. Mais si vous voulez ensuite en savoir la cause, rappelez-vous avec moi les détours que suivent les aliments dans les circonvolutions intestinales, pour ne pas en sortir trop vite, comme nous l’avons montré (IV, xvii). Les excréments âcres, arrêtés parfois dans ces circuits et ces inflexions, raclent d’abord l’intestin, puis ils le rongent. Si donc dans l’état actuel l’extrême sensibilité des intestins ne suffit pas pour prévenir toute lésion, soit à cause de l’âcreté des matières qui parfois ulcère et ronge leur tunique, soit à cause de l’amas excessif de ces matières, qui les affaisse comme sous la pression d’un cataclysme, que n’auraient-ils pas à souffrir, pensez-vous, s’ils étaient insensibles ? C’est pour cette raison que dans chacun des replis vient se ramifier un nerf aussi bien qu’une artère et qu’une veine.

Cependant sur le foie, viscère si grand et si important, la nature n’a implanté qu’un nerf très-petit, parce qu’il n’est pas doué du mouvement comme les muscles, et qu’il n’a pas besoin comme les intestins d’une sensibilité exquise. En effet, le passage des matières excrémentitielles nuit à ces derniers, tandis que le foie est purifié par quatre organes, qui sont les deux reins, la rate et la vésicule, qui y est attachée, de telle sorte que ce viscère ne devant conserver dans son intérieur aucun liquide malfaisant et âcre, n’avait pas besoin d’une sensibilité exquise. Quant à ces quatre parties mêmes qui purifient le foie, comme elles ne devaient éprouver aucune incommodité des excréments qui leur sont propres, elles ne réclamaient pas une plus grande sensibilité. Elles n’auraient pu, en effet, attirer de semblables matières, si elles n’avaient avec elles quelques propriétés communes. Pendant l’existence des animaux qui dure tant d’années, on peut voir, renfermée dans la vésicule du foie, la bile jaune tantôt plus, tantôt moins abondante. Quand les animaux sont morts nous pouvons enlever du foie les vésicules avec leur bile et les garder longtemps sans que la substance de ces vésicules en souffre dans l’intervalle ; tant il est vrai qu’une façon d’être innée et propre à la substance est exempte de tout dommage. La nature a donc eu raison de ne pas donner plus de sensibilité à ces organes, que ne doivent pas incommoder les résidus qu’ils renferment.

Quant à la grande vessie qui reçoit l’urine, elle eût été lésée souvent, si elle n’eût promptement évacué l’urine, âcre et bilieuse, car elle n’a pas comme la vésicule biliaire une substance analogue à la nature de la bile, mais seulement à celle de l’urine, en vue de laquelle elle a été précisément créée. Aussi quand toutes les fonctions de l’animal s’exécutent bien, aucune de ses parties n’est incommodée, et la substance des excréments séreux n’est ni âcre ni douloureuse pour la vessie ; mais si les organes de la coction, se trouvant dans quelque fâcheux état, n’ont produit qu’un sang défectueux, les autres matières excrémentitielles et l’urine deviennent tellement âcres et nuisibles, qu’elles raclent et rongent la vessie. L’animal alors n’attend pas le moment fixé par la nature pour évacuer l’urine, mais il se hâte de l’expulser avant que sa vessie se remplisse. La nature, dans cette prévision, a donné à cette partie des nerfs plus grands et plus nombreux pour en accroître la sensibilité.


Chapitre xi. — La nature a dispensé les tuniques aux viscères, en tenant compte, non de l’importance de ces viscères, mais de leurs usages. — De la tunique séreuse commune à tous les viscères, et semblable pour tous. — Des variétés que présente la tunique musculeuse, eu égard au nombre des couches et à la direction des fibres, suivant les parties. — De la tunique musculeuse de la vessie en particulier.


Quant à l’épaisseur des tuniques externes qui recouvrent tous les organes susdits, tuniques engendrées, disions-nous (IV, ix et x), par le péritoine, la nature avec raison a considéré, en les distribuant, non l’importance ni la grandeur des organes, mais ce à quoi ils servent. Bien que le foie soit un organe considérable supérieur à tous les autres organes de la nutrition, il ne devait pas pour cela recevoir une tunique plus forte que la vessie ; celle-ci, destinée à être remplie, distendue, vidée aussitôt et resserrée plusieurs fois la nuit et le jour, devait de préférence être munie d’une enveloppe plus solide. En effet, toute partie destinée à subir en peu de temps une distension ou une compression excessive, doit avoir une force capable de supporter alternativement ces deux états si opposés l’un à l’autre. La nature a donc fait preuve d’équité dans cette répartition de force, et bien plus encore dans la forme de la substance de chacune des tuniques.

En effet, tous les organes dont il s’agit sont revêtus extérieurement de tuniques semblables à des toiles d’araignée (tunique séreuse formée par le péritoine. Cf. IV, ix et x ; et partic. note 1, p. 298), quelques-unes par leur ténuité même, toutes par la forme. Aucune d’elles ne se partage en fibres, comme les tuniques intérieures propres des organes eux-mêmes et qui servent à leur action ; mais elles sont complétement simples, semblables de tout point, et exactement membraneuses. Les deux tuniques internes, celles qui constituent le corps même des parties, sont munies, à l’estomac et à l’œsophage, comme nous l’avons dit précédemment (IV, vii), de fibres circulaires extérieurement, et de fibres droites à l’intérieur. Les tuniques des intestins sont formées toutes deux de fibres transversales exactement circulaires (voy. IV, viii et la note complémentaire et rectificative, p. 290-1). Celles des vessies ont leurs fibres droites, circulaires et obliques.

Chacune des deux vessies n’ayant qu’une tunique[37], cette tunique a reçu une conformation propre à toute espèce de mouvement. Il était raisonnable, en effet, qu’elles eussent le mouvement des fibres droites pour attirer, celui des fibres transversales pour expulser, celui des fibres obliques pour retenir le contenu en l’embrassant de tous côtés ; car la tension des fibres transversales seules rétracte la largeur, celle des fibres droites seules raccourcit la longueur. Si toutes les fibres à la fois, droites, transversales et obliques, se resserrent sur elles-mêmes, la partie tout entière est contractée ; au contraire, si toutes s’allongent, toute la partie est tendue. Les vessies devant donc avoir une seule tunique pour le motif que je dirai un peu plus tard (chap. xii), il était bon que chaque espèce de fibres se trouvât en elle pour produire toute espèce de mouvement.

Les intestins (car leur fonction était non d’attirer, ni de retenir, mais seulement d’expulser par un mouvement péristaltique) ne devant exécuter qu’un mouvement, ne réclamaient qu’une espèce de fibres. — Il en est autrement de l’estomac. Il doit, pendant la déglutition, attirer les aliments, les retenir pendant la coction, les expulser quand ils sont élaborés. Aussi est-il avec raison pourvu de toutes les espèces de fibres.


Chapitre xii. — Pourquoi dans les tuniques les fibres transversales à l’extérieur, et les longitudinales à l’intérieur, et pourquoi y a-t-il peu de fibres obliques ? — Pourquoi tantôt deux tuniques comme aux intestins, et tantôt une seule comme aux vessies ? — Galien a répondu à une partie de cette première question dans le chapitre précédent ; mais il n’achève pas la réponse dans celui-ci. — Pour la seconde question, il prouve par la nature des fonctions que les intestins devaient avoir deux tuniques, et les vessies seulement une.


Pourquoi la tunique externe présente-t-elle seulement des fibres transversales, tandis que celles de la tunique interne sont droites pour la plupart et qu’il y en a très-peu d’obliques[38] ? Pourquoi aussi trouve-t-on deux tuniques dans le canal alimentaire, la nature pouvant produire les trois actions dans les organes au moyen d’une seule tunique comme elle l’a montré dans les vessies et dans l’utérus ? Ce sont des considérations qu’il vaut mieux ajouter au présent discours, pour le terminer par là.

Nous avons dit précédemment (IV, xv, p. 328) au sujet des intestins, qu’une double tunique leur a été donnée pour les protéger contre les lésions, et que souvent l’une d’elles venant à être complétement pourrie dans certaines dyssenteries malignes, l’autre suffisait seule à l’animal. Cette proposition est, je pense, encore justifiée davantage, après que nous avons montré (cf. V, iv, x) que les flux de bile sont naturellement très-contraires aux intestins, que la bile jaune étant complétement propre à la vésicule du foie, n’y cause aucune douleur, qu’elle devient rarement nuisible pour l’autre vessie, celle qui reçoit l’urine, à moins qu’elle ne s’y accumule en grande quantité et qu’elle ne soit d’une nature maligne ; ordinairement elle agit avec mesure et sans douleur sur sa substance. Ajoutons encore cette raison : L’aliment, devant se transformer dans les cavités de l’estomac et des intestins en la substance propre à l’animal, il était raisonnable que leur tunique fût très-épaisse. Car une tunique semblable altère, échauffe, transforme bien mieux qu’une tunique mince et froide. Aussi les personnes dont tout l’estomac a naturellement très-peu d’épaisseur, cuisent-elles plus mal les aliments que celles dont l’estomac est charnu (cf. IV, viii). Au contraire les organes excrétoires ne devaient rien digérer ; aussi sont-ils, avec raison, minces. Il n’était donc pas possible de donner deux tuniques à des corps minces.

Dans l’estomac, les deux tuniques ont été construites en vue de trois utilités : la diversité des fonctions, la résistance aux lésions, et l’épaisseur. Ainsi la nature de la substance même est différente dans les vessies et dans les organes de la coction : membraneuse, dure, presque dépourvue de sang et froide dans les vessies, elle est charnue et pleine de chaleur dans ces organes. Les vessies, destinées à se distendre et à se contracter excessivement, exigeaient une conformation analogue à leur action ; ces organes avaient besoin, pour cuire les aliments, d’une plus grande chaleur. Ainsi la dureté a été donnée aux vessies pour résister aux lésions et venir en aide à leur peu d’épaisseur, et l’épaisseur a été répartie aux organes de la coction pour protéger leur substance molle.


Chapitre xiii. — Les conduits des excréments doivent être de la même substance que les réservoirs qui contiennent ces mêmes excréments. — Art admirable du Créateur dans l’insertion du canal cholédoque au duodénum, et des uretères à la vessie.


Ainsi dans toutes ces dispositions la nature s’est montrée parfaitement juste. Qu’elle ait fait preuve de la même justice en formant les uretères d’une substance analogue à celle de la grande vessie de l’urine et les conduits de la bile de la même substance que la vésicule biliaire, c’est un fait évident pour tous. Il ne fallait pas, en effet, que les réservoirs des excréments fussent d’une substance et les conduits d’une autre ; cette substance devait être la même et tolérer également les [mêmes] excréments.

Le mode d’insertion des uretères dans la vessie, et du canal cholédoque dans l’intestin, est au-dessus de toute admiration. Les uretères s’insinuent d’abord obliquement dans la vessie (vessie urinaire), pénètrent toujours obliquement et après un long trajet jusqu’à la cavité de la vessie, en détachant comme une certaine membrane interne (muqueuse ?) de l’organe, qui se renverse et s’ouvre pour l’introduction des fluides, et qui le reste du temps retombe, se contracte et ferme si exactement le conduit qu’il est impossible, non-seulement aux fluides, mais à l’air lui-même de retourner en arrière[39]. Ce fait se manifeste surtout dans les vessies gonflées et remplies d’air, dont le col est exactement serré par un lien. On voit que tout l’air intérieur demeure retenu et renfermé même quand on comprime fortement la vessie à l’extérieur. Car si le flux des liquides qui entrent repousse cette membrane en dedans, la pression des liquides intérieurs la resserre et la contracte du coté du conduit. Que ce soit là pour vous la preuve de la prévoyance du Créateur à l’égard des animaux et de son habileté supérieure. C’est ainsi que tous les organes de nutrition ont été ordonnés d’une manière admirable. En effet, les médecins ont l’habitude de compter comme organes de nutrition les réservoirs des excrétions aussi bien que les autres organes ; en conséquence ils appellent les deux vessies et les gros intestins organes de nutrition.


Chapitre xiv. — Énumération des muscles de l’anus et de l’abdomen. — Du rapport admirable qui existe entre la direction de leurs fibres et les fonctions qu’ils ont à remplir. — Le nombre des muscles de l’abdomen est réglé par la symétrie des deux côtés du corps, et comme il n’y a que quatre directions possibles de fibres, il ne pouvait y avoir que quatre muscles de chaque côté ; ce nombre suffit du reste pour accomplir toutes les fonctions dévolues aux muscles de cette région. — Ce nombre ne peut être ni augmenté ni diminué. — Suppositions qui le prouvent.


Le sujet nous amène à parler maintenant des muscles créés en vue des excréments ; eux aussi sont jusqu’à un certain point des organes de la nutrition. A la tête, et au premier rang de ces organes sont ceux qui cuisent les aliments et qui en distribuent les parties utiles ; au second rang ceux qui purifient les aliments, et ceux qui conduisent et reçoivent les excréments. On peut mettre au troisième rang des organes de la nutrition ceux qui servent à leur écoulement ; ces derniers se divisent en deux espèces : les uns empêchent leur sortie intempestive, les autres la précipitent quand le temps est venu. Les muscles qui constituent le siège (ἕδρα) préviennent une expulsion intempestive ; tous ceux de l’abdomen la hâtent au moment convenable.

L’un des muscles de l’anus (sphincter interne), impair, enveloppe transversalement cette partie pour fermer le rectum (ἀπευθυσμένον ἔντερον) d’une manière exacte et sûre. À son extrémité inférieure se trouve un corps transversal d’une nature intermédiaire entre celle du muscle et celle de la peau (sphincter externe), et formée de ces deux substances, comme est l’extrémité des lèvres. Ce corps a un usage semblable à celui d’un muscle, à cette exception près qu’il est inférieur pour la force et la vigueur de l’action à un véritable muscle. Les deux autres muscles, ceux qui sont obliques (releveurs de l’anus), relèvent l’anus, étant placés aux deux côtés et à la partie supérieure du muscle rond (c’est-à-dire circulaire, sphincter interne). Ils servent, lorsque l’anus par suite de grands efforts s’est complètement retourné, à le ramener aussitôt en haut. Lorsque ces muscles viennent à être paralysés ou à perdre de leur force, l’anus est relevé difficilement et avec peine, et peut même demeurer complétement renversé, exigeant l’aide des mains pour reprendre sa place. Tel est le nombre, la nature et l’utilité des muscles de l’anus servant aux usages susdits.

Des huit muscles de l’épigastre (abdomen), les deux muscles étendus en droite ligne suivant la longueur de l’animal (grands droits de l’abdomen et pyramidaux réunis), s’étendent du sternum aux os du pubis, occupant surtout la région moyenne de l’abdomen. — Deux autres muscles transversaux (transverses de l’abdomen) formant des angles droits avec les précédents recouvrent tout le péritoine. — Des quatre autres muscles obliques, deux (petits obliques ou obliques internes) ont leurs fibres étendues, des hypocondres aux os iliaques, les deux autres (grands obliques, ou obliques externes), coupant ceux-ci en forme de X, s’étendent des côtes à l’hypogastre.

L’office commun de tous ces muscles est, après avoir tendu leurs fibres, de se rétracter sur eux-mêmes. Il résulte de cette action, quant à l’anus, que l’orifice inférieur du gros intestin se ferme exactement, et quant à l’épigastre, que toutes les parties sous-jacentes étant comprimées, sont refoulées en dedans. L’anus venant à se fermer, il s’ensuit nécessairement qu’aucun excrément poussé en avant par l’action des intestins ne sort intempestivement, tandis que la compression de l’abdomen (τὰ κατὰ τὴν γαστέρα) est suivie du relâchement de l’anus qui donne passage au contenu des gros intestins.

Il faut ici admirer l’habileté de la nature dans la création de chaque espèce de muscles. Pour fermer l’ouverture terminale du gros intestin, elle a créé transversales les fibres du muscle établi en cet endroit. De telles fibres, avons-nous dit précédemment (IV, viii, et xvii ; cf. V, xi et xii, et XIV, xiv) à propos de l’estomac, de l’intestin de l’utérus et des vessies, sont éminemment propres à fermer les orifices des organes. D’un autre côté, pour opérer la dépression vigoureuse des parties sous-jacentes refoulées par les muscles superposés comme par des mains, elle a fixé en cet endroit les muscles droits sur les muscles transverses, et les muscles obliques les uns sur les autres et se coupant à angle droit. C’est ainsi que nous-mêmes, si nous voulons repousser fortement et comprimer un corps, nous le saisissons de nos mains enlacées et opposées l’une à l’autre (voy. note 1, p. 374). Telle a été la sage prévoyance de la nature dans le calcul du nombre de chacune des espèces de muscles. Nous venons de l’indiquer pour ceux de l’anus, nous allons parler de ceux de l’épigastre.

Si l’action des organes dépend de la direction des fibres, et si cette direction est quadruple, droite, transversale et oblique en deux sens [l’une de gauche à droite, l’autre de droite à gauche], il est constant que les quatre muscles ci-dessus énoncés représentent toutes les directions des fibres. Le corps étant double, c’est-à-dire étant composé de deux parties exactement semblables à droite et à gauche, il y a quatre muscles de chaque côté et par conséquent en tout huit, égaux en grandeur et en nombre, offrant une direction identique de fibres, en sorte que les uns ne sont supérieurs ni inférieurs aux autres en aucun point. Les muscles droits (grands droits) qui s’étendent en longueur et qui procèdent en haut des deux côtés du cartilage xiphoïde (τοῦ ξιφοειδοῦς χόνδρου) descendent jusqu’aux os du pubis, en se touchant l’un l’autre, munis de fibres droites étendues également de haut en bas ; ils sont exactement semblables l’un à l’autre, non-seulement en longueur, mais aussi en largeur et en épaisseur. Placés sous ces derniers, les muscles transverses (transverses de l’abdomen) occupant, l’un toute la partie droite, l’autre toute la partie gauche du péritoine, égaux eux aussi et semblables en tout l’un à l’autre, sont placés sous la face postérieure des deux muscles susnommés par leur partie tendineuse (bord antérieur), sous les autres (obliques internes et externes), par leur partie charnue. Ceux-ci de leur côté, superposés sur les précédents, se portent, par ce qu’on appelle des aponévroses, aux muscles droits qui occupent la région moyenne. Aucune différence n’existe entre les muscles de droite et ceux de gauche ; ils sont absolument égaux et semblables eu égard à leurs fibres, les uns remontant des os iliaques à l’hypocondre (obliques internes), chacun d’eux se dirigeant isolément en haut, les autres descendant des côtes à la partie antérieure (obliques externes)[40].

Les directions des fibres se réduisant toutes à quatre, il existe avec raison autant de muscles de part et d’autre. Il ne nous est même pas possible d’imaginer l’adjonction d’un autre muscle ; en effet, il sera ou droit, ou transversal, ou oblique, par conséquent superflu. Nous ne pouvons pas non plus les supposer moins nombreux sans qu’il en résulte un grave inconvénient. Retranchez un des muscles transversaux, la tension des muscles droits privés d’antagonisme exerce sur les régions inférieures une compression inégale et irrégulière, de façon à tout refouler du côté des fausses côtes et des os iliaques. Imaginez l’absence d’un des muscles droits, en conservant les muscles transverses, tout ce qui se trouve entre les os iliaques et les fausses côtes est refoulé vers le milieu de l’abdomen. Enlevez ceux que vous voulez des muscles obliques, ceux qui restent dépriment les parties sous-jacentes vers l’endroit où les autres manquent. Ce n’est donc pas de cette façon mais d’une manière complètement égale de tous les côtés que doit s’opérer la compression. Il en résulte évidemment que c’est à dessein et en vue du mieux que le nombre des muscles n’est pas inférieur à huit. Nous avons montré qu’il ne devait pas non plus être dépassé. Le nombre de ces huit muscles de l’épigastre et aussi celui des muscles de l’anus n’est donc ni inférieur, ni supérieur à celui qu’exigeait l’utilité, mais rigoureusement juste.


Chapitre xv. — Comme la pression égale que les muscles de l’abdomen exercent sur les matières contenues dans le canal intestinal pressait ces matières aussi bien en haut qu’en bas, la nature a imaginé le diaphragme pour déterminer la sortie par le bas, de sorte que ce muscle sert à la fois à la respiration, et à l’expulsion des excréments. — Galien compare l’action simultanée de ce muscle et de ceux de l’abdomen à deux mains superposées et pressant un objet qui peut s’échapper ou couler. — Le diaphragme trouve un auxiliaire puissant dans l’action des muscles intercostaux. — D’un autre côté les muscles du larynx servent à empêcher la sortie trop abondante de l’air pendant l’acte de la défécation. — Combien il faut admirer la nature qui sait se servir des mêmes organes pour plusieurs fins.


Il me suffit de ces considérations pour démontrer l’art de la nature, si vous ne les trouvez pas suffisantes, je vous convaincrai peut-être par les observations suivantes : L’action des muscles, comme nous l’avons vu, s’exerçant d’une manière égale sur toutes les parties de l’abdomen, par la raison que ces muscles, comprimant également de tous les côtés, repoussent violemment le contenu vers les lieux qui cèdent. Deux ouvertures existant, l’une supérieure à l’œsophage (στόμαχος), l’autre inférieure au rectum, à l’extrémité duquel se trouve ce que nous avons appelé plus haut le siége (ἕδρα), il était, certes, préférable que tous les excréments fussent évacués par l’ouverture inférieure. La structure des huit muscles de l’abdomen n’est pas suffisante pour déterminer ce trajet, attendu que la compression qu’ils exercent ne porte pas plus du côté de l’anus que du côté de l’orifice de l’estomac. En effet, la compression égale, pratiquée sur toutes les parties de l’abdomen, devait pousser également dans les deux sens toutes les matières contenues dans les parties comprimées, si la nature n’avait imaginé quelque ingénieux moyen pour leur faire suivre le trajet inférieur et les détourner du canal supérieur. Quel est ce moyen ? par quel organe est-il mis en jeu ? C’est ce que comprendra seulement tout lecteur d’un esprit attentif.

Il existe un muscle, grand, circulaire, appelé avec raison diaphragme (δίαφραγμα, séparation), qui sépare les conduits de l’alimentation des organes respiratoires. Fixé au-dessus des premiers, il est placé sous les seconds. Outre son utilité naturelle comme cloison, et son utilité plus grande encore comme concourant à la respiration (cf. VII, xx), il en offre une autre que nous allons décrire. Sa partie supérieure prend naissance au bas des derniers cartilages du sternum, à l’endroit où s’attachent les extrémités des muscles droits de l’abdomen ; descendant à droite et à gauche en longeant les extrémités des fausses côtes inférieures, il devient très-oblique à sa partie postérieure et inférieure. Tel est le moyen trouvé par la nature pour que dans la forte compression générale exercée également par les muscles, toutes les matières soient chassées non vers l’œsophage (στόμαχος), mais vers l’anus.

Supposez, en effet, deux mains (Cf. IV, ix, p. 299) appuyées l’une contre l’autre au poignet, s’écartant toujours de plus en plus jusqu’au bout des doigts. Mettez dans la main inférieure une éponge, un morceau de pâte ou un autre corps d’une nature telle que la main supérieure se rapprochant et le pressant, il s’échappe sans peine. Songez que, pour conserver l’analogie dans ma comparaison, la main inférieure représente le diaphragme, et la main superposée tous les muscles de l’abdomen, le grand doigt du milieu figurant les muscles droits, et les doigts voisins de chaque côté les autres muscles[41]. Figurez-vous ensuite que l’action compressive des muscles abdominaux reproduit celle des doigts embrassant et serrant la pâte. Que résultera-t-il de cette action ? N’est-ce pas que les matières seront précipitées en bas, étant refoulées comme par deux mains unies au poignet et s’écartant de plus en plus vers la partie inférieure ? Si donc, quand les mains se rapprochent et compriment les corps placés entre elles, ceux-ci s’échappent tous par leurs extrémités distantes l’une de l’autre, n’est-il pas évident pour les matières [contenues dans l’abdomen] qu’elles seront toutes précipitées vers le bas [par l’action simultanée des huit muscles et du diaphragme] ? De ce côté, en effet, les muscles abdominaux sont le plus éloignés du centre phrénique (car φρένες est aussi le nom du diaphragme), tandis que du côté opposé ils s’appuient sur lui, le touchent, les muscles longs, au bas du sternum, tous les autres muscles a droite et à gauche.

Sont-ce là les seules dispositions admirables de la nature pour l’expulsion des excréments, et n’a-t-elle pas négligé ou omis quelque détail, si petit qu’il soit ? Mais la nature a droit à notre admiration absolue, attendu qu’en disposant si bien les grandes fonctions, elle ne néglige pas de corriger les conséquences nuisibles inévitables. C’est ainsi que ne se bornant pas à créer les huit muscles abdominaux capables de comprimer exactement toutes les matières et de les refouler intérieurement, elle a établi au-dessus d’eux et obliquement le diaphragme pour éviter tout retour de ces matières dans l’œsophage, et que de plus encore elle a disposé comme auxiliaires du diaphragme les muscles dits intercostaux. En effet, le diaphragme, muscle unique, aurait été mis très-facilement en mouvement par les huit muscles abdominaux grands et nombreux ; et rejeté ainsi dans la cavité thoracique, il eût perdu de sa force de compression. Afin donc de prévenir cet inconvénient, la nature a disposé de telle façon tous les muscles des côtes thoraciques qu’ils sont capables d’être tendus et de resserrer de dehors en dedans le thorax, en sorte que toute la cavité supérieure (la poitrine, le ventre supérieur) étant pressée de toutes parts, le diaphragme demeure ferme à sa place, n’en trouvant pas une ailleurs où il puisse être reçu.

D’un autre côté, si l’animal tend tous les muscles du thorax et de l’abdomen, et qu’il tienne ouvert son larynx, il en résulte que l’air s’échappera par cet endroit, et qu’ainsi la fonction de la défécation sera troublée. La nature donc, pour que l’animal restât sans respirer [pendant cet acte], a établi autour du larynx certains muscles assez nombreux destinés les uns à le fermer, les autres à l’ouvrir. Quand nous traiterons des parties du cou (VII, xi-xii) nous dirons quels sont ces muscles, comment ils effectuent la double action dont nous parlions. De même quand nous arriverons au thorax (VII, xx), il sera question des muscles intercostaux. Pour le moment, il suffit de reconnaître que jamais la nature ne néglige rien en quoi que ce soit, car elle sait, elle prévoit les conséquences nécessaires et accessoires de l’existence des dispositions prises en vue d’un but déterminé, et y apporte d’avance tous les redressements. L’abondance des ressources qu’elle déploie dans la structure de l’appareil dont il s’agit est une preuve de son admirable habileté.

Ainsi le diaphragme étant créé pour une autre fin (cf. VII, xxi, et XIII, v), elle l’utilise, par suite de sa position oblique, pour l’expulsion des excréments ; de même les muscles du larynx et du thorax (cf. VII, x, xi, xx), destinés à d’autres fonctions capitales, elles les fait servir encore au même but. En sens inverse, elle établit les muscles abdominaux à la fois comme protection et enveloppe des parties inférieures, et comme organes d’expulsion des excréments ; néanmoins elle en use aussi pour aider à l’exsufflation, à la production de la voix, et même encore à l’enfantement, et à ce que Praxagore appelle habituellement la rétention du souffle[42]. Nous enseignerons en temps convenable comment s’exécute chacune de ces actions.


Chapitre xvi. — Différences qui existent entre le muscle qui ferme le rectum et celui qui ferme la vessie (voy. pour ces muscles difficiles à déterminer la Dissertation sur l’anatomie de Galien). — Des usages particuliers du muscle de la vessie. — De la courbure du canal de l’urètre chez l’homme et chez la femme.


Quant à l’expulsion des excréments, sujet du présent livre, nous venons d’expliquer comment s’opère celle des solides ; c’est maintenant le lieu de parler du superflu des boissons, que nous appelons urine. Nous avons montré ailleurs (De la dissection des muscles, chap. xxviii), que le muscle transverse de l’anus n’est pas disposé de la même façon que le muscle du col de la vessie ; le premier est destiné seulement à fermer le conduit, et le second a pour but d’abord de pousser en avant son contenu en se contractant sur ce contenu, ensuite de servir de couvercle. Je vais expliquer l’avantage de cette structure. La vessie, outre qu’elle a un canal étroit, présente des fibres de toute espèce, comme l’estomac et l’utérus. Ces viscères, en se contractant sur leur contenu, ferment leurs orifices. Il en est de même de la vessie. Cette propriété ne se trouve pas dans les intestins, pourvus de fibres transversales, mais aussi d’un canal suffisamment large. Ils avaient donc besoin d’un muscle pour les fermer. Mais la vessie n’a pas besoin de grande assistance, étant capable de se fermer même sans muscle. C’est pour empêcher que l’urine, pénétrant, par suite du resserrement de la vessie, dans le canal si oblique de l’urètre, ne séjournât trop longtemps dans ce canal que la nature l’a revêtu extérieurement d’un muscle composé de fibres transversales (bulbo-caverneux ?). Ce muscle devait être aussi d’une utilité incessante pour l’occlusion de l’orifice de la vessie. Toutes ces dispositions de la nature paraissent admirables.

Ainsi, pour prévenir tout retour dans les reins de l’urine contenue dans la vessie, la nature insère obliquement les uretères dans ce réservoir pour empêcher une émission continuelle, et munit la vessie de fibres variées, principalement de fibres obliques. En tendant toutes ces fibres, la vessie se contracte sur son contenu, trouvant aide et assistance dans le muscle dont nous parlions tout à l’heure, jusqu’à ce qu’elle soit fatiguée par l’accumulation du liquide. Quand vient le moment de l’expulsion, elle relâche toutes les fibres, à l’exception des transversales qu’elle tend. Elle trouve aussi à ce moment dans les muscles un secours considérable ; tandis que celui du canal de l’urètre se relâche à son point de jonction avec la vessie, tous les muscles abdominaux sont fortement tendus de manière à refouler, à comprimer la vessie, et le muscle du col se contractant, presse sur l’urine qu’elle précipite dans le canal. Toute l’urine ne franchirait pas le canal de l’urètre avec la rapidité, la régularité actuelle due à la compression des muscles de la vessie et de l’abdomen, si la nature n’avait donné ce muscle (bulbo-caverneux) pour ceinture extérieure à l’urètre qui a une direction si oblique. L’urine est-elle évacuée, s’il en est rendu encore goutte à goutte, surtout quand elle est mordante, cela est dû à l’action, non pas d’un des organes supérieurs, mais à celle de ce muscle seul. La première utilité de ce muscle consiste donc à ne pas laisser d’urine dans le canal, la seconde à aider à l’occlusion de l’orifice de la vessie, la troisième à hâter la sortie de l’urine.

Parmi les dispositions secondaires qui dépendent nécessairement de dispositions prises dans un but déterminé, se trouve l’obliquité du col de la vessie et de tout le conduit urinaire. En effet, situé derrière le pubis, au devant du rectum et de l’os appelé sacrum, chez la femme, au-devant du col de l’utérus, il descend dans toute cette région, suivant la longueur de l’animal, jusqu’à ce qu’il fasse saillie hors des os. De là il remonte le long du périnée jusqu’à la naissance de la verge au travers de laquelle il descend. Il est évident qu’il suit une marche très-oblique, et qu’il ressemble beaucoup pour la forme à l’S des Romains[43]. L’urine n’eût pu parcourir rapidement ce trajet sinueux si elle eût été poussée seulement par la compression qui s’opère de haut en bas, et si elle n’eût trouvé là un secours tout préparé. Chez la femme l’urètre ne se recourbe qu’une fois dans le col même de la vessie ; chez l’homme où le pénis fait extérieurement suite au col de la vessie, le canal forme une seconde courbure. On voit (et c’est une conséquence nécessaire) que l’obliquité de l’urètre est plus grande chez l’homme, et moindre chez la femme. Afin que l’urine ne puisse s’arrêter dans l’urètre, ce canal est revêtu extérieurement d’un muscle composé de fibres transversales (bulbo-caverneux) qui de la vessie précipite l’urine jusqu’à l’extrémité du pénis.



______________________

  1. Dans la Dissertation sur l’anatomie, je cherche à expliquer pourquoi Galien se sert tantôt du singulier et tantôt du pluriel pour désigner le conduit excréteur de la bile. — On voit aussi que, dans ce chapitre comme dans le chap. iv, p. 283, Galien semble faire aboutir à la veine porte la veine splénique, tandis qu’en réalité il fait partir toutes les veines du foie, aussi bien la veine porte que toutes celles des viscères. Tout cela se trouvera expliqué dans la même Dissertation.
  2. Dans la Dissertation précitée, j’ai indiqué, autant du moins qu’on les connaît, les lois qui président à la distribution des vaisseaux artériels et veineux dans les viscères glanduleux ou autres, et dans le reste du corps. Voy. aussi ce que Galien lui-même en dit un peu plus bas.
  3. Évidemment Galien n’a pas entendu parler ici du point d’origine des deux vaisseaux, mais du lieu où leurs ramifications s’enchevêtrent. Du reste, comme il serait difficile de donner ici les explications suffisantes pour faire comprendre lamanière dont Galien conçoit et décrit la distribution des vaisseaux destinés aux viscères, je me contenterai le plus souvent de renvoyer dans ces notes à la Dissertation précitée et aux figures qui l’accompagnent.
  4. Voy. liv. XVI, chap. xiii et xiv ; cf. VI, x et surtout xvii ; Des facultés naturelles, III, xv, et la Dissertation sur la physiologie de Galien.
  5. Ἀλλὰ καὶ τὴν εἰς ἧπαρ ἀπόφυσιν ἀπὸ τῆς αὐτῆς τοιαύτης (ταύτης, manuscrit 2154), ἀρτηρίας ἔδει ποιήσασθαι. Ce passage est fort embarrassant. Il semble que Galien fasse partir ici l’artère hépatique de la mésentérique supérieure, tandis qu’ailleurs (voy. particulièrement Dissection des veines et des artères, chap. ix, med., et le XIIIe livre inédit du Manuel des dissections. — Cf. Dissertation sur l’anatomie) il en parle comme d’une branche du tronc cœliaque. C’est là sa véritable origine, et sa naissance à la mésentérique est une anomalie signalée par les auteurs. Faut-il admettre que Galien, dans le traité De l’utilité des parties, a précisément décrit cette anomalie qui d’ailleurs n’est pas très-rare, tandis que, sans en avertir, il a, dans ses autres ouvrages, indiqué l’origine la plus fréquente de l’artère hépatique, ou bien doit-on supposer quelque altération du texte ? C’est ce qu’il m’a été impossible de déterminer jusqu’à présent.
  6. Εἰς ἓν τοῦτο ἀφικέσθαι. Galien se sert du même mot pour marquer à la fois le point d’émergence du canal cholédoque (ici, il paraît considérer comme un seul canal ce que nous avons distingué en canaux hépatiques et canal cholédoque) et le point d’immergence de la veine porte, de l’artère et du nerf. Ce qui rend cette impropriété de terme encore plus étrange de sa part, c’est que pour lui la veine porte part du foie eu égard à son origine et se dirige vers le canal intestinal, bien que le sang la parcoure dans un sens opposé. Tout cela rend la traduction difficile, et l’interprétation fort obscure.
  7. Voy. pour cette glande les Dissertations sur l’anatomie, et sur la physiologie de Galien. — Les anatomistes de la Renaissance ne connaissaient pas plus que Galien les usages du pancréas. Voy. par exemple Varole, Anatom., III, ii et iii, et Bauhin, Theatr. anat., I, xix. Aux usages mécaniques admis par Galien, ces deux anatomistes ajoutent, avec Hippocrate, celui de séparer du sang la graisse bourbeuse que l’épiploon et le mésentère n’ont pu dévorer (depascere) !
  8. Voy. IV, viii et xvii, et les notes 1 de la p. 289 et 3 de la p. 329.
  9. Galien considère quelquefois l’iléum comme l’intestin grêle par excellence, mais souvent aussi il confond sous la même épithète de grêle les trois premières portions de l’intestin (y compris le duodénum), ainsi que le font les modernes. Voy. p. 329, note 3.
  10. Voy. Hoffmann, l. l., p. 83-84, et dans la Dissertation sur la physiologie, la discussion des principes généraux du traité De l’utilité des parties.
  11. Galien n’a pas énoncé positivement la raison de ce fait dans le IVe livre ; mais il n’est pas douteux qu’il la trouvait dans les rapports physiologiques du foie avec le duodénum et dans les rapports même du duodénum avec l’estomac. — Voy. particulièrement livre IV, chap. vii, p. 288 et suiv.
  12. Ici Galien semble ne plus considérer le duodénum comme un intestin, mais seulement comme un prolongement de l’estomac (voy. p. 289, note 1). Il suit en cela la coutume de quelques anatomistes qui appelaient seulement intestins les parties du canal alimentaire munies de circonvolutions (voy. Manuel des Dissections, VI, xii) ; par conséquent, pour ces anatomistes le rectum ne comptait pas non plus comme un véritable intestin (cf. Lieux affectés, VI, ii).
  13. On voit combien Galien est peu fixé dans ses déterminations ; ici il appelle le jéjunum le premier intestin ; et plus haut, p. 339, c’est le duodénum qui est aussi le premier intestin. — On trouve, p. 289, note 1, la raison de ces variations.
  14. « C’est principalement dans cet intestin que s’accomplit la chylification. Dans aucune autre partie du tube digestif, le mouvement péristaltique n’a lieu avec autant de vivacité ; de là lui vient le nom de jéjunum ; ce mouvement ne saurait être aussi vif au duodénum, à cause de sa fixation, ni à l’iléum, parce que sa tunique musculeuse est faible, et que son contenu a déjà peu de consistance. » Huschke, Splanchn., p. 82.
  15. Dans le traité De la méthode thérapeutique (XIII, xiv), il semble que Galien fait arriver le canal cholédoque au jéjunum, et dans le traité Des tempéraments (II, vi), il l’insère tantôt au jéjunum et tantôt au duodénum ; il faut, ou voir là une inexactitude de langage, ou bien admettre avec Hoffmann (l. l., p. 85-6) que la fin du duodénum était appelée tantôt νῆστις, tantôt ἔκφυσις τῆς γαστρός ; mais cette supposition ne paraît guère appuyée sur les textes. — Cf. Fuchsius, De humani corporis fabrica, III, vi, et de Tubinge, 1551, 8o, et la Dissertation sur l’anatomie.
  16. Voy. dans mon édit. Pronost., § 24 ; cf. Aph., IV, 17 ; De l’ancienne médecine, § 19, t. 1, p. 618, édition des Œuvres d’Hippocrate, par E. Littré.
  17. Voy. pour l’historique de cette coutume nos notes sur Oribase, t. II, liv. VIII, chap. xx et xxi. — Hoffmann, dans la note qu’il consacre à ce passage (p. 86-7), n’a pas distingué le vomissement préservatif et, par conséquent, hygiénique qui est recommandé ici, du vomissement gastronomique sur lequel on trouvera aussi des renseignements dans les notes auxquelles je viens de renvoyer.
  18. « Nota obiter, qui Galeni quam veritatis studiosior es ! Si (quod ait Galenus heic) bilis in vasa non it ; si vera est ejus rei demonstratio, quam mox subjicit de varietate excretorum ; si (quo se refert heic) Facult. nat., II, ii, bilis a sanguine ἀκριβῶς διακρίνεται, exquisite separatur ; si verum est, quod huic non dissimile dixit, liv. IV, cap. xiii, sanguinem a vena cava suscipi, postquam a poris biliariis καλῶς ?, bene et exacte, perpurgatus est : quomodo dici potest : Aliquid bilis in vasa recipi ut inde nutriantur partes biliosæ ? Certe ubique verum est illud vulgatum : Mendacem oportet esse memorem, nisi veritati vel invitus testimonium dare volet. » Hoffmann, l. l., p. 87. — Voilà certes une accusation bien vive de la part d’un commentateur habitué à admirer son auteur ; mais cette accusation n’est pas fondée de tout point. D’abord Galien reconnaît que la bile noire, celle qui doit nourrir la rate, n’est pas séparée par les canaux biliaires, mais par la veine splénique ; en second lieu, si le sang qui arrive à la veine cave est bien (καλῶς) purifié de bile jaune, il ne s’ensuit pas, dans la théorie de Galien, qu’il n’en reste pas un peu pour nourrir les parties qui en réclament ; et l’on voit clairement du reste, par la fin du chapitre vi, p. 257-8, que les reins attirent du sang une certaine quantité de bile jaune en même temps que le sérum. Il y a dans Galien beaucoup d’autres contradictions plus choquantes et qu’Hoffmann n’a pas toujours relevées avec autant d’amertume (voy. par exemple ma note 3 de la page 358).
  19. Galien ayant terminé ce qui regarde la bile jaune passe à la bile noire, et il tâche de prouver que la nature a très-bien agi en conduisant de la rate à l’estomac les vasa breviora qu’il suppose chargés de verser dans ce dernier viscère la partie de bile noire que la rate n’a pas pu utiliser pour sa nutrition.
  20. Galien va donner tout à l’heure (voy. chap. vi) les plus belles raisons pour établir que cette disposition est utile, nécessaire, et directement en rapport avec la fonction des reins. Mais voici que la comparaison de l’homme avec les animaux ruine toute cette belle théorie. Chez l’homme, en effet, c’est précisément le rein gauche qui est le plus haut, et le rein droit qui est le plus bas (voy. Cuvier, Anat. comp., 2e éd., t. VII, p. 558 et 563), sans que pour cela la fonction des reins soit autre chez l’homme que chez les animaux, attendu que la position des reins est un effet purement mécanique du mode de station, duquel il résulte que le foie pèse ou ne pèse pas sur le rein droit. On a là un exemple bien frappant du vice général de la méthode de Galien. Ainsi, faute de notions anatomiques complètes, faute d’avoir pu comparer l’homme aux animaux, faute surtout de ne pas savoir s’arrêter à temps dans son ardeur à tout expliquer, il ne donne au pancréas qu’une utilité mécanique (voy. p. 338), et il trouve au contraire dans la position des reins une utilité dynamique imaginaire. — Voy. aussi Eustachius (De renum structura, officio et administ. dans Opusc. anatom. Venet., 1575, cap. xii et xviii), qui combat victorieusement Galien, et J. Alexandrinus, Annot. in lib. De us. part., p. 223, qui le défend par de misérables arguments.
  21. Galien, après avoir répété souvent que la connaissance des fonctions doit précéder la recherche de l’utilité des parties, déclare que cette recherche peut, à son tour, corriger les fausses opinions sur les fonctions. Il n’y a là aucune contradiction dans les termes, car s’il est vrai de dire qu’on ne peut pas reconnaître qu’une partie est bien disposée si on ne sait pas à quoi elle sert, il n’est pas moins vrai que, dans certains cas, savoir qu’une partie est disposée de telle ou telle façon peut conduire à déterminer sa véritable fonction, surtout lorsqu’il s’agit, comme dans le cas présent, d’une partie qui n’est pas unique et isolée, mais qu’on retrouve dans tout le corps. Cette note n’a pas pour but (ai-je besoin de le dire ?) de justifier la théorie de Galien sur le rôle des artères, mais seulement sa manière de procéder. — Dans la Dissertation sur la physiologie, j’ai discuté les opinions d’Érasistrate et toutes celles qui s’y rattachent.
  22. Ainsi Galien veut trouver ici dans un fait particulier une preuve indirecte que toutes les artères contiennent du sang ; son raisonnement revient à peu près à celui-ci : En apparence les artères ne contiennent pas de sang, mais elles en contiennent en réalité, autrement elles ne serviraient à rien dans les reins, mais elles doivent servir à quelque chose, et vu leur grosseur elles ne peuvent servir qu’à amener du sang qui doit être purifié. — Voilà quelle est (trop souvent pour son honneur) la force des arguments de Galien, mais voilà aussi comment il a pu dire avec raison, d’après sa théorie, que la recherche de l’utilité des parties pouvait rectifier les fausses opinions sur les fonctions (voy. note précédente).
  23. Voy. chap. v, et la note 1, p. 350 ; ajoutez d’après le Manuel des dissections (VI, xiii) que l’observation de Galien sur la fonction du rein droit chez les animaux [mammifères] est parfaitement fondée.
  24. Galien semble ici comparer très-improprement l’urine à un corps solide qui, sollicité par deux forces égales, mais agissant en sens opposé, reste immobile.
  25. Galien a voulu dire que les veines qui versent le sang du foie dans la veine cave étant situées à droite, le rein droit (celui qu’il a surtout en vue dans ces considérations) devait être placé plus près du foie, afin que la séparation du sérum fût ainsi plus directe, et par cela même plus facile. — Voy. aussi Oribase, Coll. méd., VII, xxiii, t. II, p. 80, l. 8-9, et note corresp. Mais il est inutile de s’arrêter plus longtemps sur de pareilles théories, ou plutôt sur de pareilles rêveries ; assez de questions curieuses et intéressantes réclament notre temps.
  26. Voilà la vraie raison de la situation du rein droit, c’est la situation même du foie. Mais dans Galien cette raison n’est que secondaire ; elle est la conséquence, d’une part, de vues purement théoriques sur la position respective du foie et de la rate par rapport à l’estomac et à la veine cave, et, de l’autre, de l’antagonisme qu’il supposait devoir exister entre les deux reins, s’ils eussent été placés sur la même ligne (voy. note 1). — On remarquera aussi que Galien tout en se montrant, dans le livre précédent (chap. xv, init.), si vif contre Érasistrate qui avait osé regarder la rate comme n’étant qu’un organe d’équilibre et de symétrie, est bien près de considérer le rein gauche de la même façon. Toutefois, il y a entre Galien et Érasistrate cette différence capitale que pour le premier la symétrie, l’équilibre ne sont qu’accessoires, qu’il y a une utilité supérieure, qu’à la rigueur la symétrie aurait pu ne pas exister, qu’elle existe seulement en vue du mieux et de la plus grande perfection de la fonction.
  27. Il semble que Galien n’a jamais fait, ou du moins n’a jamais cru faire de saignée sur une personne saine (cf. cependant De element., II, ii, fine ; De atrabile, cap. ii), ou même qu’il n’a jamais observé le sang qui s’écoule d’une blessure petite ou grande, alors qu’il n’existe aucun état pathologique interne, car il eût vu que dans l’état de santé aussi bien que dans celui de maladie, le caillot est toujours contenu dans une quantité plus ou moins grande de sérum. En tout cas cette quantité n’est jamais aussi faible chez les malades que Galien veut bien le dire. Mais pour accorder son raisonnement avec les faits qu’il avait observés, il a atténué autant que possible par cette expression une très-faible proportion de sérum, ce que ces faits pouvaient avoir de contradictoire avec la théorie. C’est là un procédé peu consciencieux, mais dont Galien n’use que trop souvent, et quelquefois, pour ainsi dire, à son insu, tant les idées préconçues l’aveuglent et le détournent de la droite voie de l’observation ! — Je trouve aussi dans Hoffmann (l. l., p. 89) les réflexions suivantes que j’ai cru devoir rapporter : « Restringenda est universalis [propositio], et explicanda de plerisque omnibus. Secamus enim venam etiam plethoricis, quibus neque corpus male affectum est, neque ulla naturalis administratio læsa. Huc tendit Alexandrini [l. l. p. 234] παραμυθία in plethoricis timeri morbum, nisi solvuntur ex præcepto Hippocratis Aphor., I, 3 ; et notum est alias Celsi [II, ii, init.] illud : qui solito nitidiores sunt, inspecta debent habere bona sua. De toto hoc negotio in medio est accuratissima disputatio Al. Massaria contra Horat. Augenium et hujus responsio, cui ilerum respondit Massaria. »
  28. Dans quelques mammifères la bile arrive directement du foie dans la vésicule biliaire au moyen de rameaux fins du canal hépatique qui sortent du foie ou de la partie de ce canal qui est hors du viscère. Ces rameaux aboutissent à différents points du corps de la vésicule, ou à son col. On le trouve plus particulièrement dans le bœuf, le bélier et aussi chez le loup et le chien (voy. Cuvier, Anat. compar., t. IV, 2e part., p. 570). Comme Galien semble avoir décrit le foie uniquement sur le magot, je ne crois pas qu’il s’agisse de ces rameaux du canal hépatique où ils manquent certainement, mais il a en vue soit des rameaux imaginaires, soit des radicules des vaisseaux nourriciers hépato-cystiques. L’espèce d’exsudation bilieuse qu’on observe quand on détache la vésicule du foie, surtout quand les animaux sont morts depuis quelque temps, a peut-être donné lieu à cette opinion de Galien. — Voy. du reste la Dissertation sur l’anatomie.
  29. Voy. sur toutes ces questions la Dissertat. sur la physiologie de Galien, et Hoffmann (l. l., p. 89).
  30. Voy. plus loin sur les vaisseaux des reins le chap. viii et dans l’Appendice le chap. xiii du livre VI du Manuel des dissections.
  31. Mais Galien a dit quelques lignes plus haut, à la fin du chap. vi, et il répète à la fin du chap. x qu’une certaine quantité de bile jaune pénétrait dans la vessie avec l’urine ! — Voy. pour cette contradiction la Dissert. sur la physiol.
  32. Voy. pour la détermination de ces nerfs la Dissert. sur l’anatomie. — Cf. Hoffmann, p. 90, où on lit : « Vesica quæ ad jecur… nervum habet tenuissimum, quia (ut recentiores affirmant) vix opus est illo, ob acrimoniam bilis. At vero hoc Galenus numquam admiserit, propter illa, quæ de altera vesica dixit. Dicis : At idem Galenus, Facult. nat., III, xii, ait vesicam hanc nervorum plane expertem esse ? Resp. ex cod ice græco, in quo est ὅτι νεύρων ἥκιστα μετέχει ; heic enim τὸ ἥκιστα non significat οὐδαμῶς, ut Leonicenus putavit, sed ἐλάχιστα, minimum. Habere autem vocem aliquando hunc sensum, docet Eustachius ex III articul. 114, referente Costæo in marg. »
  33. Voy. la Dissertation précitée pour la détermination de ces vaisseaux.
  34. Χοληδόκος (qui reçoit la bile, de χολή, bile, et δέχομαι, je reçois) est un adjectif qui, chez les anciens, s’applique aussi bien à la vésicule qu’à ses conduits. C’est donc par une restriction assez mal entendue que nous donnons seulement cette qualification au canal chargé de verser la bile dans le duodénum ; d’ailleurs la vésicule qui reçoit la bile et qui la conserve pendant un certain temps mériterait surtout l’épithète de cholédoque.
  35. Et par conséquent d’en avertir le centre commun, l’axe cérébro-spinal.
  36. Voy. pour cette proposition la Dissert. sur la physiologie.
  37. La vésicule biliaire comme la vessie a quatre tuniques, une séreuse, une celluleuse, une musculeuse (cette tunique est incomplète pour la vésicule, et même elle est niée par quelques anatomistes. Voy. Huschke, Splanchnologie, p. 133-134, et Cruveilhier, 3e éd., t. III, p. 421-2), enfin une tunique muqueuse. Quand Galien dit que ces deux réservoirs n’ont qu’une tunique, il faut entendre une tunique propre, car il savait très-bien, et il le dit à peu près expressément pour la vessie urinaire (cf. le chap. x avec le commencement du chap. xi. — Voy. aussi IV, ix, p. 298 ; toutefois on remarquera que dans les deux chap. xi-xii, Galien ne considère presque jamais la tunique péritonéale, comme une vraie tunique ; mais dans le livre IVe il n’en est pas de même), qu’ils possèdent une tunique séreuse fournie par le péritoine. La tunique propre était sans doute pour lui, dans la vésicule la tunique cellulo-fibreuse, et dans la vessie la membrane musculeuse, où l’on reconnaît des fibres longitudinales (detrusor urinœ), et des fibres circulaires, régulières (région du col) et irrégulières (obliques en spirale) ; ces dernières, les plus nombreuses, sont sans doute les fibres obliques de Galien. Il ne parle explicitement, pas plus ici, qu’à propos des intestins, de la tunique muqueuse (voy. IV, viii, p. 290-1, note 2, et la Dissert. sur l’anatom.)
  38. Voy. pour l’examen de cette question compliquée, les Dissertations sur l’anatomie et sur la physiologie.
  39. On trouvera d’une part dans la Dissertation sur l’anatomie des extraits du Manuel des dissections sur le mode d’insertion des uretères dans la vessie, et d’une autre part dans le traité Des facultés naturelles, I, xiii, une longue discussion contre Asclépiade, qui prétendait (ne voyant pas les orifices vésicaux des uretères) que l’urine arrivait par transsudation à la vessie ; ce médecin professait une opinion analogue au sujet du canal cholédoque.
  40. On trouvera dans la Dissertation sur l’anatomie la description des muscles de l’anus et de l’abdomen chez le magot.
  41. L’extrémité des doigts par où les mains s’écartent le plus, représente l’anus. Si Galien a fait cette comparaison en supposant l’animal couché sur le dos, il a pu dire avec une certaine vérité que le diaphragme, vu son obliquité, était représenté par la main inférieure ; mais si l’animal est droit il fallait supposer les mains non pas dans une position horizontale, mais dans une position oblique de telle sorte que l’une des mains fût à la fois inférieure et postérieure, et l’autre supérieure et antérieure.
  42. Dans les notes du Ier vol. des Œuvres d’Oribase (p. 656-7), M. Bussemaker et moi avons donné l’explication de cette expression : rétention du souffle. Seulement ce passage du traité de l’Utilité des parties nous avait échappé ; cependant il mérite d’être noté, car il semble en résulter que c’est Praxagore qui est l’inventeur de cette expression laquelle désigne la rétention de la respiration lorsqu’on tend et qu’on contracte à la fois tous les muscles de la poitrine, rétention dont il y avait trois espèces ou variétés (voy. la note précitée).
  43. C’est en raison de cette courbure qu’Érasistrate (Galien, Introd. seu medicus, t. XIV, p. 751 et 788) avait inventé la sonde en S remise en faveur ou plutôt inventée de nouveau par J. L. Petit. L’usage de cette sonde paraît avoir été assez répandue dans l’antiquité, car Rufus (Du nom des parties du corps, p. 68, l. 1-2, éd. de Clinch) compare la clavicule à une sonde d’homme. — Voy. en une représentation dans Illustr. di tutti gli strumenti chirurgici scavati in Ercoleno e in Pompei, dal caval. B. Vulpes, Napoli, 1847, 4o ; pl. III, fig. 1. — On trouvera du reste l’histoire des sondes dans les notes de notre IIIe vol. des œuvres d’Oribase. — Voy. aussi la Dissertation sur l’anatomie.